Dans une luxueuse villa en bord de mer, une jeune femme modeste retrouve une étrange famille : un père inconnu et très riche, son épouse fantasque, sa fille, une femme d’affaire ambitieuse, une ado rebelle ainsi qu’une inquiétante servante. Quelqu’un ment. Entre suspicions et mensonges, le mystère s’installe et le mal se répand…
Romancier, scénariste et réalisateur, Sébastien Marnier réalise son premier long métrage en 2016, Irréprochable avec Marina Foïs et Jérémie Elkaïm. En janvier 2019 sort son second film, le surprenant et envoûtant L’Heure de la sortie avec Laurent Lafitte, qui a été présenté en sélection officielle au Festival de Venise en 2018. A nouveau produit par Caroline Bonmarchand (Avenue B Productions), L’Origine du Mal est le troisième long métrage de Sébastien Marnier.
L’Origine du Mal est un thriller qui se présente comme un conte. Pour écrire le redoutable scénario à l’intrigue riche en rebondissements de son nouveau film, Sébastien Marnier s’est aussi bien inspiré de sa propre expérience que de nombreuses personnes qu’il connait. Dans ses grandes lignes, le film raconte en effet un moment particulier de l’histoire de sa mère qui, à 60 ans, a retrouvé son père.
L’action du film se déroule principalement dans une villa atypique au luxe ostentatoire (escalier en marbre rose, animaux empaillés, motif léopard, des milliers de cassettes VHS…) située en bord de mer sur l’Île de Porquerolles. Le réalisateur a utilisé les moindres recoins de l’immense demeure sans avoir recours à la moindre reconstitution en studio. A l’aide du travail du chef décorateur Damien Rondeau et de son équipe, Marnier a transformé la villa en véritable mausolée en remplissant l’espace à outrance. A la fois étrange et effrayante, la villa occupe un rôle important dans le film.
La construction en étages de la villa vient brillamment induire en sous-texte une hiérarchisation des classes sociales. C’est au sous-sol que des vols sont commis et que les disputes éclatent. Comme dans ses films précédents, Sébastien Marnier met ici en scène des transfuges de classe. Lorsque Stéphane arrive dans sa nouvelle famille très riche, elle n’assume pas sa condition modeste de « simple ouvrière » travaillant dans une conserverie et préfère mentir. Mais les secrets et mensonges sont légion dans la famille Dumontet. Stéphane est-elle la seule à mentir ?
« Pour moi, la famille, c’est ce qu’il y a de pire au monde. C’est comme un poison qu’on a dans le sang, qui contamine et qui rend malade. ». Comme le déclare dans le film le personnage de Jeanne, auquel le réalisateur Sébastien Marnier s’identifie le plus par son côté à la fois excentrique et secret, qui observe plus qu’il ne participe à la vie de famille, L’Origine du Mal illustre parfaitement cette idée de toxicité que peuvent provoquer la famille et les liens familiaux sur ses membres.
Sœurs, mère, grand-mère, tante, femme, fille, petite fille, nièce, à travers son scénario, le cinéaste nous expose de nombreuses relations différentes entre les femmes du film. Ces relations diverses correspondent aux multiples relations entre les femmes au sein d’une famille et témoignent non seulement de la complexité à trouver sa place dans la famille mais aussi de la difficulté à aimer où à se faire aimer de l’autre. L’Origine du Mal témoigne de la complexité des sentiments humains. Et si les personnages du film n’étaient pas tout simplement en manque d’amour ? Et si les personnages du film n’étaient pas tout simplement des « mal-aimés » ?
Grand film sur la Famille, L’Origine du Mal est une œuvre qui montre parfaitement que tout un chacun joue plus ou moins un rôle, son rôle, au sein de la cellule familiale. Sommes-nous sincères quand nous jouons un rôle où mentons-nous ? Mentons-nous toujours à ceux que nous aimons ? L’Origine du Mal nous invite à nous méfier des apparences.
La question du rôle de chacun dans la famille nous amène donc aux jeux des acteurs qui, tous ici, sont épatants. Comme une étourdissante mise en abyme, dans ce jeu de dupes où tout n’est qu’imposture et simulacre, les acteurs interprètent à la perfection des personnages qui jouent eux-mêmes des rôles.
