Au petit matin, un petit truand de la côte déboule sur la plage. Il sort Manu (Grégoire Ludig) des bras de Morphée et lui propose un petit taf avec 500 balles à la clé. Récupéré une valise chez Michel-Michel et la transportée chez un autre mec. Seule condition, la valise doit être transportée dans le coffre d’une bagnole. Manu accepte. Problème, il n’a pas de voiture. Il pique une Mercedes jaune. A la station-service, il embarque son pote, Jean-Gab (David Marsais), dans l’aventure. Tout roule, quand d’étranges bruits s’échappent du coffre de la Mercedes…
Mandibules est une comédie, vraiment drôle, ce qui n’est pas monnaie courante dans le cinéma français. Comme dans un burlesque Américain, il suffit de gratter un peu la surface pour trouver un sous-texte social, un renvoi à notre société contemporaine : misère, déclassement, marginalité, rapport de classe.
Manu et Jean-Gab sont en marge de la société dans le sillage de Buster Keaton, Charlot ou les personnages de Pasolini. Ils vivent au jour le jour et avancent dans la vie avec poésie et naïveté. Manu et Jean-Gab sont des irrécupérables pour le système politique, économique et social. Dans leur Mercedes, immatriculé en Suisse, pays de l’argent et de la neutralité, ils se retrouvent avec une énorme mouche. D’où vient-elle ? Aucune importance. Jean-Gab la baptise immédiatement Dominique, et décide d’en faire un animal de cirque, une machine à fric. Oublié plus ou moins la livraison de l’étrange valise. Le voyage prend alors des chemins de traverse.
Manu et Jean-Gab s’installent, tout d’abord, chez un dégagé par le libéralisme, reclus dans une caravane, au bas d’une falaise. Homme sans avenir, il retrouve sa liberté grâce à nos deux nigauds. Il se détache définitivement de la société et disparaît dans le paysage, tel le patron de Théorème. Le chômeur de plus de 50 ans miséreux laisse place à son contraire absolu : les fils à papa de la haute bourgeoisie.
Manu est confondu par une jeune femme style ado attardée en vacances sur la côte. Tiraillé, comme son pote, par la faim, Manu saute sur la possibilité d’un repas, et endosse le rôle de son ex-camarade de classe. Elle les entraîne dans la villa de ses parents où elle s’ennuie avec ses frères et sœurs. Les deux plongent au cœur d’un véritable nid de crotales. Ce n’est que mépris envers eux, identifiés comme pauvre, pire comme punk à chien. C’est tout le chapelet de la boboïtude parisienne que subissent Manu et Jean-Gab, mais ils s’en tamponnent royalement. Ils ne parlent pas la même langue.
Quiproquos et incompréhensions s’accumulent, dans un enchaînement viscéralement drôle. Ainsi, Agnès (Adèle Exarchopoulos, méconnaissable), victime d’un traumatisme au ski, me parle plus qu’en hurlant (caractéristique de toutes les femmes « puissantes » dans les films français depuis quelques années). Une harpie, éponge à thèses féministes, le moindre regard sur elle et c’est : « Pourquoi tu regardes mes poitrines ! » Elle est h24 sur le qui-vive et pas à une contradiction près, elle s’adonne avec talent à la cuisine. C’est irrésistible. Les « nuisibles » ne sont pas ceux que l’on croit et leur périple n’est pas fini…
Mandibules a cette qualité rare de faire rire enfants et adultes. La folie comique matinée par cette impression californienne qui s’infiltre jusqu’à la couleur de l’image renvoie donc aux temps héroïques du burlesque Américain et sa relecture par les frères Coen. Quentin Dupieux continue son petit bonhomme de chemin depuis Steak en 2007. A ses scénarios viscéralement originaux, il faut ajouter un formidable sens du cadre et du montage. Cela fait un plaisir fou de voir un film où le réalisateur maîtrise son outil, ce qui n’est pas si courant dans le cinéma français. On pourrait lui reprocher de ne pas pousser plus loin certaines situations : la caravane, ou de laisser de côté les multiples possibilités que lui offrait la famille de bobo. Qu’importe ! Mandibules fait rire avec ses personnages sans jamais les prendre de haut. Une réussite qui donne la banane.
Allez Toro !
Fernand Garcia
Mandibules un film de Quentin Dupieux avec David Marsais, Grégoire Ludig, Adèle Exarchopoulos, India Hair, Roméo Elvis, Corali Russier, Bruno Lochet… Scénario, image, montage : Quentin Dupieux. Décors et direction artistique : Joan Le Boru. Costumes : Isabelle Pannetier. Effets spéciaux : CLSFX Atelier 69 et Machine Molle.Musique : Metronomy. Coproducteurs : Alexandre Mallet-Guy et Patrick Quinet. Producteurs : Hugo Sélignac et Vincent Mazel. Production : Chi-Fou-Mi Productions – Memento Films Productions – C8 Films – Artemis Productions – VOO et Be Tv – Shelter Prod – Wild Bunch International – WTFilms – Canal + – OCS – C8 – Cineaxe – Cinemage 14 – Cofinova 16 – Indefilms 8 – Sofitvcine 7 – Taxshelter.Be ING. Distribution (France) : Memento Films Distribution (sortie en salles le 18 mai 2021). France. 2020. 87 minutes. Couleur. Format : 2:1. Son : 5.1. Tous Publics. Sélection officielle – Hors compétition, Mostra de Venise, 2020.