Après avoir purgé une peine de 4 ans de prison, Ugo Piazza est relâché un an avant son terme pour bonne conduite. Son ancien complice, Rocco, le psychotique homme de main de l’inquiétant baron du Crime, L’Américain, vient le cueillir à sa sortie et lui rafraîchit la mémoire : 300.000 lires ont curieusement disparu alors qu’Ugo était le dernier maillon de la transaction…
Né le 11 janvier 1932 à San Ferdinando di Puglia dans la région des Pouilles en Italie, Fernando Di Leo est un réalisateur et scénariste injustement méconnu en France encore aujourd’hui. Il débute sa carrière dans les années 60 en signant ou co-signant, sans être crédité pour les premiers, rien moins que les scénarios d’une bonne vingtaine de westerns-spaghettis devenus pour nombre d’entre eux des classiques incontournables, comme par exemple Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari, 1964) et Et pour quelques dollars de plus (Per qualche dollari in più, 1965) réalisés par Sergio Leone ou Un Pistolet pour Ringo (Una Pistola per Ringo, 1964) et Le Retour de Ringo (Il Ritorno di Ringo, 1965) réalisés par Duccio Tessari, quatre films qui seront à l’origine de centaines d’autres. Di Leo signera également les scénarios de Navajo Joe (1966) de Sergio Corbucci ou encore du Temps du massacre (Tempo di massacro, 1966) de Lucio Fulci. A la fin des années 60, scénariste prolifique, Di Leo réduira son activité pour se consacrer à sa carrière de réalisateur et ne sera plus, à de rares exceptions près, « que » l’auteur des scénarios de ses propres films.
En 1968, il réalise son premier long métrage, le film de guerre Roses rouges pour le Führer (Rose rosse per il fuehrer) qui traite des mouvements de résistance anti-nazis. L’année suivante il réalise des drames érotiques (Pourquoi pas avec toi et Amarsi male) ainsi que son premier film noir, La jeunesse du massacre (I ragazzi del massacro, 1969), adaptation du roman Les Enfants du massacre de l’écrivain Giorgio Scerbanenco, maître du polar italien avec qui le cinéaste dit partager une vision réaliste du monde, qui traite de l’ascension de la délinquance juvénile en Italie. En 1971, Di Leo s’attaque au genre horrifique en réalisant en seulement deux semaines La Clinique sanglante (La bestia uccide a sangue freddo), également connu en France sous le titre Les Insatisfaites poupées érotiques du docteur Hichcock, un film d’horreur érotico-gothique produit par Armando Novelli à l’affiche duquel il réunit Klaus Kinski et Margaret Lee, qui connaitra un succès mondial. En 1972, toujours avec le même producteur, le cinéaste adaptera à nouveau l’auteur Giorgio Scerbanenco, qui a lui-même beaucoup décrit Milan dans ses romans, et réalisera le film noir Milan calibre 9 (Milano calibro 9) d’après différentes nouvelles du recueil du même nom publié en 1969. Suivi la même année du film Passeport pour deux tueurs ou L’Empire du crime (La Mala Ordina, 1972) avec le trio d’acteurs Mario Adorf, Henry Silva et Woody Strode, puis, l’année suivante, du polar Le Boss (Il Boss, 1973) avec Henry Silva et Richard Conte, Milan calibre 9 marque le premier opus d’une trilogie, ou plutôt d’un triptyque qui nous plonge au cœur du grand banditisme italien et que l’on nommera rétrospectivement, « la trilogie du Milieu ».
Fernando Di Leo réalisera ensuite d’autres films noirs comme Salut les pourris (Il poliziotto è marcio, 1974) avec le comédien français Luc Merenda et Richard Conte, l’improbable comédie-polar inclassable Ursula l’anti-gang (Colpo in canna, 1975) avec Ursula Andress et Woody Strode, Colère noire (La città sconvolta: caccia spietata ai rapitori, 1975) à nouveau avec Luc Merenda mais aussi James Mason, Gli Amici di Nick Hezard (1976) toujours avec Luc Merenda et Lee J. Cobb, Mister Scarface (I padroni della città, 1976) avec Jack Palance et Al Cliver mais aussi Diamants de sang (Diamanti sporchi di sangue, 1977), remake de Milan Calibre 9, avec Claudio Cassinelli, Martin Balsam et Barbara Bouchet, le controversé Avoir vingt ans (Avere vent’anni, 1978) avec Gloria Guida et Lilli Carati, ou encore Vacanze per un Massacro (1980). Après Passeport pour deux tueurs, le cinéaste réunira et dirigera à nouveau le duo Henry Silva et Woody Strode pour le film Razza Violenta (1984). Pour son dernier film, Killer vs Killers (Killer contro Killers, 1985), Di Leo retrouvera une dernière fois le comédien Henry Silva.