C’est à travers le regard de Stéphane et avec nos idées préconçues que l’on va découvrir la « mystérieuse » famille Dumontet. Les membres qui la composent nous sont présentés comme plus monstrueux les uns que les autres. Tous semblent cacher quelque chose. Mais, en même temps que nos préjugés avec lesquels s’amuse le cinéaste, les masques tombent un à un, et la vérité se fait jour au fil de l’histoire. Tous ayant leur propre raison et leur propre vérité, le réalisateur prend bien soin de ne jamais les juger.
La réussite de L’Origine du Mal doit beaucoup à ses personnages ambigus et donc à ses interprètes. Principalement constitué de comédiennes singulières provenant d’horizons différents, la distribution du film est une vraie réussite tant chacune d’entre elles semble être à sa place sans jamais pour autant avoir joué de rôles similaires au cours de sa carrière.
Si la caractérisation des personnages passe beaucoup par le vêtement et le travail de la costumière Marité Coutard, chacune des actrices participe à construire son personnage par sa propre énergie à commencer par Dominique Blanc (Milou en Mai, 1990 ; Indochine, 1992 ; La Reine Margot, 1994 ; Les Acteurs, 1999…) qui interprète magnifiquement Louise, l’épouse et mère de famille excentrique. Louise est le personnage le plus haut en couleurs du film. Grande tragédienne, Dominique Blanc s’en donne manifestement à cœur joie de jouer cette femme exubérante qui ressemble aux anciennes actrices hollywoodiennes.
Stéphane est la fille illégitime de Serge et la pièce rapportée pour le moins mal accueillie par la famille Dumontet et particulièrement par George. A l’opposé du personnage de Louise, Laure Calamy (Ce qu’il restera de nous, 2012 ; Neuf mois ferme, 2012 ; Rester Vertical, 2015 ; Ava, 2016 ; Nos batailles, 2018 ; Seules les Bêtes, 2019 ; Antoinette dans les Cévennes, 2020 ; Une Femme du monde, 2021…) incarne le personnage sombre et complexe de Stéphane de manière époustouflante jusqu’au tout dernier plan incroyable du film. L’aisance avec laquelle Laure Calamy compose les multiples facettes de son personnage est stupéfiante.
George, l’ambitieuse fille légitime du patriarche qui dirige les affaires de son père, est campée par l’actrice Dora Tillier (Yves, 2019 ; La Belle époque, 2019 ; Présidents, 2021 ; Fumer fait tousser, 2022 …) plus que convaincante dans son interprétation de ce personnage autoritaire et sans empathie.
Le père, Serge Dumontet, riche homme d’affaires affaibli et seul personnage masculin du film, est formidablement interprété par le toujours charismatique Jacques Weber (Etat de siège, 1972 ; L’Adolescente, 1978 ; Cyrano de Bergerac, 1990 ; Beaumarchais, l’insolent, 1996 ; Don Juan, 1998 ; Les Ambitieux, 2006 ; Fais-moi plaisir!, 2008 ; Mauvaise fille, 2012…). Ce dernier est irréprochable dans son rôle de monstre mégalomane. Entouré de femmes qui ne semblent pas lui vouloir que du bien, il incarne à la perfection cette origine du mal. Grand film sur la fin du patriarcat, L’Origine du Mal nous présente donc le mâle comme étant à l’origine des maux de la famille.
Jeanne, la fille de George, adolescente rebelle et secrète qui semble avoir déjà coupé les ponts avec sa famille qu’elle observe de loin, est impeccablement jouée par la jeune comédienne Céleste Brunnquell (Les Eblouis, 2019…).
La Québecoise Suzanne Clément (Lawrence Anyways, 2012 ; Le Sens de la fête, 2017…) est, elle aussi, excellente dans le rôle important de la détenue amoureuse. Enfin, Agnès, l’inquiétante servante, est admirablement interprétée par la comédienne Véronique Ruggia Saura. Notons que cette dernière était déjà à l’affiche des deux précédents films de Sébastien Marnier.
Si le sujet de L’Origine du Mal et ses thématiques, ou encore même son affiche, ne sont pas sans rappeler le cinéma de Claude Chabrol, la brillante et singulière mise en scène de Sébastien Marnier vient complètement transfigurer le film pour le rapprocher du cinéma de genre. Le drame familial devient thriller.
« Tout est question de regard et de triche […] J’ai toujours aimé le split-screen, comme le zoom d’ailleurs. Ce sont mes références de cinéma et j’aime quand la mise en scène est visible. Je voulais que dans L’Origine du Mal, la direction artistique, la mise en scène et le travail du son prennent une charge narrative importante. » Sébastien Marnier.
