Midi. Une belle journée ensoleillée sur New York. Les gens vaquent à leurs occupations. Quand soudain, un homme à vélo s’effondre ! Sur un réservoir d’eau, un homme, un fusil à lunette, tire au hasard sur la foule. La panique gagne la rue, c’est un carnage. L’inspecteur Peter J. Nicholas (Tony Lo Bianco) est dépêché sur place. Il monte jusqu’au sniper. Une discussion s’engage entre eux. Le tueur, Harold Gorman (Sammy Williams), est étrangement calme et serein. Il n’a qu’une justification à ce massacre : « Dieu me l’a ordonné »…
Meurtres sous contrôle est l’un des films fantastique les plus perturbants des années 70. Le titre orignal : God Told Me To (Dieu me l’a ordonné) est bien plus explicite que le français. Dieu est ici le mal, celui qui guide les hommes vers des extrêmes funestes. Larry Cohen prend le contre-pied des films où le diable mène la danse : Rosemary’s Baby (1968), L’Exorciste (The Exorcist, 1973) ou La Malédiction (The Omen, 1976). Larry Cohen associe folie religieuse et tueur de masse, le choc des images est loin de s’être atténué avec le temps, il s’en retrouve même décuplé avec l’actualité de ce début du XXIe siècle. Tuer au nom de Dieu, est une réalité.
Meurtres sous contrôle, est une série B, tourné comme un documentaire avec un rythme de thriller qui aboutit à une dimension fantastique quasiment métaphysique. L’inspecteur Nicholas enquête sur une étrange vague de crimes avec un point commun, ils sont commis : au nom de Dieu. La dimension religieuse des crimes est étouffée par la hiérarchie de Nicholas qui ne veut pas en entendre parler. Tout ce qui touche à la religion est sensible. L’idée d’une conspiration ou d’une convergence des actes commandités est effacée par les autorités. Nicholas refuse l’idée de tueurs solitaires ou d’actes spontanés, mais aux yeux de ses collègues, il est un obsessionnel, et son enquête jugée délirante. Nicholas met à jour une « organisation » qui dépasse le simple fait-divers par son ampleur mystique.
L’inspecteur est un italo-américain, orphelin, catholique, cette affaire de tueurs qui exécutent au nom de Dieu, fait vaciller les fondements de sa foi. Chaque jour est pour l’inspecteur le renouvellement d’un combat afin de rester dans le droit chemin et de poursuivre sa quête d’un père. Sa vie intime ne correspond pas à ses aspirations morales. Il a une femme et une maîtresse, dont chacune connaît l’existence de l’autre. Il refuse la paternité, refuse de se projeter en père. Il vit avec une profonde douleur en lui dont il n’arrive pas à identifier l’origine.
Larry Cohen nous raconte le long chemin de croix de l’inspecteur Nicholas. Personnalité complexe, qui s’éloigne de sa vie de policier et sentimentale pour s’enfoncer dans un monde sombre et secret en plein cœur de Big Apple. Une enquête qui se transforme une quête d’identité. La religiosité de l’inspecteur est le voile qui recouvre une vérité qui se révélera à lui sous une forme démentielle. Larry Cohen « clôt » Meurtres sous contrôle sur un arrêt sur image sur l’inspecteur Nicholas, n’est qu’un début sur un mouvement sans fin.
Larry Cohen est un excellent scénariste à l’imagination débordante, mais aussi un réalisateur inspiré et un producteur pragmatique. Comme pour toute petite production réussie, Larry Cohen fait preuve d’opportunisme et d’ingéniosité. Il opte pour un style, cinéma direct, avec une caméra mobile et des courtes focales. Il tourne dans New York, sans autorisation, ce qui l’oblige à faire vite, a volé des plans et à mettre ses acteurs au cœur d’événements (le défilé de la Saint-Patrick), cette urgence donne une formidable énergie à ses plans et une indéniable impression de réalité. Quelques scènes sont bluffantes : le sniper sur le réservoir d’eau, l’attaque au couteau dans l’escalier (magnifiquement filmé et éclairé), l’apparition de la femme nue sous la pluie avec sa colorimétrie sépia, l’être de lumière dans son halo.
Pour ses scènes « rencontres du 3ème type », il utilise des stock-shots de la série Cosmos 1999, dont le fameux vaisseau Alpha. Larry Cohen rend un véritable hommage à 2001 : l’odyssée de l’espace (2001 : A Space Odyssey, 1968), en utilisant l’œil flashé de l’astronaute Bowman (Keir Dullea), plan bref mais instantanément identifiable. Plus qu’une réelle admiration de Larry Cohen pour le film de Kubrick, Meurtres sous contrôle, rejoint l’idée d’une intervention extraterrestre dans la destinée de l’homme.
