Michael Noer

Entretien avec Michael Noer, l’un des jeunes réalisateurs les plus prometteurs du cinéma danois. Auteur du formidable Northwest, portrait honnête, réaliste et sans concession d’une jeunesse abandonnée à elle-même dans un quartier défavorisé de Copenhague.

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KinoScript : Northwest, votre deuxième long métrage de fiction est votre premier film à sortir sur les écrans en France. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots pour nos lecteurs qui vous découvriraient aujourd’hui ?

Michael Noer : Je m’appelle Michael Noer, je suis Danois et j’ai 34 ans. Je suis allé à la « Danish Film School » de mes 22 à mes 24 ans, puis j’ai intégré un atelier de films documentaires. J’ai l’habitude de faire des documentaires, je pense donc que cette habitude à influencer toute ma manière de travailler. Y compris sur les films de fiction.

KS : Concrètement, comment avez-vous travaillé sur ce film ?

M.N. : J’ai fait beaucoup de recherches. Et quand je fais mes recherches, j’essaie au maximum de garder mes yeux et mes oreilles ouverts, d’observer, afin de trouver des acteurs potentiels, des lieux, etc… Pour ce film, j’ai commencé en déambulant dans « Nordvest » (le quartier de Copenhague où se déroule cette histoire et qui donne son titre au film) et j’ai trouvé que c’était une bonne manière de faire connaissance avec les gens.

KS : Comment la rencontre et le contact avec les habitants de ce quartier se sont-ils passés ?

M.N. : Il y a beaucoup de diversité ethnique et aussi beaucoup de délinquance et de criminalité chez les jeunes dans cette zone. C’est pourquoi il était très important pour moi que je rencontre les gens, à commencer pour ma sécurité. Quand ils ont su que j’étais juste là pour faire un film, les choses sont devenues beaucoup plus faciles pour moi. J’ai trouvé, en parlant avec les gens, qu’il y avait une espèce d’histoire d’amour entre le crime et les films, le cinéma. Quand je demandais au gens s’ils avaient envie d’être dans un film, tout de suite ils me répondaient oui ! Chez les criminels, il y a  beaucoup de personnes qui se voient comme des stars de cinéma. J’étais donc obligé de leur expliquer que je ne voulais pas faire un film qui glorifie le crime, au contraire même. Mais, je ne voulais pas leur donner de motif, ni de raison, parce que lorsqu’on dit aux gens que l’on veut faire un film, tout de suite ils s’imaginent que ça va péter dans tous les sens, que tout va être génial… Je me  sentais donc vraiment obligé d’expliquer que ce n’était pas mon but ! Je pense que ça vient de ma formation aux documentaires.

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KS : … Et concernant votre choix pour les deux frères,  les rôles principaux du film ?

M.N. : Ce qui m’intéressait le plus, c’était vraiment de trouver deux vrais frères pour jouer les deux rôles principaux. Une mère m’a écrit sur facebook pour me dire qu’elle avait deux fils intéressés par les rôles. Quand ils sont arrivés au casting, le contraste avec les autres participants pour les rôles à interpréter était évident. Le choix l’a donc été également. C’était sympa, et très agréable de travailler avec eux. Ils étaient passionnés. C’était vraiment « fun » de travailler avec eux ! Ils ont mis du temps avant de me faire confiance, mais dès qu’ils ont eu confiance, il n’y avait plus aucune réserve de leur part, ni d’apriori sur le fait d’être filmé. On peut peut-être comparer ça à un voyage que nous avons fait ensemble. C’est ce que j’adore dans cette profession : Faire connaissance avec des vraies personnes, voir ce que je peux utiliser chez eux et ce qu’ils peuvent m’apporter. On dirait presque des jumeaux, c’est exactement ce que je recherchais pour la dualité mise en avant dans l’histoire. Il y a presque un côté masculin et un côté féminin ! C’est le jeune frère qui a vraiment ce côté féminin qu’il finit par essayer de dominer afin de devenir un vrai homme… C’est ce qu’il y a de terrible dans le monde du crime. Pour être un vrai homme vous devez faire des choses terribles. L’histoire en elle même est vraiment simple, comme la structure du film. C’est ce qui nous a permis d’improviser. Avec une histoire plus complexe, il y aurait eu moins de place pour l’improvisation. Donc cette manière de faire, « documentaire », est vraiment une inspiration pour ce film. J’ai également beaucoup utilisé de petites caméras manuelles afin de capturer les bons moments. Tout n’est pas une question de mise en scène, c’est aussi une question de sentiments.