Auteur d’une œuvre très « genrée », à travers ses films, Di Leo dresse toujours en sous-texte un constat à la fois politique, social et culturel de l’Italie de l’époque. Un constat qui, dans le même temps, met à jour ses opinions personnelles et ses convictions profondes. Fernando Di Leo est couronné de succès lors de son activité en Italie et ses films sont également exportés à l’étranger. Il décède à Rome en 2003. Cinéaste oublié depuis les années 90, Fernando Di Leo et ses films vont réapparaître grâce à Quentin Tarantino qui va déclarer que ce dernier est un des plus grands cinéastes italiens et que Milano Calibre 9 est le meilleur polar italien de tous les temps.
Après avoir signé les scénarii de nombreux classiques du western-spaghetti, il est intéressant de relever que même si Fernando Di Leo n’en a jamais réalisé lui-même, avec ses personnages de gangsters solitaires, ses bandes rivales, ses duels, ses alliances diverses et ses nombreux retournements de situation, ses polars en reprennent indubitablement les codes en les transposant dans un univers urbain. Dans l’histoire du cinéma, « la trilogie du Milieu » de Fernando Di Leo est une référence aussi importante pour le polar que ne l’est « la trilogie du dollar » de Sergio Leone pour le western. Milan Calibre 9, Passeport pour deux tueurs et Le Boss sont aujourd’hui devenus des classiques incontournables et une référence pour beaucoup, à commencer pour le réalisateur Quentin Tarantino qui, de Reservoir Dogs (1992) à Boulevard de la mort (Grindhouse: Death Proof, 2007) en passant par Pulp Fiction (1994) et son duo de bandits mythique John Travolta – Samuel L. Jackson qui a pour modèle celui que forment Henry Silva et Woody Strode dans Passeport pour deux tueurs, s’inspirera allègrement des films de Di Leo dans son œuvre.
« Je dois beaucoup à Fernando en termes de passion et de réalisation […]. Je suis un grand fan des films de gangsters italiens, je les ai tous vus et Fernando Di Leo est, sans aucun doute, le maître de ce genre. » Quentin Tarantino
Le style unique du réalisateur, l’esthétique de Milan Calibre 9, mais aussi son époque, inscrivent ce dernier dans le genre cinématographique du poliziottesco que l’on traduit par néo-polar italien et que l’on appelle encore polar bis italien ou polar-spaghetti. Succédant à l’âge du film de cape et d’épée, du péplum puis à celui du western-spaghetti, de la fin des années 60 au début des années 80, avec plus d’une centaine de films, le polar urbain poliziottesco sera un genre populaire en Italie qui, frappée par la violence terroriste issue des milieux extrémistes de droite comme de gauche et par la corruption, traverse une période funeste de son histoire, les années de plomb. Années durant lesquelles le peuple italien va vivre dans la terreur des attentats.
Inspiré du cinéma américain et particulièrement des succès internationaux de classiques du film noir comme L’Inspecteur Harry (Dirty Harry, 1971) de Don Siegel, French Connection (The French Connection, 1971) de William Friedkin, Le Parrain (The Godfather, 1972) de Francis Ford Coppola ou encore Le Flingueur (The Mechanic, 1972), Le Cercle Noir (The Stone Killer, 1973) puis Un Justicier dans la ville (Death Wish, 1974) réalisés par Michael Winner et interprétés par Charles Bronson, le poliziottesco repose principalement sur des histoires et des enquêtes policières s’inspirant de faits divers de l’époque. Le genre s’inscrit ainsi dans un contexte historique politique et social sans précédent.
