Le Pacifique à perte de vue. Détroit de Bungo, près de la côté japonaise, 1942. Un sous-marin américain s’apprête à détruire des cargos japonais. A son bord, le Commandant « Rich » Richardson (Clark Gable) ordonne le lancement des torpilles. Mais les Japonais repèrent le sous-marin. Surgit de nulle part, le destroyer Akikaze fonce sur le sous-marin et le coule. Un an plus tard à Pearl Harbor, Richardson, hanté par les morts, cherche toujours à comprendre comment il s’est fait avoir. Entretemps, l’Akikaze a détruit quatre sous-marins. A la base, le Nerka, doit prendre la mer. Le lieutenant Bledsoe (Burt Lancaster) doit en prendre le commandement, mais le haut-commandement décide de confier le sous-marin à Richardson…
L’odyssée du sous-marin Nerka est une commande pour Robert Wise de la part d’Harold Hecht et Burt Lancaster. Ce qui ne veut pas dire que Wise est un simple exécutant, un technicien parmi d’autres, loin de là. Ancien chef monteur de la RKO, son nom est associé à deux films d’Orson Wells. Tout d’abord, Citizen Kane (1941), chef-d’œuvre absolu et tournant dans l’histoire du cinéma. Puis, La Splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons, 1942), mais la RKO épouvantée par la modernité du film, demande à Wise de remonter sa première version. Coincé, Wise accepte afin de respecter de l’esprit de l’œuvre de Wells et tourne lui-même quelques plans raccords. La responsabilité est énorme, il lui sera longtemps reproché d’avoir « émasculé » La splendeur des Amberson, surtout que le premier montage et les scènes retirées du montage final disparaîtront à jamais.
Le grand producteur, Val Lewton fait passer Robert Wise de la salle de montage au plateau de tournage définitivement. Il lui confie la réalisation de la suite de La Féline (Cat People, 1942), La Malédiction des hommes-chats (The Curse of the Cat People, 1944) en remplacement de Günther von Fritsch, où pour cause d’économie, la production utilise les décors de La Splendeur des Amberson ! Wise signe dès son 3e film un chef-d’œuvre du cinéma fantastique, Le Récupérateur de cadavres (The Body Snatchers, 1945) avec Boris Karloff et Bela Lugosi. Après plusieurs films à petit budget, il frappe un grand coup avec Nous avons gagné ce soir (The Set-Up, 1949) chef-d’œuvre du film noir, dont l’action se déroule en temps « réel ». Le film avec Robert Ryan et Audrey Totter renouvelle complètement le genre. Wise est désormais un réalisateur qui compte. Il quitte la RKO pour la 20th Century Fox. Il signe un très original film de science-fiction Le jour où la Terre s’arrêta… (The Day the Earth Stood Still, 1951). Robert Wise s’attaque à tous les genres du drame au western avec d’éclatantes réussites. La qualité de sa mise en scène se distingue par son réalisme et par son sens impeccable du rythme. Wise accorde un style visuel à chaque film, soignant particulièrement ses mouvements d’appareil et ses transitions.
Robert Wise plonge littéralement dans l’histoire du Nerka. Il pousse le réalisme d’une opération en sous-marin utilisant le langage technique et tous les sons, bruits et ambiances de l’intérieur du sous-marin. Robert Wise réussit à maintenir le suspense par le biais d’une bande-son exceptionnelle. L’ennemi est quelque part autour du Nerka. La tension est palpable dans cet univers clos. Il accentue la rivalité entre le Commandant (Gable) et son Lieutenant (Lancaster). Nous naviguons dans un contexte au bord de l’explosion. La guerre psychologique entre dans le sous-marin, par le biais de la voix (féminine) de la radio de propagande japonaise.
Dans cet univers à forte connotation masculine, Wise introduit une touche d’humour avec l’image de la pin-up Betty Grable dont les marins caressent les fesses avant le combat. Wise n’est jamais aussi efficace que sur des durées courtes, l’action ne s’arrête jamais. Cette approche, pour ainsi dire documentaire, innove dans ce sous-genre du film de guerre, le film de sous-marin. L’odyssée du sous-marin Nerka se classe parmi ses plus grandes réussites, il est l’un des films de référence du genre. Depuis, tous les films de sous-marins sont redevables à Robert Wise. A partir de ce film, Wise devient le producteur de quasiment tous ses films. 4 Oscars couronneront sa carrière, 2 comme producteur pour le meilleur film, West Side Story (1962) et La Mélodie du bonheur (The Sound of Music, 1966) et 2 autres comme réalisateur pour les mêmes films.
