La rumeur voulait que le film soit sulfureux, quelque chose de totalement inédit dans le cinéma commercial. Dès le premier plan, le choc, la robe glissant le long du corps de Nicole Kidman, nous offrant sa magnifique plastique et pourtant quelque chose d’imperceptible nous indique que le véritable sujet est tout autre. Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick n’est pas un soft porno.
La rumeur voulait que Love soit sulfureux, quelque chose d’inédit sur le grand écran de la salle Lumière du Festival de Cannes, un hardcore jadis réservé aux salles de la rue d’Antibes. Dès le premier plan, un couple se donne du « plaisir », et pourtant quelque chose d’imperceptible nous indique que le véritable sujet est tout autre. Love de Gaspar Noé n’est pas un porno.
1er janvier au matin, Murphy se lève, une journée pluvieuse s’annonce, sa femme et son enfant dorment encore. Machinalement, il écoute son répondeur. Un message de la mère d’Electra, lui demande s’il a des nouvelles de sa fille disparue. Elle imagine le pire. Murphy, lui se souvient de cette fille, Electra, l’amour de sa vie, deux années de passion, de pulsion, de découverte et d’incompréhension.
Love est une plongée vers l’intime, un long voyage intérieur au gré des souvenirs de Murphy. Jeune Américain, étudiant en cinéma dans la ville lumière, il va vivre une intense histoire d’amour. Il va faire un enfant à une autre femme, Omi, un accident. Il va se sentir piégé mais va rester avec cette femme qu’il n’aime pas de la même façon. A-t-il raté sa vie par lâcheté ? Par faiblesse ? Murphy va vivre une sorte de dépression, un retour sur terre. Enfermé dans son appartement, il est comme dans un sas de décompression. Impression que renforce l’utilisation en vase clos de la 3D.
Par certains aspects: la nationalité du personnage principal, la sexualité, Paris vu par un étranger, – on pense à Bernardo Bertolucci, au sublime Dernier tango à Paris, mais Murphy n’est pas Paul et il n’est qu’un lointain enfant d’Henry Miller. Même si les deux pleurent un amour perdu ; suicidé chez Bertolucci, évaporé chez Noé. Il reste ce même sentiment de l’insupportable absence de l’être aimé qui taraude les personnages à des années de distance. On pourrait tout autant rapprocher Love d’un autre Bertolucci, Innocents (The Dreamers), où un apprenti cinéaste rencontre, toujours à Paris dans l’effervescence de mai 68, un frère et une sœur pour un étrange ménage à trois mâtiné de références cinéphiliques « nouvelle vague ». Le film de Bertolucci adapté des souvenirs de l’écrivain Gilbert Adair, ouvrait une fenêtre sur la liberté et la rébellion. 68 était un espoir. Des années plus tard, le ménage à trois de Noé ne véhicule plus l’idée d’une quelconque transgression, ce n’est qu’une simple expérience d’un soir dans une vie. Murphy, Electra et Omi ne sont que de lointains enfants de mai 68.
Love est le monde vu par Murphy avec tout ce que cela suppose de contradictions, de mauvaises fois, d’âneries et de bêtises. Il a la grandiloquence et les partis-pris de la jeunesse. Murphy est comme tout un chacun, s’il a du goût, il admire profondément 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick et dans son appartement trône les affiches de Taxi Driver, de Salo et de Defiance of Good, mais aussi de Naissance d’une Nation, Cannibal Holocaust et Chair pour Frankenstein (film en relief). Iconoclaste dans ses choix (sûrement proche des goûts personnels de Gaspar Noé), Murphy n’en demeure pas moins, par certains côtés, totalement conservateur et franchement con. Murphy se tape sans vergogne une autre fille mais n’accepte pas qu’Electra en fasse autant. Son discours sur les guerres perdues des Français est pathétique. Murphy est un grand enfant qui réalise petit à petit que la perte d’un amour est la partie constituante de la charpente d’un être humain.
Love est non seulement un voyage intime dans la tête de Murphy mais aussi dans l’univers de Gaspar Noé. Il semble même que par moments Love soit autobiographique. Le film intègre toute une série d’autocitations que l’on se demande si le script n’a pas était écrit avant, Seul contre tous, Irréversible ou Enter the Void. Cette impression vient de la difficulté à situer le film dans un temps précis, l’action et le comportement des personnages semblent correspondre à celui des années 80 (la bande-son est très seventies) pourtant le film évoque clairement l’actualité immédiate (le FN premier parti de France dans un flash radio). Le côté juvénile de Love peut décevoir les admirateurs des précédentes réalisations de Gaspar Noé, pourtant le film s’inscrit parfaitement dans le paysage mental et hallucinatoire qu’il développe depuis ses débuts. Love est une œuvre adolescente, ce que perd Noé en puissance psychédélique et en force barbare, il le gagne en émotion et en sincérité. Love est une œuvre profondément mélancolique et in fine un vrai mélodrame.
August Tino
Love, un film de Gaspar Noé avec Karl Glusman, Aomi Muyock, Klara Kristin, Vincent Maraval, Gaspar Noé, scénario : Directeur de la photographie : Benoît Debrie. Décors : Virginie Verdeaux. Montage : Denis Bedlow, Gaspar Noé. Musique : Producteurs : Brahim Chioua, Vincent Maraval, Gaspar Noé, Rodrigo Teixeira, Edouard Weil. Production : Wild Bunch – Les Cinéma de la zone – RT Features – Rectangle Productions – Scope Pictures. Distribution : Wild Bunch Distribution (sortie France le 15 juillet 2015). France. 2015. 2h10. Couleurs. 3D et 2D. Dolby Digital. Sélection officielle, hors compétition, Festival de Cannes 2015. interdit aux moins de 16 ans avec avertissement.
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