A l’image du giallo dont il est « cousin », le poliziottesco est un genre très codifié qui va venir se substituer aux films d’horreur en mettant l’accent sur une représentation très graphique de la violence. Celui-ci se démarque du film noir classique italien et du film noir américain par son approche sociologique, son action prédominante (courses-poursuites, cascades,…), sa violence exacerbée (explosions, fusillades, règlements de comptes,…), ses accointances avec la thématique récurrente de la vengeance et son traitement des personnages. Reflet de l’époque et des attentats politiques qui ensanglantent le pays, le polar-spaghetti met principalement en avant les protagonistes suivants : flics durs à cuire et incorruptibles vivant au quotidien dans l’enfer de la jungle urbaine; policiers anarchistes et/ou corrompus; antihéros pour qui le sens de l’honneur prévaut face à la loi, ou encore gangsters sans foi ni loi. Dans le polar-spaghetti, la loi n’a pas le dernier mot. Notons que, bien que l’on puisse voir au début des années 70 sur les écrans les premiers films noirs et sociaux co-produit avec l’Italie, tel que ceux d’un cinéaste comme Yves Boisset (Cran d’Arrêt, 1970, adaptation d’un roman de Scerbanenco ; Un Condé, 1970 ; Le Saut de l’Ange, 1971 ; L’Attentat, 1972 ;…), nombre des films de Fernando Di Leo sont pourtant injustement restés inédits en France.
« La trilogie du Milieu » appartient donc à tout un pan du cinéma bis italien resté dans l’ombre en France du fait que les écrans des cinémas de quartier étaient alors inondés, car bons marchés, de films de Kung-fu ou de films érotiques. Au début des années 70, années charnières du polar-spaghetti, avec ses films parfaitement maîtrisés et son sens exacerbé de la tragédie, Fernando Di Leo donnera sa forme définitive et ses lettres de noblesse au genre et deviendra la référence des réalisateurs de poliziottesco.
Comme son titre l’indique, l’action du film Milan calibre 9 se déroule à Milan. Fernando Di Leo filme la ville d’une manière singulière et utilise magistralement le décor citadin comme un personnage à part entière afin d’intensifier le sentiment d’insécurité dû à la recrudescence de la violence urbaine que connaît le pays à cette période.
Dépourvue de tout agrément, prédominante tout au long du film, la lumière naturelle de l’extérieur avec le ciel grisâtre de Milan confère une photographie austère au film. Signée du chef opérateur Franco Villa, la photographie participe grandement à l’atmosphère désespérée que nourrit sciemment le film. Ici Milan est triste, pauvre, gris, sombre, obscur. Loin de l’image tranquille et des clichés que l’on imagine de la ville, Milan Calibre 9 raconte un Milan qui est devenu dangereux, un Milan où la criminalité ne peut plus être arrêtée. Tout peut arriver, n’importe où et n’importe quand.
Dès la stupéfiante séquence du pré-générique du film qui, avec un montage très serré et sans le moindre dialogue, ne manquera pas de saisir et d’interroger le spectateur, Fernando Di Leo pose remarquablement les enjeux de son histoire et donne le ton : Milan Calibre 9 est un film âpre et violent. Exigeant, Di Leo est un cinéaste qui sait ce qu’il veut et qui sait ce qu’il fait. A la fois direct et précis dans le style, Di Leo n’a aucune limite d’inventivité de figure dans l’expression de la violence. Caractéristiques de la singularité de son cinéma, des séquences d’une brutalité hallucinante et des scènes d’actions prodigieusement réalisées et rythmées, lors desquelles, magistrale, la mise en scène prend le dessus sur l’histoire, vont ponctuer le film pour notre plus grand plaisir.
Du fait de la violence mais aussi de l’idéologie politique de ses œuvres, Fernando Di Leo est un habitué des démêlés avec la censure. Quand Milan Calibre 9 est passé à la commission de censure en Italie, les censeurs ont applaudi mais ces derniers ne pouvaient pas laisser sortir un tel film, pas dans cette version. Jugées trop violentes pour l’époque, de nombreuses scènes ont dû être coupées ou raccourcies comme par exemple celle ou le personnage de Rocco, formidablement interprété par Mario Adorf, empoigne un tueur et lui cogne la tête contre l’angle d’un meuble jusqu’à le tuer.
