Après un film aussi personnel et douloureux qu’Au revoir les enfants, Louis Malle envisage un film plus léger. Il élabore un synopsis d’une quinzaine de pages sur des personnages qui vivent à distance, dans le Lot, les événements de Mai 68. Il propose à son vieux complice de Viva Maria ! et du Voleur, Jean-Claude Carrière, de développer le scénario avec lui. Milou en mai est une petite merveille d’équilibre.
Dans une ambiance tchekhovienne, Milou comme Oncle Vania n’a jamais quitté le domaine familial. Madame Vieuzac, mère de Milou, décède par une belle journée ensoleillée. Aussitôt, Milou convoque la famille. Ils arrivent tous dans la demeure familiale. Georges, son frère, journaliste au Monde, débarque avec sa femme Lily, une belle actrice anglaise, sa fille Camille avec ses trois enfants et son mari, un médecin bordelais. Sa nièce Claire, orpheline, lesbienne, arrive avec sa petite amie, Marie-Laure. Passée la surprise de la disparition, Camille organise aussitôt le partage, tandis que Georges suit les événements de mai 68 à la radio. Ils pensent vendre la maison contre l’avis de Milou… Mais avec les événements de mai 68, ils se retrouvent dans l’impossibilité d’enterrer la grand-mère… les pompes funèbres sont en grève… La « révolution » inquiète, une sourde angoisse monte au sein du petit groupe… vont-ils finir comme lors de la Révolution Française ? Ils décident de fuir… mais très vite se retrouvent perdus en pleine forêt, sans destination…
Milou en mai est une parabole satirique, grinçante, caustique et jouissive. Dans ce petit coin de France se joue avec une intensité joyeuse et décalée les événements de mai 68. Un souffle de liberté, qui réjouit tout autant qu’il fait peur, frappe le petit groupe auquel se joint un truculent chauffeur véritable obsédé sexuel. Une soif de liberté amoureuse saisit le groupe. Mais bien vite, des conflits naissent entre eux, et l’argent devient une préoccupation majeure… Seul Milou ne demande rien d’autre que de vivre, simplement, dans la maison de son enfance…
Milou, la soixantaine, est l’adolescent qui parcourt l’œuvre de Malle. Il observe autant qu’il découvre ce petit théâtre humain, lui qui a été préservé de bien des funestes tentations de la vie moderne. Tentations consuméristes ne feront que s’amplifier dans les années de l’après-68. Milou en mai est un film sur un changement dans la continuité. Malle n’exprime aucune nostalgie pour l’ancien monde, ni d’aveuglement sur les années post-68.
On retrouve tous les thèmes de Louis Malle et cette manière si particulière d’inclure ses personnages dans un moment de l’histoire sans qu’à aucun instant l’on soit dans une reconstitution historique. Il faut louer encore une fois l’élégance de sa mise en scène et l’habileté avec laquelle il dirige sa troupe d’acteurs. Milou c’est Michel Piccoli qui est, comme d’habitude, formidable. Il a tout le charme enfantin d’un homme qui reste émerveillé par les choses simples de la vie. Piccoli retrouve Louis Malle qui l’avait dirigé pour la première fois dans Atlantic City. Louis Malle a écrit le rôle de Milou pour lui, le personnage lui va comme un gant.
Miou-Miou est une actrice populaire depuis sa révélation par Bertrand Blier dans Les Valseuses (1974). Elle joue dans tous les registres avec un réel bonheur. Elle peut être drôle et tendre ou à l’opposé dure voir victime, humiliée, bafouée. Il n’est donc pas étonnant de la retrouver dans des comédies de Georges Lautner (On aura tout vu, Est-ce bien raisonnable ?, etc.) mais aussi dans des films d’auteurs : Marco Bellocchio (La marche triomphale), Joseph Losey (Les Routes du sud), dans des polars : La femme Flic, Canicule d’Yves Boisset, dans des drames comme La Dérobade de Daniel Duval ou même en vedette d’un western produit par Sergio Leone : Un génie, deux associés, une cloche aux côtés de Terence Hill. Sur le papier, Camille est un personnage insupportable et antipathique, mais la fantaisie et le charme de Miou-Miou le rend plus nuancé. Elle est épatante, parfaitement dans la droite ligne des personnages en demi-teinte de Louis Malle.
Dominique Blanc pour son rôle d’une grande finesse psychologique décrochera un César de la meilleure actrice dans un second rôle (elle en obtiendra deux autres, pour Indochine et Ceux qui m’aiment prendront le train). Dans sa scène au piano où elle exprime sa jalousie en interprétant un morceau de musique contemporaine, Dominique Blanc est impressionnante, l’un des plus grands moments de film.
Michel Duchaussoy est l’un des grands seconds rôles du cinéma français, il avait débuté au cinéma sous la direction de Louis Malle dans Vie privée en 1961. Comme pour Michel Picolli, Louis Malle écrit le personnage de ce vieux petit frère avec Duchaussoy en tête.
Pour Bruno Carette, Milou en Mai est son unique grand rôle au cinéma. L’acteur découvert à la télévision du temps de la splendeur de Canal + dans Objectif Nul avec Alain Chabat et Chantal Lauby avant d’animer Nulle part ailleurs décède d’un virus contracté en Egypte en décembre 1989 quelques semaines avant la sortie du film.
Il y a clairement un plaisir du jeu à l’écran qui rend les spectateurs heureux. Milou en mai est un triomphe critique et public qui enchante toujours autant les spectateurs.
Fernand Garcia
Rétrospective Louis Malle à la Cinémathèque Française du 14 mars au 1er avril 2018.
Milou en mai est disponible ainsi qu’une sélection de films de Louis Malle en vidéo à la demande (VOD), Streaming et en téléchargement légal, accompagné d’un dossier thématique de la rédaction.
Milou en mai est disponible en Blu-ray et DVD chez Gaumont.
Milou en mai un film de Louis Malle avec Michel Piccoli, Dominique Blanc, Miou-Miou, Michel Duchaussoy, Bruno Carette, Paulette Dubost, Harriet Walter, Martine Gautier, François Berléand, Valérie Lemercier… Scénario : Louis Malle & Jean-Claude Carrière. Directeur de la photographie : Renato Berta. Montage : Emmanuelle Castro. Musique : Stéphane Grappelli. Producteur : Vincent Malle. Production : N.E.F. Nouvelles Editions de Films – TF1 Films Production – Ellepi Films (Rome). France – Italie. 1990. 107 minutes. Couleur (Eastmancolor). Format image : 1.66 :1. Dolby. Tous Publics. César 1991 du meilleur second rôle féminin (Dominique Blanc).