Quatrième film de Louis Garrel, L’Innocent est scénaristiquement le plus abouti. On retrouve les qualités de ses précédents films, l’empathie envers les personnages, où chacun a ses raisons, et son amour pour le cinéma d’auteur des années 60/70. L’approche Nouvelle vague de Louis Garrel se fond dans ce nouvel opus dans une intrigue de polar.
Abel (Louis Garrel), trentenaire, vit dans le souvenir de son amour défunt. Sa mère, Sylvie (Anouk Grinberg), actrice, anime des ateliers théâtraux en prison. Sur une route de campagne, elle annonce à Abel, qu’elle va épouser un taulard, Michel (Roschdy Zem). C’est le choc pour le fils. L’éventualité d’avoir un beau-père truand, le panique. Il entraîne sa meilleure amie, Clémence (Noémie Merlant), dans la surveillance du « jeune couple ». Filature, écoute, tout y passe, mais Michel se rend vite compte des stratagèmes mis en place par Abel.
Le film de Louis Garrel est particulièrement élevé. Abel est une déclinaison d’Antoine Doinel, beau parleur, timide, petit job, dont la morale se fracasse sur la réalité. Sûr de lui, il ne comprend finalement pas grand-chose aux femmes, que ce soit sa mère ou à sa meilleure amie. Les meilleures scènes sont d’ailleurs celles où Abel se confronte à sa mère ou se laisse entraîner par Clémence. A ce titre, la séquence du restaurant est mémorable. L’habileté du dialogue dans un échange à double sens dévoile la véritable nature des sentiments qui unissent Abel et Clémence.
Garrel démontre que jouer, c’est se mettre à nu et faire jaillir du texte la vérité d’un être. En tant que metteur en scène, il est exactement dans la position de la mère dans la première séquence. La vérité doit surgir, aussi brut et vrai que possible et le metteur en scène doit provoquer et cueillir ce moment. Ainsi, à plusieurs reprises l’art du comédien entre en jeu. La première séquence, où le spectateur se fait avoir, la répétition de la scène du restaurant sous la direction des truands (les metteurs en scène sont des voleurs et des manipulateurs de sentiments), et bien sûr dans son exécution pendant le braquage.
L’Innocent, se divise en deux parties parfaitement identifiables, une première raconte une histoire, plus ou moins inspirée de la mère de Louis Garrel, l’actrice Brigitte Sy. Et la deuxième, débute par la chanson de Gérard Blanc, Une autre histoire, nous entrainant sur la route du braquage. Il faut signaler l’excellente utilisation des morceaux de variétés, ils constituent l’ADN de la mère, mais surtout participent à la progression de la narration comme dans une comédie musicale. La musique de Grégoire Hetzel ajoute avec élégance un timbre romantique et film noir dans le sillage des compositions de Michel Legrand. On retrouve dans ce film le goût de Garrel pour les scènes de danse et de karaoké, ponctuations qui laissent le temps en suspens.
Côté polar, L’Innocent abat deux cartes celle du classicisme avec son braquage minutieusement préparé des films hollywoodiens, et celle de la mythologie du film de gangsters à la Melville. Roschdy Zem passe dans cette filiation melvillenne du flic de Roubaix, une lumière au truand à l’ancienne, avec la même classe. Garrel ajoute de petites touches bienvenues comme le split-screen très en vogue dans les films de casse des années 60/70, dont l’exemple le plus élégant (et complexe) reste celui de L’Affaire Thomas Crown (The Thomas Crown Affair, 1968). Garrel ne donne pas dans la sophistication comme Norman Jewison. Sa partie d’échecs est une fausse scène de ménage entre Abel et Clémence, dans un restau routier, se clôt par un baiser dans les toilettes. Cette séquence absolument réjouissante est le point culminant du film. Noémie Merlant trouve dans cette jeune femme exubérante (sans excès) et drôle, une fraîcheur pétillante de vie qui en fait son plus beau rôle à ce jour.
Sans chercher à en faire trop, Garrel, réussit à passer de la comédie, au burlesque, à l’action, et ses bras cassés de braqueurs évoquent les branquignoles la comédie italienne. Garrel ne termine pas sur un classique happy end de feel good movie, mais sur une note dure qui renvoie à la réalité de l’emprisonnement. Du caviar dans la comédie française, ça ne se refuse pas !
Fernand Garcia
L’Innocent un film de et avec Louis Garrel et Anouk Grinberg, Noémie Merlant, Roschdy Zem, Jean-Claude Pautot, Léa Wiazemsky, Manda Touré, Jean-Claude Bolle-Reddat… Scénario : Tanguy Viel, Louis Garrel avec la collaboration de Naïla Guiguet. Image : Julien Poupard. Décors : Jean Rabasse. Costumes : Corinne Bruand. Montage : Pierre Deschamps. Musique : Grégoire Hetzel. Productrice : Anne-Dominique Toussaint. Production : Les Films des Tournelles – Arte France Cinéma – Auvergne Rhône-Alpes Cinéma en association avec Cofimage 33 – La Banque Postale Image 15 – Giorgio Armani. Participation : CNC – Canal + – Ciné + – Wild Bunch International. Distribution (France) : Ad Vitam Distribution (sortie le 12 octobre 2022). France. 2022. 99 minutes. Format image : 2,39 :1. Son : Dolby 5.1. Sélection officielle, hors Compétition, Festival de Cannes, 2022. Tous publics.