Meurtres sous contrôle bénéficie d’une solide distribution. Tony Lo Bianco n’était pas le premier choix de Larry Cohen pour incarner l’inspecteur Peter J. Nicholas. Lo Bianco remplace en cours de tournage Robert Foster, un habitué des séries B à qui Quentin Tarantino redonnera une nouvelle jeunesse avec Jackie Brown (1997). Larry Cohen avait précédemment dirigé Tony Lo Bianco dans l’une de ses pièces, après l’avoir découvert dans Les Tueurs de la lune de miel (The Honeymoon Killers, 1970). Ce remplacement s’avère une chance pour Meurtres sous contrôle. Contrairement à Foster, Lo Bianco porte avec lui un aspect catholique lié, dans l’imaginaire collectif, à la communauté italo-américaine. L’inspecteur Nicholas est par bien des aspects l’ancêtre soft du Bad Lieutenant (1992) d’Abel Ferrara.
La blonde Deborah Raffin et la brune Sandy Dennis, incarnent les deux « femmes » de l’inspecteur. Si Deborah Raffin n’a pas eu une grande carrière au cinéma, pourtant après Meurtre sous contrôle, on la retrouve dans un autre film fantastique tout aussi dérangeant : La Sentinelle des maudits (The Sentinel, 1977) de Michael Winner, cinéaste qu’elle retrouve pour le cartoonesque Justicier de New York (Death Wise 3, 1985), troisième volet du Justicier dans la ville.
Sandy Dennis aura une carrière plus importante. Issue de l’Actor’s Studio, c’est tout naturellement qu’elle débute au cinéma sous la direction d’Elia Kazan dans La fièvre dans le sang (Splendor in the Grass, 1961). Son nom ira grandissant sur scène et au cinéma. Elle décroche l’Oscar du meilleur second rôle féminin pour son interprétation de Honey dans Qui a peur de Virginia Woolf (Who’s Afraid of Virginia Woolf ?, 1966) tandis qu’Elizabeth Taylor obtient celui de la meilleure actrice. Sandy Dennis se partage entre le théâtre et le cinéma, son jeu est toujours surprenant. On peut sans mal retenir de sa carrière : son personnage de lesbienne dans Le Renard (The Fox, 1967) adaptation de D.H. Lawrence par Mark Rydell. Ses deux films avec Robert Altman : That Cold Day in the Park (1969) et Reviens Jimmy Dean, reviens (Come Back to the 5 1 Dime Jimmy Dean, Jimmy Dean, 1982). Sandy Dennis est une excellente sparring-partner de Jack Lemmon dans Escapade à New York (The Out of Towners, 1970) écrit par Neil Simon et réalisé par Arthur Hiller. Elle est d’une grande subtilité dans Une autre femme (Another Woman, 1988) de Woody Allen. Sa dernière apparition au cinéma est dans le film de Sean Penn : The Indian Runner (1991).
Larry Cohen double, et c’est logique un autre personnage dans Meurtres sous contrôle : Elizabeth Mullin. Vita Taylor l’incarne jeune et Sylvia Sidney dans le grand âge. Vita Taylor aura une toute petite carrière au cinéma et le plus souvent nue à l’écran, un bonheur. Elle est capturée et aspirée dans le vaisseau extraterrestre dans Meurtre sous contrôle. Le plus amusant dans l’histoire est qu’elle fera une apparition dans Cosmos 1999. Son rôle le plus marquant celui de Danaé, mère de Persée, dans le Choc des Titans (Clash of the Titans, 1981) de Desmond Davis. Peu de films pour Vita Taylor avec une carrière quasi-muette.
