Terminé en 1976, Lost Lost Lost de Jonas Mekas a été tourné comme un Home Movie entre 1949 et 1963.
L’exil s’exprime d’abord sous la forme d’un chant. Voix tremblante de Jonas Mekas récitant son Odyssée, qui comme Ulysse n’a jamais voulu quitter sa maison. Chants douloureux de l’exilé que capte la Bolex sur Lorimer Street. Bruits des rues non synchrones avec les images, pluie, orage, l’embarcadère de la 23e rue, où débarquent en Amérique, des « personnes déplacés », l’attente, la peur et l’espoir… premières images de New York. Un nouveau monde où la vie continue. « Mais à quoi pense une « personne déplacé » à New York ? Nous ne le serons peut-être jamais tant chaque individu transporte en lui sa vie et ce qu’il a perdu en chemin.
Par des images simples de la vie quotidienne, il se dégage de ce film témoignage-poème, – où dans le square Darius & Girenas, de vieux lituaniens rêvent -, la saudade de l’exilé. A Brooklyn, au rythme des saisons, Mekas traine dans les rues sa solitude en observant ce microcosme d’humanité. Ces doigts ne tiennent pas un crayon mais une caméra. Tentative folle de ne rien perdre. Le premier salaire, les amis, les premiers amours, les années qui passent, films inachevés, Aldolfas qui revient de l’armée, Lost Lost Lost est le reflet d’une époque en perpétuel mouvement et de la vie des frères Mekas.
Et puis, les bobines comme les années s’enchaînent, pour ce passant venu d’ailleurs, les revendications, les manifestions pour la paix, la misère dans les rues de la grande ville. « J’étais là. » nous dit Jonas Mekas et nous spectateurs-voyageurs dans le temps avons la vertigineuse impression que ces images sont aussi les nôtres, que nous aussi étions là. Et pourtant : « Connaissez-vous l’histoire de l’homme qui ne supportait plus de vivre en ignorant ce qu’il y a au bout du chemin, et savez-vous ce qu’il a trouvé en l’atteignant ? Au bout du chemin, il a trouvé un tas, un petit tas de crottes de lapin. Et il s’en est retourné. Quand les gens lui demandaient : « Hé, jusqu’où mène le chemin ? », il répondait : « Nulle part, il ne mène nulle part, et au bout il y a juste un tas de crottes de lapin. » C’est ce qu’il leur disait. Mais personne ne l’a jamais cru.». Lost Lost Lost est ce voyage jusqu’au bout du chemin.
Rita Bukauskaite & Fernand Garcia
Lost Lost Lost Un film de Jonas Mekas. Noir et Blanc et Couleurs. Durée : 180 mn
Lost, Lost, Lost est disponible dans le coffret Jonas Mekas chez Potemkine.