L’amour de Di Leo pour le genre noir lui vient d’abord de la littérature puis évidemment du cinéma avec notamment les films noirs classiques de la Warner Bros.. Le scénario et l’intrigue de Milan calibre 9 ne manquent pas de faire penser au Deuxième souffle (1966) de Jean-Pierre Melville ou encore à Quand la ville dort (The Asphalt Jungle, 1950) de John Huston. En effet, grand cinéphile, Fernando Di Leo a toujours revendiqué ses inspirations, et ses films, aussi personnels soient-ils, témoignent directement de ses influences diverses. Ainsi on retrouve à travers son œuvre aussi bien son amour pour le cinéma de Jean-Pierre Melville que pour celui de John Huston ou encore celui de Don Siegel.
Qu’ils soient gangsters ou flics, Fernando Di Leo ne cherche jamais à filmer des « héros » ni à magnifier ses personnages. Dans ses films, ces derniers ne sont jamais fascinants et restent de simples hommes appartenant à un monde particulier et à une période historique bien précise. Di Leo ne fait aucun honneur à ses personnages. Le Milieu contraint les personnages à s’autodétruire moralement et physiquement. Plus que vivre, ceux-ci se préparent à mourir dans la noirceur de leur environnement qui ne fait que les condamner. A l’image d’un pays criblé de balles, dans son discours comme dans son audace formelle, Milan calibre 9 est le portrait cynique, radical et froid d’un microcosme dévastateur qui condamne et broie de manière inéluctable les hommes qui en font partie. Sans être moralisateur, Di Leo s’est toujours appliqué à mettre en avant dans la mise en scène de ses films ce que l’on pourrait appeler la morale du genre. La morale des personnages qui incarnent ces histoires noires et violentes. La morale des gangsters.
Tout au long du film, aussi bien dans l’action que dans les dialogues, le cinéaste ne manque pas de disséminer des messages nous indiquant que les temps ont changés : La mafia, telle qu’on se la représente dans notre imaginaire collectif avec ses « anciens » et son code d’honneur, n’existe plus, mais a été remplacée par une nouvelle génération de gangsters individualistes dénués du moindre principe et pour qui tous les coups sont permis. La police comme la justice sont corrompues et uniquement au service d’une élite plus riche qui se moque de l’économie du pays et use du système (évasion fiscale,…) à des fins uniquement personnelles. Les institutions participent donc activement à la perversion du système. Di Leo dénonce ouvertement les connections et arrangements qui existent aussi bien entre la pègre et la police, qu’entre la pègre et la justice, mais afin d’éviter tout manichéisme, il oppose clairement, non seulement les différences de valeurs entre les gangsters mais aussi, avec les deux commissaires, les différences de points de vue des policiers, qu’ils soient conservateurs ou progressistes, sur l’idée qu’ils ont de la justice et de leur rôle. En résumé, Milan Calibre 9 expose et confronte deux écoles de criminels face à deux écoles de policiers.
La mise en scène, le décor, la photographie, le montage mais aussi les dialogues participent ensemble à parfaitement restituer l’atmosphère du roman et le climat du moment. Avec Milan Calibre 9, Fernando Di Leo traque la fin d’un monde et nous livre un regard sans concession sur une société qu’il accuse d’être devenue trop partiale. Le traitement singulier et irrévocable que fait le cinéaste de la mafia et de ses hommes dans le film comme dans toute la trilogie du Milieu, vaut à cette dernière d’être considérée comme l’« anti-Parrain » de Francis Ford Coppola.
Pour favoriser l’exportation des films à l’étranger, les productions de l’époque, ou plutôt coproductions, avaient pour judicieuse habitude de proposer des castings internationaux. Composé de gueules remarquables et comprenant des acteurs d’origine italienne, allemande, française et américaine, éclectique et international, le casting de Milan Calibre 9 est non seulement une réussite mais une des forces indéniables du film. En effet, même s’ils ne se comprennent pas tout à fait sur le plateau de tournage et seront doublés par la suite, tous les comédiens sont à la fois bons et parfaits dans leurs rôles respectifs.