Ce qui est totalement l’inverse de Sylvia Sidney, magnifique actrice de l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Né d’un père roumain et d’une mère russe, Sylvia Sidney débute en 1927 au cinéma, rapidement elle monte les marches de la gloire. Dès 1931, Silvia Sydney est en tête d’affiche. Elle forme avec Gary Cooper un couple fou d’amour dans Les carrefours de la ville (City Street, 1931), chef-d’œuvre du film noir écrit par Dashiell Hammett et réalisé par Rouben Mamoulian et la même année dans Une tragédie Américaine (An American Tragedy) de Josef von Sternberg, Street Scene de King Vidor. Sa grande palette d’émotions lui permet d’incarner des héroïnes au destin chaotique. Les plus grands trouvent en elle, une interprète subtile. Fritz Lang, à trois reprises : Furie (Fury, 1936), J’ai le droit de vivre (You Only Live Once, 1937) et Casier Judiciaire (You and Me, 1938). Alfred Hitchcock, Sabotage (1936), William Wyler, Rue sans issue (Dead End, 1937), Du Sang dans le soleil (Blood on the Sun, 1945) de Frank Lloyd. A début des années 50, Sylvia Sidney délaisse le cinéma pour le théâtre et la télévision. Elle devient un visage familier du petit écran avec de rares apparitions sur le grand écran. Les Misérables (1952) de Lewis Milestone et Les Inconnus dans la ville (Violent Saturday, 1955) de Richard Fleischer, la sortent de la routine télévisuelle. En 1974, Sylvia Sidney est nommée à l’Oscar du meilleur second rôle féminin pour sa création de la mère de Joanne Woodward dans Désirs d’été, rêves d’hiver (Summer Wishes, Winter Dreams, 1973), c’est son grand retour au cinéma après 17 ans d’absence. Elle est en toute logique au casting d’Hammett (1982) histoire fictive du grand écrivain imaginé par Joe Gores et réalisé par Wim Wenders pour Francis Ford Coppola. Outre Meurtres sous contrôle, le cinéma fantastique fait à nouveau appel à ses talents pour Damien, la Malédiction II (Damien : Omen II, 1978) et surtout Tim Burton pour Beetlejuice (1988) et Mars Attacks ! (1996).
Dans le rôle d’un flic illuminé par la folie meurtrière religieuse, Andy Kaufman dans l’une de ses très rares apparitions au cinéma. Andy Kaufman, adepte d’un comique absurde et surréaliste, est l’un des génies, de la scène américaine et du Saturday Night Live. Mort prématurément d’une insuffisance rénale causée par des métastases cancéreuses. Milos Forman consacrera à Andy Kaufman un biopic : Man on the Moon (1999) avec Jim Carrey.
Meurtres sous contrôle aurait dû avoir une partition musicale du grand Bernard Herrmann, décès entre-temps. Larry Cohen lui dédie le film. Frank Cordell reprend la « baguette » et livre une magnifique musique qui renforce l’aspect mystique du film et ajoute à la puissance des images de cette incroyable histoire.
Meurtres sous contrôle est passé, au fil du temps, du statut de blasphème à celui d’un constat lucide et prémonitoire sur l’instrumentalisation de la religion sur son versant le plus sombre et violent.
Fernand Garcia
Meurtres sous contrôle, sans contestation possible la plus édition du film de Larry Cohen, un master HD impeccable, disponible chez Rimini Editions (combo DVD + Blu-ray ou unitaire) avec en supplément : « Dieu me l’a ordonné » par Alexandre Jousse, une belle introduction au cinéma de Larry Cohen, l’un des plus grands auteurs de la série B des années 70. Et une approche complète sur Meurtres sous contrôle, de sa genèse à sa sortie (24 minutes). « L’enfer et le paradis sur terre » interview de Tony Lo Bianco (11 minutes). Deux interventions de Larry Cohen, une New Bervely Cinema, truffés d’anecdotes (21 minutes) et l’autre au Lincoln Center en 2002 (8 minutes). Souvenir du bon vieux sang, rencontre avec Steve Neil, responsable des effets spéciaux sur plusieurs films de Larry Cohen (9 minutes). La bande-annonce du film et plusieurs Spots TV d’époque. Cette belle édition contient également un livret : Rencontre du quatrième type de Marc Toullec (24 pages).
Meurtres sous contrôle (God Told Me To) un film Larry Cohen avec Tony Lo Bianco, Deborah Raffin, Sandy Dennis, Sylvia Sidney, Sam Levene, Robert Drivas, Mike Kellin, Richard Lynch, Sammy Williams, James Dixon, Sherry Steiner, Andy Kaufman… Scénario : Larry Cohen. Directeur de la photographie : Paul Glickman. FX de maquillage : Steve Neill. Montage : Arthur Mandelberg, William J. Waters, Christopher Lebenzon, Mike Corey. Musique : Frank Cordell. Producteur : Larry Cohen. Production : The Georgia Company / Larco Productions. Etats-Unis. 1975/1976. 91 minutes. Metrocolor. Panavision. Format image : 1,85 :1. 16/9e Son : Version Originale avec ou sans sous-titres français Stéréo 2.0 et 5.1 et en Version française Stéréo 2.0. DTS-HD et Dolby Digital. Prix spécial du Jury – Festival du film fantastique d’Avoriaz, 1977. Interdit aux moins de 16 ans.