Le film nouveau de Gaspar Noé, Love aura-t-il une exploitation en salles digne de ce nom ? Rien n’est moins sûr après la décision de la Ministre de la culture, Fleur Pellerin, qui a refusé de valider l’interdiction aux moins de 16 ans avec avertissement préconisée par la Commission de classification et qui demande à cette même commission de réexaminer le film et donc de revoir son jugement.
Rappel des faits
La Commission de classification dépend du CNC et du ministère de la culture. Tous les films sortant sur les écrans (longs et courts métrages) doivent obtenir un visa d’exploitation avec éventuellement une restriction pour certaines catégories de spectateurs. L’opération se fait en deux temps. Un premier comité consultatif de la classification visionne l’ensemble de la production, procède à un premier filtre et détermine si le film est autorisé à tous les publics ou si certaines scènes ou le contenu du film nécessite une « protection » en l’interdisant aux moins de 12, 16 ou 18 ans.
Dans l’éventualité d’une restriction, le film est renvoyé en commission plénière qui statue sur le film et propose à la Ministre une restriction ou non.
Dans le cas de Love, le premier comité s’était prononcé, à une large majorité, pour une interdiction aux – 16 ans voire aux – 12 ans. Le film de Gaspar Noé est donc en toute logique renvoyé en commission plénière.
La plénière se réunissant deux fois par semaine (le mardi et le jeudi) c’est le jeudi 18 juin que Love est visionné par ses membres.
Après un débat et un vote, les membres présents (24) votent pour une interdiction aux moins de 16 ans avec adjonction d’un avertissement.
La décision est motivée de la manière suivante :
« Il existe dans ce film un récit qui, quelque désespéré qu’il puisse paraître, met en valeur le sentiment amoureux et permet de créer la distance nécessaire par rapport à la matérialité de scènes de sexe explicites ; il est donc proposé une interdiction aux mineurs de moins de seize ans assortie de l’avertissement suivant : « Certaines scènes de ce film sont de nature à heurter un jeune public ». »
Il est rarissime qu’un ministre refuse la décision de la commission de classification des films. C’est pourtant ce que vient de faire Fleur Pellerin qui n’a pas confiance dans le premier jugement de la commission (composée ce jour-là de 24 membres) et qui veut que la commission réfléchisse à deux fois avant de prendre sa décision d’accorder un visa – 16 ans ou non au film Love. Lorsqu’un ministre demande un réexamen d’un film, c’est toujours parce que le ministre souhaite que la commission prenne une mesure d’interdiction plus sévère. Dans le cas de Love, la mesure plus sévère serait une interdiction aux moins de 18 ans.
Ce renvoi a de quoi surprendre. Vincent Maraval, coproducteur et distributeur de Love, réplique sur Twitter (florilège) :
« Il n’y a aucune pénétration dans Love que de l’amour, que du sexe dans l’amour, rien que de la vie quoi. Et la vie, ça effraie Pellerin. »
« Le juge à la retraite arriéré mental qui s’amuse derrière l’association Promouvoir, n’a même plus rien à faire, Pellerin le devance. Triste époque. »
« Fleur Pellerin cède face à la crainte d’une plainte de l’association Promouvoir, tenu par un mégrétiste dont même le FN ne veut plus. »
« La politique culturelle de Fleur Pellerin c’est Turf plutôt que Pasolini, Buñuel ou Fassbinder. »
« Nos ados sont donc condamnés à découvrir le sexe sur Internet à travers des athlètes bodybuildés tatoués et rasés qui se croient aux JO. »
« La nuit où Promouvoir est devenu ministre de la culture. Bravo aux mégrétistes qui accèdent enfin aux affaires. »
« Fleur Pellerin a tranché, l’accès libre et sans restriction du porno hard où la femme n’est qu’un bout de viande sur Internet, oui. Love non. »
Il faut se rendre à l’évidence une mesure d’interdiction aux moins de 18 ans a des conséquences terribles dans l’accès des spectateurs au film. L’exploitation ainsi en salle de Love se verrait réduite à peau de chagrin et serait nulle dans bon nombre de villes de province, cette interdiction rendrait de facto Love indiffusable à la télévision et problématique en éditions DVD-Blu-ray. Nous pouvons donc considérer l’interdiction aux moins de 18 ans comme une interdiction (quasi)-totale qui n’ose pas dire son nom.
Rien n’est encore joué, la Commission de classification qui réexaminera le film mardi 30 juin à 18 heures, peut confirmer sa première proposition, ce qui semblerait logique dans la mesure où la commission est assez allergique aux pressions, et la ministre n’aurait d’autre possibilité que de valider le visa d’exploitation de Love avec un moins de 16 ans avec avertissement. Réponse dans quelques jours.
August Tino