Narvel est un horticulteur dévoué aux jardins de la très raffinée Mme Haverhill. Mais lorsque son employeuse l’oblige à prendre sa petite-nièce Maya comme apprentie, le chaos s’installe, révélant ainsi les sombres secrets du passé de Narvel…
Après First Reformed (2017), resté inédit sur les écrans en France (disponible en DVD-Blu-ray Edition L’Atelier d’Image), et The Card Counter (2021), Master Gardener, le nouveau thriller signé Paul Schrader, marque comme la conclusion d’un tryptique sur la thématique de la rédemption. En effet, Master Gardener est le récit audacieux d’un être solitaire qui, aux prises avec son passé idéologiquement lourd et en quête de rédemption, se cache derrière son travail quotidien.
Scénariste et réalisateur né le 22 juillet 1946 à Grand Rapids, Michigan aux Etats-Unis, Paul Schrader est issu d’une famille calviniste. Son éducation sévère lui fera découvrir le cinéma qu’à l’âge de 18 ans. Il débute sa carrière comme critique et, en 1972, publiera un ouvrage consacré aux similitudes intellectuelles que l’on retrouve dans le cinéma de Robert Bresson, Yasujiro Ozu et Carl Theodor Dreyer. Schrader se lance alors dans l’écriture et commence une brillante carrière de scénariste avec le scénario de Yakuza (The Yakuza, 1975) qu’il co-écrit avec Robert Towne. Yakuza est réalisé par Sydney Pollack avec en vedette Robert Mitchum. Si le film est un échec commercial, Paul Schrader va attirer l’attention de la nouvelle génération de cinéastes aux Etats-Unis, à commencer par Martin Scorsese.
Paul Schrader doit sa célébrité à sa collaboration avec Scorsese qui débute en 1976 avec Taxi Driver et se poursuit en 1980 avec Raging Bull, puis, La Dernière Tentation du Christ (The Last Temptation of Christ) en 1988 et A tombeau ouvert (Bringing out the Dead) en 1999. En plus des scénarios des films qu’il va lui-même réaliser, Schrader signera également entre autres ceux d’Obsession (1976) de Brian De Palma avec Geneviève Bujold, de The Mosquito Coast (1986) de Peter Weir avec Harrison Ford, ou encore de City Hall (1996) d’Harold Becker avec Al Pacino.
Paul Schrader fait ses débuts en tant que réalisateur en 1978 avec Blue Collar dans lequel il dirige Richard Pryor, Harvey Keitel et Yaphet Kotto. La carrière du cinéaste comporte à ce jour plus de trente films qu’il a soit écrits ou écrits et réalisés. Parmi ceux-ci on peut citer : Hardcore (1979) avec George C. Scott, American Gigolo (1980) avec Richard Gere, La Féline (Cat People, 1982) avec Nastassja Kinski et Malcolm McDowell, Mishima (Mishima : A Life in Four Chapters, 1985) avec Ken Ogata, Patty Hearst (1988) avec Natasha Richardson, Light Sleeper (1992) avec Willem Dafoe, Affliction (1998) avec Nick Nolte ou encore The Walker (2007) avec Woody Harrelson.
Comme nous le montre la riche et prestigieuse filmographie de son auteur, oscillant entre rigorisme moral et fascination pour les interdits, l’œuvre de Schrader explore aussi bien les tabous que les maux de la société américaine que vient traduire la violence des hommes. Les origines des histoires et des thématiques qu’aborde Paul Schrader de manière récurrente dans son œuvre remontent donc aux premières années de sa carrière. Comme des extensions du héros existentiel de la fiction européenne, que ce soit en tant que révérend, joueur de cartes ou ici comme horticulteur, les protagonistes de ses histoires sont souvent des hommes solitaires confrontés à des crises existentielles mais dont les perspectives de salut diffèrent. Dans Master Gardener, c’est l’amour qui sera la perspective de salut de Narvel.