Burt Lancaster produit L’Odyssée du sous-marin avec ses associés Harold Hecht et James Hill. Il vient de connaître un échec commercial, injuste, avec Le Grand Chantage (Sweet Smell of Success, 1957) d’Alexander Mackedrick. Une fois sur le plateau, Lancaster n’est plus qu’un acteur au service du film et sous la direction du réalisateur. Lancaster aura toujours à cœur d’élargir son répertoire, de se confronter à de nouveaux univers et à de nouveaux réalisateurs. Il émane de lui une puissance dramatique qui s’accorde parfaitement avec le film noir. Dans Nerka, il exprime une colère contenue envers le Commandant. A chaque plan, il laisse planer un doute sur ses intentions. Lancaster excelle dans l’ambiguïté des sentiments, sa manière de sourire et sa voix calme. Le succès L’Odyssée du sous-marin relance les productions Hecht – Hill – Lancaster.
Il est difficile d’imaginer aujourd’hui l’aura fabuleuse de Clark Gable. Il a été une immense star hollywoodienne. Ses débuts difficiles, de longues années d’apprentissage dans de petites compagnies théâtrales, figurations et petits rôles au temps du cinéma muet. Plusieurs femmes exercèrent une influence déterminante sur sa carrière, dont Franz Dorfler, à ses débuts et Josephine Dillon (un temps son épouse), actrice et metteur en scène, qui affina son jeu, etc.
Le passage au parlant est sa grande chance. Les Studios se débarrassent de leurs vedettes les plus encombrantes au profit de nouveaux visages. En 1931, Gable est à l’affiche de douze films de la MGM. Gable est surnommé le « Roi de Hollywood ». Il attire les foules dans les salles de 1932 à 1943, puis de 1947 à 1949 (après l’intermède la Seconde Guerre mondiale) et en 1955, où il pulvérise les records de recettes. En 1934, Louis B. Meyer le prête à la Columbia pour New York-Miami (It Happened One Night, 1934) de Frank Capra, Claudette Colbert, hésitante, finit par accepter le premier rôle féminin de ce film dont personne ne voulait. Le film de Capra va devenir l’archétype de la comédie américaine des années 30. Le film remporte l’Oscar du meilleur tandis que Gable et Colbert celui des meilleurs acteurs. En tout, trois films avec l’acteur décrocheront la statuette. David O. Selznick après de longues négociations avec la MGM, cède les droits de distribution et 50% des bénéfices, afin d’obtenir Clark Gable pour Autant en emporte le vent (Gone With the Wind, 1939). Il s’agit du premier film en couleur de l’acteur. L’adaptation du roman de Margaret Mitchell est un succès phénoménal. Rhett Butler et Scarlett O’Hara (Vivien Leigh) entrent par la grande porte dans le panthéon de l’histoire du cinéma.
A la mort de sa femme, l’actrice Carole Lombard, dans un accident d’avion en 1942. Peu avant sa mort, elle lui avait suggéré de s’engager. Gable quitte Hollywood et s’engage. Il est affecté à l’école d’aviation des élèves officiers de Miami. Rapidement sur le front dans un bombardier. De retour à la MGM, ses films sont des succès, mais à la qualité aléatoire. Le contrat de Gable se termine en 1954, Dore Schary, le directeur de la production, ne le renouvelle pas. Gable devient indépendant, ce qui ne l’empêche pas d’être l’acteur le mieux payé d’Hollywood avec un pourcentage sur les recettes. Clark Gable, libre, choisit ses films avec soin.
Lors du tournage de L’Odyssée du sous-marin Nerka, Clark Gable a 57 ans, déjà malade, il est victime de tremblement. Robert Wise, intelligemment, utilise l’état de santé de l’acteur pour enrichir son personnage. Gable est remarquable face à Burt Lancaster. On retrouve dans son jeu, cette force qui est sa marque de fabrique, mélange de virilité, d’élégance et dignité.
L’Odyssée du sous-marin reste un des meilleurs films de sous-marins jamais tournés. Un classique indémodable du genre.
Fernand Garcia
L’odyssée du sous-marin Nerka, une édition (combo Blu-ray (inédit)-DVD) chez Rimini Editions avec en complément : Un entretien avec Laurent Aknin, historien du cinéma. Excellente analyse et mise en perspective du film (22 mn). Et pour finir, la bande-annonce d’époque (3 mn).
L’odyssée du sous-marin Nerka (Run Silent, Run Deep) un film de Robert Wise avec Clark Gable, Burt Lancaster, Jack Warden, Brad Dexter, Don Rickles, Nick Cravat, Joe Maross, Mary LaRoche… Scénario : John Gay d’après le roman du Commandant Edward L. Beach. Directeur de la photographie : Russell Harlan. Décors : Edward Carrere. FX optique : A. Arnold Gillespie, Howard Lydecker, Clifford Stine et Matthew Yuricich (non-crédité). Musique : Franz Waxman. Producteurs : Harold Hecht et James Hill (non-crédité). Production : Hecht – Hill – Lancaster Productions – Jeffrey Productions – United Artists. Etats-Unis. 1958. 93 mn. Noir et blanc. Format image : 1.66 :1. 16/9e Son : Version originale sous-titrées français et Version française. Dual mono. DTS-HD. Tous Publics.