Nous avons tous déjà vu un film de Bernard McEveety… sans le savoir ! McEveety a en effet réalisé d’innombrables épisodes de séries TV des années 60 à la fin des années 80. On le trouve à la réalisation d’épisodes du Virginien, de Bonanza, de Rawhide, des Mystères de l’Ouest, mais aussi de La planète des singes, de L’incroyable Hulk, de L’agence tous risques, de Shérif, fais-moi peur, de L’homme qui tombe à pic, de K2000 entre autres. En 1966, Marqué au fer rouge est son premier film pour le grand écran. Il avait toutefois déjà connu les honneurs d’une sortie en salles avec Broken Sabre remontage de trois épisodes de la série western, Le Proscrit.
Marqué au fer rouge est un western assez curieux puisqu’il débute dans un univers contemporain. Un recenseur (James MacArthur, que McEveety dirigera dans la série Hawaï, police d’Etat), se retrouve dans un bar où il a pris ses habitudes. Au barman, à qui il raconte avoir été surpris par le nombre de personnes se prénommant « Représailles », celui-ci lui en donne la raison. Et c’est un long flash-back qui nous propulse en 1884. Jonathan Trapp, dit « le tigre » (Chuck Connors), qui n’est pas encore une légende, revient au pays après onze années d’un dur labeur. Ce grand gaillard est parti faire « fortune » dans la chasse au buffle après avoir abandonné sa femme. Tel Ulysse, Trapp espère retrouver sa femme Jessie (Kathryn Hays). Dans sa sacoche pas moins de 17 000 dollars. Crade à souhait, Trapp est pris, à tort, pour un voleur de bétail, roué de coups par trois hommes du coin (Michael Rennie, Bill Bixby, et Claude Akins), il est marqué au fer rouge sur la poitrine. Trapp survit à ses blessures, mais son argent a disparu. Fou de rage, Trapp arrive enfin en ville, là, où habitent ses tortionnaires.
La tragique histoire de Trapp fonctionne sur deux flashes-back. Le premier est film lui-même et le second, à l’intérieur du premier, se rapporte aux souvenirs de notre héros, ce qui l’a conduit à quitter sa femme. On peut voir dans Marqué au fer rouge une sorte de rappel au public de 1966, que les valeurs de l’Amérique sont celles évidemment des pionniers. Mais aussi d’un rappel de la guerre en cours, celle du Vietnam. Trapp revient au pays comme un soldat de la guerre. Il est mal accueilli non seulement par les habitants mais aussi par sa femme. Il lui dit d’ailleurs au détour d’une phrase « Je reviens d’un pays qui ressemblait à l’enfer », ce qui est plutôt étrange pour un simple chasseur de buffle. Trapp représente sans aucune ambiguïté, l’américain des origines, c’est un cow-boy qui réussit à la sueur de son front. Il est confronté à trois catégories d’américains qui, à des degrés divers, ont sombré moralement.
Un révérend banquier (Michael Rennie) qui s’est perdu dans le jeu. Un jeune Johnsy Boy (Bill Bixby) jouisseur, gigolo et moralement à la dérive. Et, enfin un fermier (Claude Atkins) alcoolique notoire, voleur, ne pouvant plus faire la distinction entre le bien et le mal. Le film accorde une rédemption au révérend banquier : l’Amérique profonde a besoin de lui, contrairement au jeune Johnsy Boy. Le pauvre garçon se « délivre » d’une vie de péchés par le suicide. Signalons au passage que l’énergumène avait l’idée saugrenue de partir pour San-Francisco, ville de la contre-culture et des hippies ! Quant au fermier, il n’aura que ce qu’il mérite. Les personnages masculins sont des archétypes taillés à la serpe dans l’idéologie populiste américaine.
