Tours, 14 juin 1940. C’est la nuit, dans la cour de la prison, des hommes s’activent autour de la guillotine. Le recours en grâce de Clément (Jean Gabin) a été rejeté. Il a été condamné pour la mort d’un policier au cours d’une bagarre. A l’extérieur, l’aviation ennemie pilonne la ville. Tandis que Clément fume sa dernière cigarette, une bombe détruit la prison. Clément émerge vivant des ruines. C’est la panique, les habitants quittent la ville en direction du Sud. Clément est pris dans un camion militaire. Un avion allemand les bombarde et tue l’ensemble des soldats. Clément en réchappe. Il s’empare des papiers du sergent Maurice Lafargue et enfile son uniforme. Sous sa nouvelle identité, il embarque avec d’autres soldats sur un cargo en partance pour Dakar afin de rejoindre les Forces françaises libres…
L’imposteur est l’œuvre de deux exilés à Hollywood : Jean Duvivier et Jean Gabin. Le film produit par Universal à la gloire des Forces françaises libres entre pleinement dans l’effort de guerre. Duvivier reprend de manière à peine déguisée la trame de l’un de ses grands succès La Bandera à laquelle il ajoute un fait de guerre réel. Tournée entièrement à Hollywood, c’est une curiosité. La reconstitution de la France et de l’Afrique a le charme désuet des décors hollywoodiens. Le film s’adresse en premier lieu aux spectateurs américains présentant les français, les alliés, sous l’angle héroïque de leur combat. Même un personnage ambigu comme Clément finit par se battre pour la France, comme on tombe amoureux. Le message est clair, la noirceur du cinéma de Duvivier est fortement atténuée, s’éloignant de la dimension tragique de La Bandera.
Jean Moncorgé ne voulait pas devenir acteur, son rêve était de devenir agriculteur ou conducteur de train. Il ne voulait pas de la vie de ses parents, artistes de music-hall et vivant une vie de misère. Pourtant il reprendra le nom de scène de son père: Gabin, et deviendra l’un des plus grands et populaires acteurs de l’histoire du cinéma. Il incarne la France à l’écran, avec ses hauts et ses bas. Un métier au service du public. C’est modestement qu’il débute sur scène pour gagner sa croûte. En 1922, il est à 18 ans un petit figurant aux Folies Bergère. S’il se refuse à la vie de ses parents, elle l’attire toute autant. Il se consacre au music-hall, apprend à chanter, prend en référence Maurice Chevalier.
Sous les drapeaux, c’est un insoumis. Il est comme la majorité des Français profondément marqués par la Grande Guerre. De retour à la vie civile, il gravit les échelons du music-hall. En 1930, à l’arrivée du parlant, il est happé par le cinéma. Il signe à 26 ans un contrat chez Pathé-Natan. Ce blond aux yeux bleus est aussitôt aimé par la caméra, lui qui ne voulait pas devenir comédien. Il tourne énormément, il joue dans tous les registres. Jean Gabin ne pouvait qu’attirer l’intérêt d’Hollywood, il est mondialement reconnu. Rares sont les acteurs à avoir enchaîné autant de chefs-d’œuvre : La Bandera, La Belle Équipe, Les Bas-fonds, Pépé le Moko, La Grande illusion, Gueule d’amour, Le Quai des Brumes, La Bête humaine, Le jour se lève, Remorques en à peine trois ans ! Il est au sommet de la gloire à la fin des années 30. Avec un incroyable naturel, sa façon toute personnelle de balancer ses dialogues ou de rester dans un silence intérieur, Gabin a révolutionné le jeu d’acteur. Jean Gabin représente alors parfaitement l’homme du peuple, l’ouvrier du front populaire, le chômeur, l’homme au destin tragique. La Seconde Guerre mondiale éclate.
