Le New York Express est devenu une feuille à scandale (le Scandal Sheet du titre original) sous l’impulsion de son rédacteur en chef Mark Chapman (Broderick Crawford). Obsédé par l’horloge qui annonce les ventes, il est prêt à tout pour un scoop. Il est la référence du jeune Steve McCleary (John Derek), le plus entreprenant des journalistes d’investigation du journal. Afin d’obtenir son lot d’histoires croustillantes, le New York Express organise un bal dédié aux cœurs solitaires. Tous les journalistes sont sur le pont. Dans la salle où se pressent des centaines de célibataires, Mark croise un fantôme du passé… sa femme…
Même le grand Samuel Fuller pouvait avoir tort de démolir L’Inexorable enquête, adaptation de son roman The Dark Page. Le roman publié en 1944 avait attiré l’attention d’Howard Hawks (Scarface, Le port de l’angoisse…) qui en avait fait l’acquisition des droits avant de les céder à la Columbia. C’est finalement Phil Karlson, très bon artisan, qui va mettre en scène le film. Samuel Fuller a détesté le résultat final et a été si critique envers ce pauvre Karlson que celui-ci a fini par se désintéresser complètement de la carrière de son film oubliant jusqu’à son existence. A cause de Samuel Fuller, L’Inexorable enquête avait mauvaise réputation, et aucun cinéphile n’avait vraiment envie de se pencher sur son cas. Grossière erreur ! L’Inexorable enquête est un très bon polar, âpre, sec et efficace mené avec un grand sérieux par un Phil Karlson en très grande forme.
Le point de départ est formidable : le rédacteur en chef diligente, quelque peu contraint, une enquête dont le coupable n’est autre que lui-même. Je ne révèle rien puisque c’est le démarrage du film. A travers le personnage de Mark Chapman, c’est tout le fonctionnement et la description d’une « certaine » presse que le film critique. Il faut dire que Karlson et Fuller connaissaient bien le milieu. Tous deux, très jeunes, avaient été vendeurs de journaux dans les rues. Fuller avait de son côté gravi les échelons jusqu’à devenir le plus jeune reporter criminel du New York Evening Graphic dans les années 20.
Incidemment, ceux qui connaissent le formidable film de John Farrow, La Grande horloge (The Big Clock, 1948) avec Charles Laughton et Ray Milland, ne pourront que faire le lien entre les deux films. Le point de départ est quasiment identique, même si le développement de l’intrigue diffère. Il faut dire que Kenneth Fearing, l’auteur du roman dont est tiré La Grande horloge, s’est fortement inspiré (c’est le moins que l’on puisse dire) du roman de Samuel Fuller.
Phil Karlson réunit pour son adaptation une distribution de premier ordre. Broderick Crawford, avec son air de chien battu et sa façon inimitable de balancer à toute vitesse ses dialogues – il avait débuté à la radio – est époustouflant dans le rôle du rédacteur en chef pétri d’ambition et meurtrier. Crawford est l’interprète idéal des hommes en chute libre que ce soit dans les films noirs, les drames ou les westerns. L’immense Federico Fellini l’utilisera merveilleusement dans l’amère et sarcastique Il Bidone (1955). Broderick Crawford remporte l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle d’homme politique dans Les Fous du Roi (All the King’s Men) de Robert Rossen où John Derek incarne son fils.
John Derek qu’il retrouve ici en jeune chien fou du journalisme de caniveau. Certainement l’une des meilleures interprétations de sa carrière pour cet acteur parfois quelque peu transparent. Il est dans L’Inéxorable enquête impeccable. Enfin, la brune Donna Reed apporte la touche féminine, pleine de bon sens, à cette sombre histoire. Très bonne actrice, impeccable dans les rôles d’amoureuses romanesques et aimantes. Elle est, entre autres, l’épouse de James Stewart dans le classique La vie est belle (It’s a Wonderful Life, 1946) de Frank Capra. Son rôle de prostituée dans Tant qu’il y aura des hommes, lui valu l’Oscar du meilleur second rôle.
Admirable film noir, L’Inexorable enquête est superbement photographié par le grand Burnett Guffey, l’un des très grands chefs opérateurs du style film noir, on lui doit les superbes images de So Dark The Night (1946) de Joseph H. Lewis, de L’heure du crime (Johnny O’Clock, 1947) de Robert Rossen, des Ruelles du malheur (Knock on Any Door, 1949) et du Violent (In a Lovely Place, 1950) de Nicholas Ray, de Plus dure sera la Chute (The Harder They Fall, 1956) de Mark Robson, mais aussi de Tant qu’il y aura des hommes (From Here to Eternity, 1953) de Fred Zinnemann ou de Bonnie and Clyde d’Arthur Penn… quelques titres parmi tant d’autres… un immense directeur de la photographie.
Pour une fois, donnons tort à Samuel Fuller et précipitons-nous sur cette pépite qu’est L’Inexorable enquête.
Fernand Garcia
L’Inexorable enquête est disponible dans une magnifique édition DVD chez Sidonis/Calysta dans son incontournable collection Film noir dans un master haute définition. Trois passionnantes présentations du film dans la section suppléments : Bertrand Tavernier analyse la mise en scène de Karlson et le travail d’adaptation des scénaristes (22 minutes). Patrick Brion sur l’évolution de l’image de la presse au cinéma (10 minutes). François Guérif, grand ami et éditeur de Samuel Fuller, revient sur la genèse du roman The Dark Page et du pourquoi des modifications entre le film et le roman (9 minutes). Enfin, une galerie de photos clôture cette édition indispensable à tout amoureux du genre.
L’Inexorable enquête (Scandal Sheet) un film de Phil Karlson avec Broderick Crawford, Donna Reed, John Derek, Rosemary DeCamp, Henry O’Neill, Henry Morgan, James Millican… Scénario : Ted Sherdeman, Eugene Ling et James Poe d’après le roman The Dark Page de Samuel Fuller. Directeur de la photographie : Burnett Guffey. Décors : Robert Peterson. Montage : Jerome Thoms. Musique : George Duning. Producteur : Edward Small. Production : Columbia Pictures Corporation. Etats-Unis. 1952. 80 mn. Format 1,33 :1. HD. Son : Version Originale sous-titrée en français et Version Française. Tous Publics.