La remarquable utilisation du split-screen par le réalisateur pour signifier l’isolement du personnage de Stéphane ou encore de nombreux plans du film rappellent le cinéma d’Alfred Hitchcock ou encore de Brian De Palma. En effet, si on pense à Chabrol sur le fond, la maligne mise en scène et l’atmosphère inquiétante de L’Origine du Mal rapprochent plus le film des thrillers psychologiques d’Hitchcock ou de De Palma. Le choix du cinéaste avec le chef opérateur Romain Carcanade d’utiliser des lentilles anamorphiques, qui donnent un format encore plus large que le scope et créent une image comme déréalisée, apporte une sensation étrange qui participe immanquablement à l’atmosphère voulue.
« C’est l’avantage de travailler avec un musicien qui n’est pas rompu à l’exercice de la musique de film. Il n’y a aucun automatisme et le résultat est très singulier. Si bien que cette musique ne ressemble qu’à elle-même : elle est variée et pourtant reste très homogène. » Sébastien Marnier.
Pour en revenir à nos « mal-aimés », nous ne pouvons pas terminer cet article sur le film sans souligner et écrire un mot sur la bande originale du film signée de l’auteur-compositeur-interprète Québécois Pierre Lapointe. Après avoir fait appel au groupe Zombie Zombie pour ses deux précédents films, Sébastien Marnier a demandé à son ami Pierre Lapointe de composer la bande-originale de L’Origine du Mal. Composée avec de vrais instruments et utilisant des crissements ou encore d’inquiétants coassements de grenouilles, la bande originale se fond, et se confond, superbement avec la bande son du film et son atmosphère. Accidentée et organique, composée en trois actes distincts, un premier acte avec des musiques d’ambiance mystérieuses, un deuxième acte qui rappelle la grande époque du cinéma d’épouvante et un troisième acte où les cordes sont prépondérantes, la bande originale est non seulement inhérente à la structure même du film mais aussi évidemment à son climat. Merveilleuse, cette dernière ne manque pas de provoquer les émotions souhaitées. Pour celles et ceux qui ne le connaitraient pas encore, n’hésitez surtout pas un instant à découvrir le sublime « album concept » de Pierre Lapointe, La Forêt Des Mal-Aimés (2006) dont l’univers, la musique et les textes ne sont pas sans rappeler l’ambiance du film.
De l’image (la lumière, les couleurs, le format), à la mise en scène, en passant par les costumes, les décors ou la bande sonore de Stephen de Oliveira à laquelle la bande originale vient superbement s’ajouter, parfaitement maîtrisée, toute la direction artistique du film participe autant à son histoire et son sujet qu’à son ambiance et son mystère. Avec la magnifique grammaire visuelle qu’il compose pour L’Origine du Mal, Sébastien Marnier cultive brillamment le suspense en manipulant le spectateur et ses certitudes comme rarement. Sébastien Marnier nous offre avec L’Origine du Mal, l’illustration parfaite de l’expression « L’Art et la manière ».
La manière originale et singulière dont le cinéaste traite son propos universel fait de L’Origine du Mal une réussite incontestable. Au service de son sujet, la forme élégante de L’Origine du Mal procure un plaisir rare et précieux au spectateur qui ne peut que ressortir ravi de la projection de ce film vénéneux à souhait. La maitrise formelle et narrative du film impose son auteur comme un des cinéastes français les plus doués de sa génération. Excellent et audacieux thriller psychologique, L’Origine du Mal est un « divertissement populaire » de qualité qui respecte l’intelligence du spectateur. Merci Sébastien Marnier !
L’Origine du Mal a été présenté en septembre dernier à la Mostra de Venise ainsi qu’à L’Etrange Festival.
Steve Le Nedelec
L’Origine du Mal un film de Sébastien Marnier avec Laure Calamy, Doria Tillier, Dominique Blanc, Jacques Weber, Suzanne Clément, Céleste Brunnquell, Véronique Ruggia Saura,… Image : Romain Carcanade. Décors : Damien Rondeau. Costumes : Marité Coutard. Montage : Valentin Féron et Jean-Baptiste Beaudoin. Musique : Pierre Lapointe et Philippe Brault. Productrice : Caroline Bonmarchand. Production : Avenue B Productions – Micro_scope – Poison Productions. Distribution : The Jokers Films – Les Bookmakers (sortie le 5 octobre 2022). France – Canada – 2022 – 2h05. Couleur. Format image : 2.55. Son : 5.1. Selection : Festival de Venise, 2022 – L’Etrange Festival, 2022.