KS : Combien de temps ont pris les différentes étapes du film : l’écriture, la préparation, le tournage… ?

M.N. : Au total, de l’idée initiale à la fin du tournage, cela a pris deux ans. Pendant ces deux années, j’ai fait beaucoup de recherches et beaucoup de castings. En fait, j’avais les garçons six mois avant le début du tournage. En soit, il n’y a eu que trente jours de tournage. Et comme je sais gérer mon budget, on a fait 28 jours de tournage, plus deux jours de prévus au cas où il aurait fallu retourner des scènes.

KS : Parlez-nous un peu de votre manière de travailler au quotidien sur le plateau.

M.N. : Le problème avec ma manière de travailler, c’est que parfois les scènes sont trop improvisées et il faut refaire les scènes. Le reste du temps, on était sur place, dans l’appartement, on y vivait tous ensemble et c’était génial, on se sentait comme chez nous. Tout le monde était ensemble. Les scènes qui se passent chez les garçons étaient filmées dans cet appartement. Moi-même, la nuit je dormais dans le lit de la sœur et le matin, on se levait, l’équipe était là, et tout le monde savait quoi faire et où tout se trouvait. Ça a beaucoup aidé. Les acteurs ne regardaient jamais le script, ils connaissaient l’histoire et n’avaient qu’à m’écouter s’ils avaient un doute sur quelque chose. J’ai vraiment misé sur leurs mémoires et le reste sur leur improvisation. Pour moi, cela donne un coté vrai à la scène, comme deux personnes qui se parleraient dans la vie de tous les jours. Quand ils ont été habitués à l’histoire, cela a été très facile de travailler avec eux. Les garçons pouvaient regarder par la fenêtre de l’appartement et regarder les gens passer etc. Ainsi, ils avaient l’impression d’être dans la vraie vie et ça leur rendait l’improvisation plus facile.

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KS : Northwest est comme un thriller social qui se situerait entre la trilogie Pusher de Nicolas Winding Refn et le cinéma naturaliste et social de Ken Loach. Ce qui fait la force de votre film est ce qui le rend d’autant plus effrayant. Qu’en pensez-vous ?

M.N. : (Souriant) C’est tout le cinéma que j’aime vraiment beaucoup. Merci. J’aime également les films des frères Dardenne. Le cinéma européen en général. Ce qui n’empêche que j’aimerais bien faire un Die Hard (Piège de Cristal) un jour… mais à la manière des frères Dardenne ! (Rires). J’aime regarder les Classiques y compris dans le cinéma d’action.

KS : Nous remarquons que vous avez en partie travailler avec la même équipe (mêmes producteurs, même chef opérateur, même monteur, même acteur) que celle du film Hijacking réalisé par votre ami Tobias Lindholm et sorti sur nos écrans le 10 juillet dernier. Comment vous êtes-vous tous  rencontrés ?

(Michael Noer et Tobias Lindholm ont co-réalisé « R » (toujours inédit en France), leur premier long métrage de fiction en 2010).

M.N. : Tobias est plus un « écrivain », il écrit des scénarios. Il a récemment écrit le sublime scénario de La Chasse (Jagten) de Thomas Vinterberg avec Mads Mikkelsen. Ce que j’aime chez lui, c’est son coté simple et efficace. On s’est rencontré quand je faisais des documentaires et que lui écrivait des scénarios. J’ai voulu faire un court métrage et j’ai eu besoin de quelqu’un qui pouvait mettre un peu d’ordre dans toutes mes recherches. Depuis, je travaille avec lui. C’était donc normal que je travaille avec lui sur ce projet ! Un jour, on a vu un film ensemble, une histoire d’amour, avec des scènes dans lesquelles on pouvait voir en arrière-plan des gens pisser ou encore des chevaux s’accoupler. On a trouvé ça « drôle » et on est devenu amis. Et Tobias m’a dit, « mais pourquoi ne pas faire la même chose ? Utiliser la même méthode avec le même message mais transposé dans une prison ». C’était juste avant Un Prophète. Mais les deux films sont sortis à peu près à la même époque. Vous connaissez la suite… Bref, nous avons fait R, un film sur l’univers carcéral qui devrait sortir en salle en France le 15 janvier prochain.

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Le fait d’avoir travaillé en partie avec la même équipe que Tobias sur Hijacking nous a permis de tourné avec beaucoup de matériel. Adam, le monteur, sait toujours ce qu’il cherche et où et comment  le trouver. Il ramène le matériel brut à une structure conceptuelle. Il cherche vraiment les émotions. Tout comme Magnus, le directeur de la photographie qui utilise plus ses oreilles qu’il n’utilise ses yeux. Comme dans un documentaire. C’est très sain travailler avec les mêmes personnes.

