A l’occasion de la sortie événement de la sublime édition du 15ème anniversaire de Memories Of Murder (Salinui chueok, 2003) de Bong Joon-ho, disponible le 11 juillet, Manuel Chiche (La Rabbia) n’a pas hésité à coproduire avec la société Grab The Cat, un film documentaire exclusif intitulé Memories, retour sur les lieux des crimes, réalisé par Jésus Castro-Ortega et dans lequel on retrouve les participations, entre autres, du réalisateur Bong Joon-ho, des acteurs Song Kang-ho et Kim Sang-kyeong, et du scénariste Shim Sung-bo, réalisateur du film Sea Fog (Haemoo, 2014). Pour la sortie de ce dernier qui sera disponible sur les trois offres qui sont proposées (Coffret Double DVD, Médiabook Blu-Ray + DVD et Coffret Collector Edition Ultime) Manuel Chiche a fait les choses en grand. Il a organisé une projection de presse exceptionnelle, en salle, en avant-première et en exclusivité mondiale, en présence du réalisateur Jésus Castro et de son ami et associé, le scénariste Eddy Fluchon, tous deux co-gérants de la société Grab The Cat.
Comme nous l’ont déjà prouvé ses précédentes éditions (cf. notre entretien : Manuel Chiche, Lumière sur un homme de confiance), l’importance et la qualité éditoriale que ce dernier accorde aux compléments de programme (compléments originaux passionnants, témoignages d’artistes et de techniciens ayant contribué directement aux films, photos et documents d’archives inédits,…) ne sont plus à prouver et font de chacune de ses sorties, un événement unique.
Dans l’idée de garder vivante la mémoire du cinéma (le vrai), de vous faire découvrir ou redécouvrir ce chef-d’œuvre incontournable de l’histoire du cinéma qu’est Memories Of Murder, mais aussi afin d’en savoir plus sur la genèse, les coulisses, les secrets et les différentes étapes de réalisation du projet Memories, retour sur les lieux des crimes, et surtout de partager avec vous nos goûts et nos coups de cœur, nous avons fait le choix ici de mettre la lumière sur ce remarquable documentaire. En plus de faire bien évidemment partie des riches et nombreux compléments contenus dans cette prestigieuse édition DVD/Blu-Ray, par sa construction et sa forme, ce fascinant documentaire vient autant éclairer le film de manière instructive que nous toucher par l’émotion et la nostalgie dont il est emprunt. Sa sincérité, son naturel et son apparente « simplicité » révèlent de beaux et authentiques portraits des différents protagonistes.
Journaliste, auteur et réalisateur de nombreux documentaires, reportages et making-of, d’origine latino-américaine et de culture française, Jésus Castro-Ortega est, entre autres, un collaborateur de longue date de Nils Tavernier. Travaillant également beaucoup au Japon et en Corée, on lui doit Mother, dans les coulisses du film le making-of de Mother (2009) de Bong Joon-ho, Snowpiercer le making-of du film éponyme du même Bong Joon-ho, ou encore Le Transperceneige, de la feuille blanche à l’écran noir, le précieux et passionnant documentaire retraçant, de la naissance de la bande-dessinée française culte des années 80 de Jean-Marc Rochette (dessin), Jacques Lob (scénario) et Benjamin Legrand (scénario après la disparition de Lob) à son adaptation à l’écran, la genèse du chef-d’œuvre de science-fiction que l’on connaît aujourd’hui.
C’est en 2006 à la Cinémathèque Française que tout a commencé entre Jésus Castro-Ortega et Bong Joon-ho. Informés de la présence du cinéaste venu pour y dispenser une conférence, Jésus Castro s’y est rendu, accompagné d’Eddy Fluchon, afin de le voir. Fans de cinéma et de bande-dessinée, ceux-ci avaient entendu dire que le cinéaste avait pour projet l’adaptation du Transperceneige. A l’issue de cette conférence, les deux hommes ont pris leur courage à deux mains et sont allés à sa rencontre. D’abord surpris qu’ils soient informés de cette information confidentielle – rien n’était encore signé – Bong Joon-ho a été piqué de curiosité et séduit par l’intérêt que ces deux jeunes français portaient à son travail. Le contact passant entre eux, Jésus a tout de suite demandé à Bong s’il voulait bien les voir le lendemain et s’ils pouvaient venir avec une caméra pour l’interviewer. Ce dernier a accepté sans problème et cette interview a été la première à être utilisée pour le documentaire qu’ils ont réalisé sur Snowpiercer. Dès lors, à chacune de ses venues en France, Jésus Castro n’a eu de cesse de poser des questions au cinéaste qui, petit à petit, a accepté de le laisser entrer dans son univers. Quelque chose s’est noué entre eux. Le cinéaste lui a ouvert des portes. Il l’a non seulement invité en Corée avec sa compagne, mais aussi à venir sur le plateau de tournage de Mother, film au sujet duquel Jésus a réalisé le documentaire making-of, Mother, dans les coulisses du film, pour Diaphana. Une relation de confiance s’est installée entre les deux hommes et c’est Bong Joon-ho lui-même qui a amené Jésus sur le projet de Snowpiercer afin qu’il tourne les bonus du film. Il lui a également laissé la possibilité et la liberté de réaliser son riche et touchant documentaire, Le Transperceneige, de la feuille blanche à l’écran noir. C’est à travers l’aventure de Snowpiercer que Jésus a fait la connaissance de Manuel Chiche qui était le distributeur du film en salles en France. La rencontre entre ces deux grands admirateurs de l’œuvre du cinéaste coréen a été comme une évidence. Pour boucler la boucle, c’est donc cette rencontre qui aujourd’hui nous amène à leur collaboration sur ce projet qui voit le jour avec ce merveilleux documentaire sur Memories Of Murder, le premier chef-d’œuvre du très grand Bong Joon-ho.