Seul personnage « sympathique » du film, Milan calibre 9 fait la part belle au personnage à la fois grave et intense d’Ugo Piazza. Magnifiquement interprété par le comédien Gastone Moschin, le personnage de Piazza se retrouve seul contre les organisations mafieuses et la police qui le surveille. Tout le monde le traque afin de savoir si oui ou non il a détourné les 300 000 lires de l’Américain. Harcelé de tous bords, Piazza est un gangster bourru, un loup solitaire et taiseux proche de l’antihéros Melvillien ou de l’homme sans nom qu’incarne Clint Eastwood dans « la trilogie du dollar » de Sergio Leone. Calme et imperturbable, le caractère d’Ugo contraste avec celui des autres personnages et les évènements qui se déroulent. Alors qu’il est plus populaire en Italie pour ses rôles comiques, avec son visage impassible, toute en intensité retenue, la prestation du comédien Gastone Moschin dans le film est pour le moins époustouflante tant elle rappelle celle d’Alain Delon dans Le Samouraï (1967) ou encore celle de Lino Ventura dans Le Deuxième Souffle (1966), tous deux réalisés par Jean-Pierre Melville. Gastone Moschin a tourné avec de nombreux cinéastes italiens qui comptent parmi les plus grands comme Damiano Damiani (Les Femmes des autres, 1963), Antonio Pietrangeli (Annonces matrimoniales, 1963), Mario Monicelli (Les Ogresses, 1966; Mes Chers Amis, 1975;…), Pietro Germi (Ces messieurs dames, 1966), Marco Ferreri (Le Harem, 1967), Bernardo Bertolucci (Le Conformiste, 1970), Luigi Comencini (Italian Secret Service, 1968), Sergio Corbucci (Le Spécialiste, 1969) et bien d’autres. Notons également sa présence à l’affiche de Le Parrain 2e partie (1974) de Francis Ford Coppola aux côtés de Robert De Niro et Al Pacino ou encore d’Une femme à sa fenêtre (1976) de Pierre Granier-Deferre aux côtés de Romy Schneider et Philippe Noiret.
Aux côtés de Gastone Moschin on retrouve dans le rôle de Rocco, l’homme de main sadique de « L’Américain », l’impressionnant Mario Adorf qui, en 60 ans de carrière compte plus de deux cents films à son actif. De Sam Peckinpah (Major Dundee, 1965) à Dario Argento (L’oiseau au plumage de cristal, 1970) en passant par Robert Siodmack (La Nuit quand le diable venait ou Les SS frappent la nuit, 1957), Yves Boisset (Cran d’arrêt, 1970), Luigi Comencini (Les Aventures de Pinocchio, 1972), Volker Schlöndorff (Le Tambour, 1979), Rainer Werner Fassbinder (Lola, une femme allemande, 1981) ou encore Dino Risi, Claude Chabrol, Georges Lautner, Ettore Scola, Franco Rossi, Sergio Corbucci, Aldo Lado, Billy Wilder, Antonio Pietrangeli, John Frankenheimer et Jerzy Skolimowski, Mario Adorf a tourné pour les plus grands réalisateurs. D’origine germano-italienne, habitué aux films de genre des années 60 et 70, Mario Adorf est effrayant et parfait dans son rôle de brute hystérique incontrôlable. Son interprétation est tout simplement aussi hallucinée qu’hallucinante.
C’est le comédien français Philippe Leroy, qui a été révélé dans Le Trou (1960) de Jacques Becker et que l’on a pu voir entre autres dans Pleins feux sur l’assassin (1961) de Georges Franju, Les 55 jours de Pékin (55 days at Peking, 1963) de Nicholas Ray, Les Bandits (Llanto por un bandido, 1964) de Carlos Saura, Une femme mariée (1964) de Jean-Luc Godard, La Guerre des gangs (Milano rovente, 1973) d’Umberto Lenzi ou encore Portier de nuit (Il Portiere di notte, 1974) de Liliana Cavani, qui interprète le personnage de Chino, l’ancien complice de Piazza, qui fait partie de la génération de ceux pour qui le respect des règles du Milieu et le sens de l’honneur sont comme une seconde nature.
