Malgré la nuit fait partie de ses films où l’on se perd. Voyage au bout de la nuit autant qu’au bout de l’enfer. La nuit qui enveloppe les personnages, l’enfer vers quoi ils tendent. On entre dans le film comme en état de flottement dans un monde incertain, et c’est un itinéraire, où brillent encore des lambeaux d’amours perdus que nous empruntons. Il est ardu, dérangeant et parsemé d’instants de toute beauté.
Lenz, rocker anglais, est de retour à Paris. Il a appris la disparition tragique de sa mère Madeleine. Avec l’aide de Louis, un ami, il se lance à sa recherche. Son chemin croise celui d’Hélène. Celle-ci ne se remet pas de la perte de son enfant et s’est éloignée de son mari, Paul. Pourtant, Paul est toujours amoureux d’elle.
Hélène dérive dans la nuit. Elle cherche dans la souffrance un moment de dépassement de soi qui lui permette d’accéder un état de conscience supérieur. Autodestructrice, elle est à la recherche d’expériences SM extrêmes. Dans les bois, elle se donne totalement mais rien n’anéantit le désespoir qui la taraude. Grandrieux progresse par à-coups et par effet de miroir, par dédoublement des sentiments, où chacun projette sur l’autre non seulement ses propres sentiments mais aussi ses désirs, sans se rendre compte qu’ils se débattaient dans un océan de solitude. Des mères perdues, celle de Lenz, être fantôme et Hélène, mère qui a perdu son enfant, tout aussi fantôme de sa propre vie, de sa tragédie.
La jalousie, ce sentiment destructeur qui mine le couple est aussi de la partie. Léna, petite amie de Lenz, en crève face à Hélène. Et c’est sur scène que Léna se consume en chantant son mal-être. Film d’espaces fantasmagoriques, où surnage la figure destructrice du père. Sublime séquence, où le visage du père de Léna s’inscrit sur des images de poissons majestueux. Évocation d’un retour à l’état primitif de l’homme pour retrouver son humanité.
Entrevoir une lumière, une porte de sortie. Cette lumière n’est ni plus ni moins que la force de l’amour. La séquence finale dans un parking souterrain est un des moments les plus forts et glaçants, qui nous est donné à voir sur un écran cette année. La tension est portée à son paroxysme tant nous nous sommes attachés à la quête d’Hélène. Nue, encagoulée, elle doit se soumettre. Son corps meurtri s’apprête à subir des outrages innommables.
Malgré la nuit nous plonge dans l’Obscure, dans la part d’ombre des personnages, expérience esthétique, émotionnelle et douloureuse. Tandis que les personnages masculins nous enfoncent dans la perversité, le mensonge et les ténèbres, les personnages féminins, superbes Ariane Labed et Roxane Mesquida, irradient le film d’une lumière incandescente.
Malgré la nuit et les ténèbres, il reste la force de l’amour.
Fernand Garcia
Malgré la nuit un film de Philippe Grandrieux avec Kristian Marr, Ariane Labed, Roxane Mesquida, Paul Hamy, Johan Leysen, Sam Louwyck, Aurélien Recoing. Scénario : Philippe Grandrieux, Bertrand Schefer, Rebecca Zlotowski et John-Henry Butterworth. Directeur de la photographie : Jessica Lee Gagné. Cadre : Philippe Grandrieux. Son : Constantin Sakellaropoulos en collaboration avec Fanny Martin, Françoise Tourmen / Philippe Grandrieux. Montage : Françoise Tourmen. Montage son : Constantin Sakellaropoulos en collaboration avec Fanny Martin, Françoise Tourmen / Philippe Grandrieux. Mixage : Isabelle Lussier. Producteurs : Catherine Jacques, Stéphanie Morissette et Nicolas Comeau Production : Mandrake Films – Epileptic – Ohmstudio – Le Septième Continent (Paris) & La Maison de Prod – 1976 Productions (Montréal). Distribution France : Shellac (sortie le 6 juillet 2016) France – Canada. 2015. 156 mn. DCP. Couleurs. Son : 5.1. Interdit aux moins de 16 ans.