Les thématiques du sexe, de la race et de l’âge également présentes dans l’histoire, mais aussi le personnage de Narvel pris entre ceux de Mme Haverhill, assez âgée pour être sa mère et de Maya, assez jeune pour être sa fille, imposent au film un riche schéma narratif triangulaire. Acceptable hier au cinéma, pour ne pas dire convenu, il est aujourd’hui impensable d’oser raconter une histoire dans laquelle on trouve un couple avec une importante différence d’âge. Paul Schrader abordant frontalement des questions morales complexes, cette différence d’âge entre Narvel et Maya ajoute donc au malaise de la situation. Si le contexte social et les personnages sont différents dans chacun de ses films, les techniques narratives singulières qu’utilise ici le cinéaste sont comparables à celles de ses œuvres précédentes. Il est également intéressant de notifier que c’est la première fois depuis Taxi Driver que Schrader fait intervenir deux femmes dans l’une de ses histoires.
« Je voulais quelqu’un qui ait un peu de Robert Mitchum, c’est à-dire avec qui vous ne voudriez pas vous battre dans un bar. Je voulais ce physique américain des années 1950 ». Paul Schrader.
Magnifiquement interprété par Joel Edgerton le personnage de Narvel Roth, horticulteur taiseux, hanté par un passé trouble, est au cœur du film. Méticuleux dans ses fonctions, Narvel entretient soigneusement les jardins de Gracewood Gardens, une grande maison appartenant à la riche douairière, Mme Haverhill qu’incarne parfaitement Sigourney Weaver. Lorsque la nièce de Haverhill, Maya, interprétée par la jeune Quintessa Swindell, arrive à Gracewood, Narvel se retrouve pris entre ces deux femmes. La force dramatique du film se retrouve alors dans le chaos que va créer la collision du passé, du présent et du futur de Narvel. A l’image de la métaphore du jeu dans The Card Counter, toute aussi riche et féconde, celle du jardinage va autant évoquer ici le passé de suprémaciste blanc de Narvel qu’être le médiateur de sa rédemption.
« Paul m’a demandé d’en faire le moins possible. Il m’a appris la sobriété, une leçon dont j’avais sans doute besoin. Il estimait que les sentiments de mon personnage devaient sourdre de moi sans que j’aie besoin de les exprimer par ma physionomie. » Joel Edgerton.
A l’affiche du film on retrouve donc le comédien Joel Edgerton dans le rôle complexe de l’insondable Narvel Roth. Sa participation à la série australienne Nos vies secrètes au début des années 2000, le rend très populaire et lui ouvre les portes du cinéma. Il rejoint Hollywood et joue le demi-frère de Dark Vador dans Star Wars : Episode II et III. Dans les années qui suivent, il démontre son éclectisme dans des films comme Animal Kingdom (2010) de David Michôd, Warrior (2011) et Jane Got A Gun (2015) de Gavin O’Connor, Zero Dark Thirty (2012) de Kathryn Bigelow, Gatsby le Magnifique (The Great Gatsby, 2013) de Baz Luhrmann, Exodus : Gods and Kings (2014) de Ridley Scott, Strictly Criminal (Black Mass, 2015) de Scott Cooper, ou encore Midnight Special (2016) et Loving (2016) de Jeff Nichols. Le charisme et la prestance du comédien suffisent à communiquer au spectateur toute la puissance qui habite le personnage qu’il incarne. Tout en retenue, son jeu suffit à créer une tension chez le spectateur qui reste dans l’attente du moment où le personnage va se révéler. Comme on retrouve (avec plaisir) de manière récurrente les « mêmes » motifs dans le cinéma de Schrader, le passé inquiétant et le conflit intérieur du héros sont aussi marqués par son côté mutique, la rigueur de son organisation quotidienne, la tenue de son journal intime et ses tatouages effrayants.
Qui de mieux que la toujours épatante Sigourney Weaver pour incarner le personnage de la riche Mme Haverhill ? Révélée dans Alien, le huitième passager (Alien, 1979) de Ridley Scott, on ne présente plus Sigourney Weaver qui a fait ses premiers pas dans le cinéma avec une apparition dans Annie Hall de Woody Allen en 1977. Devenue star dès ses débuts, actrice incontournable du cinéma américain, Sigourney Weaver est tout de suite parvenue à se détacher de son personnage de Ripley en s’illustrant dans différents genres, du drame à la comédie. Pour ne citer que quelques-uns des nombreux films de la très éclectique filmographie de sa riche carrière, on retiendra L’Année de tous les dangers (The Year of Living Dangerously, 1982) de Peter Weir, S.O.S Fantômes (Ghostbusters, 1984) et Président d’un jour (Dave, 1993) d’Ivan Reitman, Escort Girl (Half Moon Street, 1986) de Bob Swaim, Working Girl (1988) de Mike Nichols, Gorilles dans la Brume (Gorillas In the Mist : The Story of Dian Fossey, 1988) de Michael Apted, 1492, Christophe Colomb ( 1492 : Conquest of Paradise, 1992) de Ridley Scott, La Jeune Fille et la Mort (Death and the Maiden, 1994) de Roman Polanski, The Ice Storm (1997) de Ang Lee, Snow Cake (2006) de Marc Evans ou encore Avatar (2009) de James Cameron. Comme à l’habitude, dans Master Gardener, Sigourney Weaver est juste impériale dans son interprétation de cette femme hautaine et autoritaire.