Révélé chez Roger Corman (I Mobster, 1958 ; La Femme guêpe, 1959 ; Ski Troop Attack, 1960) puis vu à l’affiche de films comme Le Grand Silence (Il Grande Silenzio, 1968) de Sergio Corbucci ou Il était une fois dans l’Ouest (C’era una volta il West, 1968) de Sergio Leone, le comédien américain Frank Wolff incarne parfaitement le personnage arrogant et réactionnaire du Commissaire principal.
Le second Commissaire du film, l’avant-gardiste Commissaire divisionnaire Mercuri, pour qui les inégalités sociales sont une des causes principales de la criminalité, ne partage pas les idées de son collègue rétrograde et est en lutte contre sa hiérarchie. Mercuri est interprété par le comédien Luigi Pistilli que l’on a pu voir à l’affiche de nombreux westerns spaghetti et gialli comme Et pour quelques dollars de plus ( Per qualche dollaro in più, 1965) et Le Bon, la Brute et le Truand (Il buono, il brutto, il cattivo, 1966) de Sergio Leone, Le Grand Silence (1968) de Sergio Corbucci, La Queue du scorpion (La coda dello scorpione, 1971) de Sergio Martino, L’Iguane à la langue de feu (L’iguana dalla lingua di fuoco, 1971) de Riccardo Freda ou encore La Baie sanglante (Reazione a catena, 1971) de Mario Bava.
Dans le rôle de « L’Américain », le chef de gang intraitable qui tient la ville de Milan, on retrouve l’excellent acteur américain Lionel Stander qui, après avoir connu une incroyable carrière aux Etats-Unis, où dans les années 30 et 40 il a tourné avec Ray McCarey, William Wyler, Leo McCarey, Frank Capra, Henry Hathaway, William A. Wellman, Fritz Lang ou Preston Sturges, a été victime du maccarthysme, et a connu une seconde carrière en Europe avec notamment des cinéastes comme Roman Polanski qui lui confiera l’un des rôles principaux de Cul-de-Sac en 1966, Andrzej Wajda, Sergio Leone, Luigi Comencini ou Dino Risi. Pilier américain du cinéma de genre en Italie durant près d’une décennie, Lionel Stander regagne les Etats-Unis en 1977 et tourne entre autres sous la direction de cinéastes tels que Martin Scorsese ou Steven Spielberg.
Don Vincenzo, l’ancien « parrain » de Milan qui n’a plus aucun pouvoir et dont seul Chino est resté proche, est interprété par l’acteur italien Ivo Garrani que l’on a pu voir jouer sous la direction de réalisateurs comme Jacques Tourneur, Roberto Rossellini, Mario Bava, Sergio Corbucci, Luchino Visconti, Abel Gance ou Costa-Gavras. Aveugle, Don Vincenzo symbolise dans le film une Mafia à l’agonie.
Incandescente et sublime dans le rôle de Nelly, c’est l’actrice germano-américaine naturalisée italienne Barbara Bouchet qui campe le personnage très important de la compagne go-go danseuse d’Ugo Piazza. Dans la scène mémorable, merveilleusement filmée en contre-plongée, qui introduit son personnage de femme fatale dans le film, cette dernière fait une performance inoubliable en parure de perles dans une discothèque. Barbara Bouchet a débuté sa carrière en effectuant des petits rôles aux Etats-Unis avant d’être remarquée avec son rôle de Moneypenny dans Casino Royale (1967) la parodie américano-britannique des James Bond. Elle part ensuite faire carrière en Italie où, du drame à la comédie en passant par le néo-polar, le giallo ou encore l’érotique, elle jouera dans de nombreux films comme La Tarentule au ventre noir (La Tarantola dal ventre nero, 1971) de Paolo Cavara, Les Mille et Une Nuits érotiques (Finalmente… le mille e una notte, 1972) d’Antonio Margheriti, La longue nuit de l’exorcisme (Non si sevizia un paperino, 1972) de Lucio Fulci, Diamants de sang (Diamanti sporchi di sangue, 1977) de Fernando Di Leo ou Spaghetti a mezzanotte (1981) de Sergio Martino. Barbara Bouchet est également à l’affiche de Gangs of New York (2002) de Martin Scorsese.