KS : Pouvez-vous nous en dire un peu plus au sujet de R, votre premier long métrage de fiction co-réalisé avec Tobias Lindholm ? 

M.N. : Pour le casting de R, nous avons choisi des ex-condamnés. Tout l’intérêt, le travail sur ce film tournait autour de la question : Comment se reconstruire durant son séjour en prison ? Même le maton était un vrai maton. Le processus de reconstitution était donc très facile. On n’avait plus qu’à superposer notre histoire avec cette réalité reconstruite. Nous avons fait exactement la même chose avec Northwest et un peu également avec Hijacking. La différence entre Northwest et Hijacking, c’est que ce dernier est plus basé sur un cas, un fait. Alors que Northwest est plus basé sur l’histoire fictive d’une seule personne dans un situation réelle… C’est donc ainsi que nous nous sommes rencontrés avec Tobias, et que nous avons développé cette méthode de travail ensemble. On est devenus amis car on aime tous les deux Die Hard, mais également des films plus « difficiles », des films d’auteurs, des films indépendants.

KS : C’est drôle de voir que vous étiez tous les deux présents en compétition, avec vos premiers films respectifs (en solo), au dernier Festival International du Film Policier de Beaune. Festival où vous avez remporté le Prix du Jury ainsi que le Prix de la Critique. Hijacking y a également remporté le Prix spécial Police. C’est un peu comme vos deux personnages, deux frères…

M.N. : (Rires) Effectivement, ici, Tobias et moi sommes un peu comme ces deux frères dans cette histoire, en compétition en permanence, en rivalité et très jaloux l’un de l’autre, mais quoi qu’il en soit, à la fin de la journée, nous sommes toujours là l’un pour l’autre, et on fait tout pour s’entraider. Nous nous souhaitons mutuellement ce qu’il y a de mieux l’un pour l’autre parce que nous venons de la même tradition. C’est drôle car à chaque fois qu’on se croise dans un Festival, on gagne toujours un prix chacun… C’est toujours bien d’avoir un « frère de film » car on est souvent seul et isolé quand on fait un film. C’est toujours agréable d’avoir quelqu’un sur qui compter. Comme une famille.

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KS : Depuis quelques années, en France, on découvre beaucoup de jeunes réalisateurs Danois talentueux. Comment expliquez-vous cela ? Est-ce une conséquence de la vague de mouvement du Dogme ou avez-vous une meilleure structure au niveau de l’industrie cinématographique: Écoles, financement, production,… ?

M.N. : Je pense que c’est surtout parce que nous avons une très bonne situation économique  au Danemark. On n’a pas peur de demander des aides auprès du gouvernement pour pouvoir produire un film, parce qu’ils acceptent. Nous avons un très bon système de financement qui nous permet de prendre notre temps afin de développer un projet. Il y a aussi une autre chose : Le Danemark est tellement petit que tout le monde se connaît. Je connais Nicolas Winding Refn, Thomas Vinterberg, Lars von Trier,… On peut demander conseil aux gens, on s’aide, on se parle ! C’est une bonne chose. Nous sommes comme une famille de cinéma.

KS : Et la société ?

M.N. : Quand tu viens d’un pays qui ne montre pas vraiment ses problèmes, tu es poussé à te concentrer sur la question : Quel est le problème ? Par exemple, au Danemark, les gens sont habitués à dire qu’il n’y a pas de problème de racisme, mais quand vous allez à « Nordvest » vous pouvez sentir les tensions qui existent réellement… Mon propre père est dans la police et est très affecté par l’image que renvoie les médias. Même si le Danemark est présenté comme un pays très ennuyeux où tout est parfait, il est vraiment facile de voir les problèmes. La Chasse parle beaucoup de cela. Cette manière d’être, de parler, de penser est typiquement Danoise et ça se retrouve dans les traditions et l’histoire même du pays. C’est une histoire de culture.

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KS : Une fois le film terminé, qu’en ont pensé les acteurs ?