« Le défi du casting de Maya était que nous avions besoin de quelqu’un qui soit suffisamment jeune pour être encore en train de découvrir qui elle est, mais suffisamment âgée pour ne pas être insensible aux attitudes contemporaines. Quintessa avait fait un travail fascinant, notamment dans la série In Treatment de HBO. Lorsque j’ai regardé ce film, j’ai pu voir toute l’étendue des capacités de Quintessa ». Paul Schrader.
Pour donner la réplique à Joel Edgerton et Sigourney Weaver, il était donc essentiel de trouver l’actrice parfaite pour incarner Maya, l’élément perturbateur qui révèlera chaque personnage à lui-même comme aux autres, en les sortants de leurs idées préconçues et manichéennes du monde. Toujours bien inspiré, le choix de Schrader s’est porté sur l’impressionnante Quintessa Swindell. Le trio qu’elle forme avec ses partenaires et la retenue intense du jeu qu’ils composent ensemble sont à la fois saisissants de justesse et bouleversants. L’ensemble de l’interprétation du film est tout simplement remarquable.
A la fois sobre, par son cadre bucolique tranchant avec les traditionnels décors urbains, et suave, épurée et d’une beauté tranquille faussement simple, comme son montage, ses décors et son irréprochable direction d’acteur, la mise en scène du cinéaste est précise et grandiose. Précise dans ses plans, ses cadres et ses mouvements de caméra. Grandiose par son apparente évidence, sa majestueuse stature minérale, sa fluidité et son intelligence.
Paul Schrader est maître dans l’art d’instaurer une atmosphère hypnotique, singulière et unique dans la mise en image de ses scénarios implacables aux qualités romanesques indiscutables. C’est pourquoi, dans un souci d’exigence et de rigueur, de contrôle et de maîtrise, ce dernier s’est entouré sur le plateau d’une équipe de personnes ayant déjà travaillé avec lui comme le directeur de la photographie Alexander Dynan, le chef monteur Benjamin Rodriguez Jr. ou la chef décoratrice Ashley Fenton. Le réalisateur ne laissant rien au hasard, toute l’esthétique et la forme de Master Gardener viennent parfaitement répondre et appuyer le propos du film.
Sans aucun manichéisme, avec Master Gardener, Paul Schrader effectue une passionnante étude de caractère et nous invite à une remarquable réflexion sur le mal, la rédemption et la dualité que crée cette dernière chez l’homme. Un film d’auteur fort et puissant. Du (très bon) cinéma.
Steve Le Nedelec
Master Gardener, un film de Paul Schrader avec Joel Edgerton, Quintessa Swindell, Sigourney Weaver, Rick Cosnett, Esai Morales, Eduardo Losan, Victoria Hill, Amy Le, Erika Ashley, Timothy McKinney, Jared Bankers, Emily Russell… Scénario : Paul Schrader. Image : Alexander Dynan. Décors : Ashley Fenton. Costumes : Wendy Talley. Montage : Benjamin Rodriguez Jr. Musique : Devonté Hynes. Producteurs exécutifs : Luisa Law, Jamieson McClurg, Linda Ujuk et Dale Roberts. Producteurs : Amanda Crittenden, David Gonzales et Scott LaStaiti. Production : Kojo Studios – Ottocento Films – Master Gardener US LLC.. Distribution (France) : The Jokers Films (Sortie le 5 juillet 2023). Etats-Unis – Australie. 2022. 111 minutes. Couleur. Arri Alexa. Format image : 2.35 :1. DCP. Dolby Digital. Tous Publics.