En septembre 1939, Jean Gabin est appelé sous les drapeaux. Il se retrouve fusilier marin au dépôt de la Marine à Cherbourg. Mais rien, il s’ennuie. La France capitule. Jean Gabin refuse de travailler pour l’occupant. En avril 1940, il obtient une dérogation pour terminer les prises de vue de Remorques de Jean Grémillon. En 1941, il quitte la France et débarque à New York. Il apprend l’anglais, a une aventure avec Ginger Rogers et rencontre Marlène Dietrich, autre exilée, c’est le début d’une histoire d’amour mythique. Il tourne pour la 20th Century Fox sous la direction de Fritz Lang La Péniche d’amour (Moontide) avant que l’auteur de Metropolis ne cède sa place à Archie Mayo. La Major a tout les pouvoir et impose à Gabin de tourner avec sa vraie couleur de cheveux. Gabin ne s’adapte pas à la vie à Hollywood. Il ne veut pas devenir un acteur cosmopolite, refuse des films jusqu’à ce que Julien Duvivier lui propose L’Imposteur, un film gaulliste. A regarder de près la suite de la vie de Gabin, on peut même affirmer qu’il s’agit d’un film prémonitoire. Gabin qui ne se satisfait pas de sa situation s’engage comme volontaire dans les Forces navales françaises libres. Au cours de la traversée de l’Atlantique, son navire est sous le feu de l’aviation allemande durant toute la nuit. Un cauchemar; au matin, ses cheveux sont devenus blancs. C’est un autre Gabin qui reviendra au cinéma après-guerre.
Julien Duvivier fait, avec Jean Renoir, Jean Grémillon et Marcel Carné, partie du carré d’as de Jean Gabin. Duvivier (1896-1967) est l’un des grands auteurs du cinéma français. Évidemment sa période de l’avant-guerre est la plus prestigieuse : ses films avec Jean Gabin (Golgotha, La Bandera, La Belle équipe, Pépé Le Moko), Poil de carotte (1932), Un Carnet de bal (1937), etc. Alexander Korda lui met le pied à l’étrier aux États-Unis, c’est un nouveau départ pour Duvivier, qui avait déjà tourné à Hollywood en 1938 Toute la ville danse (The Great Waltz). Duvivier débute son exil par une vague adaptation américaine de Carnet de bal : Lydia (1941) avec la femme de Korda, Merle Oberon. Si lors de sa première venue aux États-Unis Duvivier était auréolé de ses succès, en 40, il n’est plus qu’un cinéaste européen exilé de plus. Il doit se soumettre au diktat des studios. Cinéaste des destins tragiques, il ne retrouve pas dans le système hollywoodien la même liberté artistique qu’en France. Il s’adapte avec plus de difficulté que certains de ses confrères en exil (Jean Renoir, René Clair). L’Imposteur est son troisième et dernier film (officiellement) aux États-Unis. Il participe à la réalisation de Destiny (1944) sans en être crédité. C’est Reginald Le Borg qui signe le film que Duvivier produit pour Universal. Il regagne la France à la Libération et tourne en 1946 Panique avec Viviane Romance. C’est le début d’une nouvelle période de sa carrière. Jean Gabin et Julien Duvivier se retrouveront en 1956 pour un dernier chef-d’œuvre, Voici le temps des assassins.
L’Imposteur sort sur les écrans américains en 1944, un peu trop tard, le public américain est déjà sur le pied de guerre. L’histoire manque de ce glamour qui a fait le triomphe de Casablanca (1942). Sa sortie en France dans la foulée des films américains de Julien Duvivier et de tout le cinéma américain invisible pendant l’occupation passe inaperçu. L’Imposteur est une curiosité que l’on peut enfin redécouvrir chez soi grâce à cette édition DVD.
Fernand Garcia
L’imposteur est édité par BQHL dans une version remastérisée. Le film est proposé en version originale sous-titrée et en version française (pour la petite histoire, Jean Gabin est doublé en VF), hélas sans bonus.
L’Imposteur (The Impostor) un film de Julien Duvivier avec Jean Gabin, Richard Whorf, Allyn Joslyn, Ellen Drew, Peter Van Eyck, Ralph Morgan, Eddie Quillan… Scénario : Julien Duvivier. Dialogue adapté du français par Stephen Longstreet, dialogues complémentaires : Marc Connelly et Lynn Starling. Directeur de la photographie : Paul Ivano. Direction artistique : John B. Goodman et Eugène Lourie. Costumes : Vera West. F/X : John P. Fulton. Montage : Paul Landres. Musique : Dimitri Tiomki. Producteur : Julien Duvivier. Production : Universal Pictures. États-Unis. 1943. Noir et blanc. Ratio image : 1,33:1. Tous Publics.