Les personnages féminins, quoique secondaires, sont assez intéressants. Jennie, la femme de Trapp, est prise entre deux hommes, son époux qui revient et un prétendant, le révérend banquier. Ses rapports avec sa mère et le stratagème qu’elle met en place pour épouser Trapp traduisent bien la mentalité de ce petit coin du Texas. Jennie est plus intelligente et cultivée que Trapp. Cette union est des plus étranges, Trapp est une brute mal dégrossie, « L’homme commande et la femme doit suivre » sorte de credo qu’il tente d’inculquer à sa femme. Dommage que le film ne développe pas de manière plus approfondie cette différence de classes qui les sépare.
Bonnie Shelley est la maîtresse de Johnsy Boy (Bill Bixby). Mariée, elle s’encanaille auprès d’un jeune. Le rôle pourrait être des plus anecdotiques, mais Gloria Graham lui confrère une telle dignité brisée que le personnage gagne une épaisseur qui le tire vers le haut. Son regard perdu dans le désespoir est moment le plus fort du film. L’actrice de Règlement de compte (Man Hunt, Fritz Lang, 1953) est impeccable. Par contre le personnage de Mrs. Lavender incarné par Joan Blondell, une des reines de la comédie musicale des années 30 (Chercheuses d’or de 1933, Footlight Parade/Prologue), est totalement anecdotique.
Une petite mention pour Marissa Mathes, miss Playboy juin 1962, qui réussit à faire exister son personnage au-delà du cadre dans lequel il devait se cantonner, c’est-à-dire celui de la pute mexicaine. Elle apporte une touche d’érotisme, ce qui est la moindre des choses, mais surtout une naïveté et une sensibilité à fleur de peau qui font mouche dans chacune de ses scènes.
Chuck Connors est une gueule de cinéma, mais il n’avait certainement pas le charisme nécessaire pour devenir une star. Héros de Marqué au fer rouge, il ne le démérite pas. Il sera la vedette d’excellentes séries B, Tuez-les tous… et revenez seul ! (Ammazzali tutti e torna solo, Enzo G. Castellari, 1968), Le Détraqué (Mad Bomber, Bert I. Gordon) ou Tourist Trap (David Schmoeller, 1979). Son rôle le plus célèbre reste celui de l’inquiétant tueur du formidable Soleil vert (Soylent Green, 1973) de Richard Fleischer.
La réalisation de Bernard McEveety est sans invention, elle privilégie l’acteur dans le cadre et se concentre sur lui. Ce sont les acteurs qui font le film, ce qui finit par rendre certaines séquences assez bizarres. Ainsi Claude Akins parle à un personnage invisible ou l’étrange comportement de Bill Bixby. Chose curieuse, au générique, Lee H. Katzin est crédité comme assistant-réalisateur, il avait à l’époque déjà réalisé bons nombres d’épisodes de série TV et par la suite remplacera John Sturges à la réalisation du Mans (1971), le film produit et interprété par Steve McQueen.
Marqué au fer rouge n’est ni western classique ni moderne, un objet somme toute étrange.
Fernand Garcia
Marqué au fer rouge est édité pour la première fois en DVD par Sidonis/Calysta dans une belle copie (image et son restaurées). En complément de programme Patrick Brion replace Marqué au fer rouge dans l’histoire du western de l’année 1966 (9 mn), un documentaire de vulgarisation sur L’Histoire du western (25 mn) et enfin une galerie de photos.
Marqué au fer rouge (Ride Beyond Vengeance) un film de Bernard McEveety avec Chuck Connors, Michael Rennie, Kathryn Hays, Joan Blondell, Gloria Grahame, Gary Merrill, Bill Bixby, Claude Akins, Paul Fix, Marissa Mathes, James MacArthur. Scénario : Andrew J. Fenady d’après le roman d’Al Dewlen. Directeur de la photographie : Lester Shorr. Décors : Stan Jolley. Montage : Otho Lovering. Musique : Richard Markowitz. Producteur : Andrew J. Fenady. Production : Columbia Pictures Corporation – Sentinel Productions – Fenady Associates – The Tiger Company – Mark Goodson-Bill Todman Productions. Etats-Unis. 1966. Couleurs (Pathécolor). Etats-Unis. 1966. 101 mn. Format image : 1.85 :1. VOST. VF.
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