Pour composer la bande originale qui rythme superbement le film, Di Leo va faire appel au compositeur argentin Luis Enriquez Bacalov dont il avait beaucoup aimé le concerto grooso per i New Trolls, et au groupe de rock progressif italien Osanna, groupe dans la mouvance de Genesis période Peter Gabriel. Milan Calibre 9 marque le début d’une longue collaboration entre Fernando Di Leo et le compositeur Luis Bacalov qui a également travaillé avec des cinéastes comme Federico Fellini, Pier Paolo Pasolini, Ettore Scola, Damiano Damiani, Sergio Corbucci, Elio Petri, Michael Radford, Robert Duval ou Quentin Tarantino.
Riche en thématiques, ressorts dramatiques, personnages, actions et rebondissements, le scénario de Milan Calibre 9 et son traitement original, mais aussi la mise en scène singulière et efficace, l’esthétique visuelle, le montage serré et l’interprétation inspirée des comédiens, participent à la forme radicale et au discours sans concession de ce polar implacable qui, de bout en bout, tient le spectateur en haleine.
Noir, froid, violent et désespéré, d’une modernité manifeste et dans le même temps peinture fidèle d’une époque, Milan Calibre 9 connaîtra un succès mérité qui permettra de lancer le projet de Passeport pour deux tueurs, le second volet de la « trilogie du Milieu » qui, coproduit par un certain Roger Corman, sera distribué aux Etats-Unis. Grand film oublié, Milan Calibre 9 est une pépite à (re)découvrir absolument ! Un classique du cinéma. Culte.
Steve Le Nedelec
La Trilogie du milieu – Milan Calibre 9, Passeport pour deux tueurs et Le Boss, une indispensable édition Éléphant Classics Films, en coffret (Blu-ray ou DVD), masters HD superbes avec une myriade de suppléments, pour Milan Calibre 9 : Milano Calibro par René Marx sur Fernando Di Leo et sa trilogie (23 minutes). Milan Calibre 9 : un documentaire, témoignages sur Fernando Di Leo et sur ses films et entretien avec Di Leo (29 minutes). Fernando Di Leo, la morale du genre, interviews passionnantes de Fernando Di Leo et de ses collaborateurs (39 minutes). Giorgio Scerbanenco : le maître du polar italien,«Scerbanenco arrive a photographier, à radiographier même, l’autre facette du boom économique » portrait d’un des plus grands auteurs de polars italiens(26 minutes). Une galerie de photos de Milan Calibre 9 commentée par Gastone Moschin : « J’étais aux anges de jouer dans ce polar, loin de certains clichés dont j’essayais de m’éloigner » (3 minutes). La bande-annonce d’époque (3 minutes) et enfin sur la « galette » la bande-annonce de présentation des films de la trilogie (sur la magnifique musique de Luis Bacalov) (2 minutes). Et cadeau supplémentaire, un excellent livret : La Trilogie du milieu, belle introduction au Poliziottesco, de son contexte historique, aux principaux comédiens du genre en passant, bien sûr par les films de Fernando Di Leo par Alain Petit (52 pages). Un must !
Milan Calibre 9 (Milano Calibro 9) un film deFernando Di Leo avec Gastone Moschin, Barbara Bouchet, Mario Adorf, Lionel Stander, Philippe Leroy, Frank Wolff, Luigi Pistilli, Ivo Garrani, Mario Novelli… Scénario : Fernando Di Leo d’après le roman de Giorgio Scerbanenco. Directeur de la photographie : Franco Villa. Décors : Francesco Cuppini. Costumes : Francesco Cuppini. Montage : Amadeo Giomini. Musique : Luis Enriquez Bacalov, Osanna. Producteur : Armando Novelli. Production : Cineproduzioni Daunia 70. Italie. 1971-72. Version intégrale : 102 minutes. Version française : 92 minutes. Eastmancolor. Telecolor. Format image : 1,85 :1. 16/9e. Version : Version originale sous-titrée en français et Version française d’époque. DTS HD Mono 2.0. Tous publics avec avertissement.