Habitué à préparer ses tournages ainsi que la structure narrative de ses documentaires, Jésus Castro avait déjà commencé à écrire lorsqu’il a discuté du concept du documentaire avec Manuel Chiche il y a deux ans au Festival de Cannes. La structure de base était de retourner sur les lieux du tournage accompagné du réalisateur et de se remémorer les séquences du film. Mais tout son travail de construction a été bouleversé dès l’instant où Eddy et lui sont arrivés en Corée. L’emploi du temps prévu n’était plus du tout le même, et surtout, travaillant sur son prochain film, Bong Joon-ho n’était plus disponible que seulement quelques heures sur deux jours. Tout le plan de montage et tout le travail de préparation ont donc volé en éclat.
Mais, par chance, dès leur arrivée, Bong Joon-ho leur a déroulé le tapis rouge. En effet, ce dernier s’est chargé de leur trouver un assistant interprète; il leur a prêté la voiture de sa femme avec laquelle ils ont pu se déplacer pour faire leurs interviews et se rendre sur les différents lieux du tournage qui étaient dispersés dans toute la Corée, et surtout, il a fait en sorte que, de l’équipe technique au casting artistique, le plus de personnes possible ayant travaillé sur le film participent à ce documentaire. Ce qui s’est avéré encore plus facile lorsque tous ont appris la participation du comédien Song Kang-ho, superstar en Corée, revenu à Séoul spécialement pour l’occasion. Tout le monde a alors tenu à rejoindre le projet de ces deux jeunes Français venu tourner un documentaire en Corée sur le grand classique du cinéma qu’est devenu Memories Of Murder. Dès lors, avec une extraordinaire bienveillance et une curiosité réciproques, toutes les portes leur ont été ouvertes. Séduit par la liberté de ton et d’expression de la petite équipe française, ne se sentant, face à eux, manifestement pas le besoin d’être en représentation, on remarque avec quelle sincérité, quel naturel et quelle franchise, les différents intervenants s’expriment, se confient et se révèlent.
C’est donc au fil des entretiens qu’ils ont effectués, des réécritures le soir en fonction des informations qu’ils avaient obtenues, mais aussi au moment très important du dérushage qui a duré deux semaines, que les idées ont surgi et que la nouvelle forme du documentaire a vu le jour.
Le sujet devant, au départ, faire entre trente et quarante minutes, il y avait à la fin du tournage entre sept et huit heures de rushes. Il a donc fallu faire des choix au montage. Mais, face à la matière existante, en choisissant le meilleur de ce qu’ils avaient obtenu, le réalisateur a pris sur lui et a fait comme choix d’effectuer un premier montage plus long que celui initialement prévu. D’une version obtenue de près d’une heure trente, après un long travail de montage en ne choisissant que les propos et les informations les plus pertinentes au sujet du film lui-même, ils sont parvenus à une version définitive de 63 minutes.
De l’aveu même du réalisateur, Memories, retour sur les lieux des crimes est « un vrai documentaire conçu pour ceux qui aiment particulièrement le film ». Ce dernier nous confie qu’il l’a réalisé et monté à l’image de ce qu’il aurait lui-même souhaité découvrir en tant que spectateur. En effet, véritable entité indépendante, Memories, retour sur les lieux des crimes n’est pas un outil promotionnel qui chercherait à imiter le film. Bien au contraire. Le documentaire impose son propre rythme en s’adaptant à ceux des intervenants. Comme en témoignent par exemple les entretiens avec le cinéaste, au travers desquels on observe dans son discours des pensées plus intimes, plus pessimistes, voir noires. L’intention des auteurs qui connaissent bien le cinéaste étant d’être au plus proche de l’homme dans toute sa complexité, les interviews cherchent d’abord à mettre en lumière l’entièreté de la personnalité de Bong Joon-ho. Il ressort de ces entretiens le portrait de quelqu’un d’à la fois professionnel et jusqu’au-boutiste, mais qui, bien qu’il le fasse passer sous les dehors de l’humour, du fantastique ou de la science-fiction, est hanté par quelque chose de très sombre et de très désespéré au sujet de l’humanité. Tout en lui rendant honneur, en s’immisçant dans les interstices des sphères de l’intime et de la psychologie, le documentaire nous montre avec subtilité, respect et pudeur, la véritable personnalité du cinéaste.
Ni académique, ni analytique, mais sensible et volontairement proche de l’humain, l’approche du documentaire est manifestement à l’image de l’aventure qu’a été celle du tournage du film. Par rapport à la relation privilégiée qu’il a avec Bong Joon-ho, cette approche procure à Memories, retour sur les lieux des crimes toute la fluidité et l’authenticité que souhaitait lui donner le réalisateur.
Aujourd’hui, Jésus Castro se bat pour obtenir une projection de son documentaire en Corée en faisant jouer ses contacts là-bas, et espère bien, comme cela avait été le cas avec son documentaire précédent sur Snowpiercer, que Bong Joon-ho pourra le découvrir en salle.
Steve Le Nedelec
Memories, Retour sur les lieux des crimes un film de Jésus Castro-Ortega avec les interventions de Bong Joon-ho, Shim Sung-Bo, Song Kang-ho… Image & montage : Jésus Castro-Ortega. Opérateur caméras additionnelles : Eddy Fluchon. Son : Shanshan Zhu. Mixage : Romain Colonna d’Istria. Musique extrait de la BO de Memories of Murder : Tarô Iwashiro. Producteurs : Eddy Fluchon & Manuel Chiche. Production : Grab the Cat – La Rabbia. France. 2018. Couleur. Documentaire en complément de programme de Memories of Murder édité en DVD-Bly-ray par La Rabbia.
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