M.N. : C’est une toute autre histoire pour les acteurs professionnels car ils ont leurs vies privées. Ils ne vivent pas à « Nordvest ». J’étais donc plus intéressé et curieux de savoir ce que pensaient les personnes qui vivaient dans le quartier. Un des gars que j’ai pris pour m’aider dans mes recherches  a été très surpris et très ému par le film. Quand je lui ai raconté l’histoire, pour lui, c’était, comme un portrait très superficiel de quelque chose qui se passe puis quelque chose d’autre qui arrive, etc, etc… Mais quand il a vu le film fini, il était touché. J’étais très fier d’avoir réalisé un film qui plaise à un jeune qui n’aime que les films commerciaux et qui n’écoute que de la musique techno. En même temps, j’ai utilisé pour le film la musique qu’ils écoutent et qu’ils aiment. Je demandais aux jeunes du quartier la musique qui leurs plaisait, donc forcément, quand ils ont vu le film, ils m’ont tous dit qu’ils aimaient la musique (Rires).

KS : Pouvez-vous nous parler de votre prochain projet ?

M.N. : Pour moi, mon prochain film est une étape logique dans la suite des choses. Pour des raisons personnelles, j’ai toujours voulu faire un film dans une maison de retraite. J’attends juste le bon moment pour le faire. Ça a été un long processus d’essayer de faire un film qui ne soit pas un mélodrame. Beaucoup pensent qu’au cinéma, les personnes âgées doivent juste être assises et parler pour faire un bon film. Pas pour moi. Je veux faire quelque chose qui traite de leurs problèmes, de leur quotidien. Comme un thriller mais avec de gens de 70/80 ans qui ne courent pas mais  marchent comme ils le peuvent, s’embrassent, se battent, etc… L’opposé de ce que j’ai fait avec Northwest

KS : … Et toujours avec ce format documentaire, naturaliste ?

M.N. : Oui. Ce qui est bien avec ce film, c’est que j’avais besoin de gens inconnus, des jeunes de 16/17 ans, pour ce prochain film, j’aurai besoin de gens qui auront 70,80 voir 90 ans. Ce que j’aime dans un film, c’est voir des visages que je vois dans la rue, pas forcément des visages que je reconnais. Le drame doit essentiellement se concentrer sur des personnages spécifiques. C’est aussi pour cette raison que La Chasse est un très bon scénario. Je voudrais vraiment approcher cet univers, ce style là.

KS : N’êtes-vous pas tenté de travailler avec des comédiens confirmés comme Mads Mikkelsen par exemple ?

M.N. : Ça dépend si ça rentre dans le rôle où pas. Parfois on a l’impression que ça ne va pas marcher, puis on ajoute le contexte émotionnel et sentimental et tout de suite ça fonctionne. C’est l’une des choses qui était vraiment passionnante avec ce film. Les garçons avaient l’âge exact de leurs personnages. Je pouvais les interroger et rentrer dans leurs têtes. Leurs demander « comment ça va ? Qu’en penses-tu ? Quel genre de musique écoutes-tu ? Combien de copines as-tu eu ?… ». Moi je n’ai pas 18 ans, je n’en sais rien, du moins, je ne sais plus. Il y a beaucoup de choses que je trouvais cool, mais qui aujourd’hui ne le sont plus pour eux. C’était eux les experts sur le tournage. J’ai vraiment essayé de m’adapter au maximum, par exemple avec les vêtements. Je choisis un acteur uniquement si je peux l’utiliser en tant qu’expert. Le problème des films aujourd’hui, c’est l’argent, la rentabilité. Avec l’argent vont les visages. Si on fait un film pour telle somme, il faut le visage qui va avec. C’est le bon coté des films à petit budget: On n’aura pas le « visage » mais on aura quelqu’un de plus vrai et crédible. Cela va donc induire une situation plus proche de la réalité.

KS : Êtes-vous tenté par d’autres expériences dans d’autres pays ?

M.N. : Pendant des années certains ont cherché a transformer notre manière de faire du cinéma. A formater notre style à la vision du cinéma américain. Nicolas Winding Refn a réussi à transcender la tradition cinématographique européenne et à infiltrer le style et l’industrie américaine. Selon moi, Drive est un succès pour cette raison là. Nous sommes tous très fier de son triomphe. Pour l’instant j’essaye au maximum de me concentrer sur la prochaine étape. Pour moi cette étape comporte beaucoup de challenges et beaucoup d’émotions personnelles. Un projet demande tellement de temps et d’investissement personnel que je ne ferai quelque chose que si j’y trouve une motivation personnelle sérieuse. Mais Nicolas Winding Refn a prouvé que c’était possible.

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Propos recueillis par Steve Le Nedelec à Paris le 26 septembre 2013 (Traduction : Beth Maslen et Steve Le Nedelec).

Photos Northwest Copyright Magnus Nordenhof Jonck / Michael Noer Copyright Steve Le Nedelec