Il y a des jours, qui marquent à vie et pourtant au lever du soleil rien ne les différencie des autres. Wassim (Mohamad Dalli), termine le primaire, il a pris une grande décision, déclaré sa flamme à Joanna (Gia Madi), sa camarade de classe. Mardi d’examens, épreuve écrite tout au long de la journée. Wassin a un petit plan, sur son cahier, il a dessiné Tigron, super-héros plus puissant que Grendizer (Goldorak), qu’il charge de son message. Dans une bulle les mots qu’il n’ose pas dire « Je veux t’embrasser ». Seul, Majib (Ghassan Maalouf), son copain, est au courant. Le dessin soigneusement plié est glissé dans le casier de Joanna.
L’école privée anglophone est en périphérie de Beyrouth et c’est en car scolaire que les enfants s’y rendent. C’est un matin ensoleillé, où tout un chacun cache les tensions. Ainsi, Yasmine (Nadine Labaki), la maîtresse de Wassim, se dispute avec Georges (Said Serhan), son frère, membre de la milice. « Ne ramène pas la guerre à la maison » mais Georges est dans la lutte. Il ne viendra pas la prendre à la fin des cours. Les problèmes des adultes restent rarement au seuil de la porte. Yasmine arrive à l’école avec son fardeau. Joseph (Rodrigues Sleiman), son collègue, avec qui elle aurait pu vivre une histoire d’amour, à tout gâcher en parlant de politique avec son frère. La politique brouille les histoires d’amour, défait les êtres et divise le pays. Yasmine en a plus qu’assez des querelles entre voisins, collègues, familles… A ce jeu, tous sont perdants.
Oualid Mouaness met en place tous les éléments qui vont refléter le plus précisément possible cette journée. Sa mise en scène à la qualité de la simplicité et de la précision. Tout coule de source, on ressent l’épaisseur des personnages, la dimension des lieux, la couleur et l’air de Beyrouth et ce ciel bleu. On s’attache immédiatement aux enfants, à leurs petites intrigues, tout ce qu’ils font est tourné vers l’avenir. On vivre lorsque Joanna découvre le mot. Son regard en coin sur la classe à la recherche de son possible amoureux. Elle est flattée. Mais l’amour est un jeu avec ses petits obstacles, Abir Mortada (Lelya Harkous) sa meilleure amie, cafteuse n°1, ne l’entend pas de cette oreille. Elle met aussitôt en garde Joanna contre les garçons et soupçonne Majib, d’être l’auteur du dessin.
Au fur et à mesure que la journée avance, la guerre se fait plus présente. Dans la classe, les enfants devinent ce qui se passe. Les adultes évitent de les alarmer. De sa fenêtre, Yasmine aperçoit Wassim et Joanne dans les jeux de l’amour, les hésitations et les mots qui ne sortent pas. Oualid Mouaness montre des gens ordinaires de la classe moyenne aspirée par le chaos. L’humanité qui se dégage de ses images est universelle, il pourrait s’agir d’enfants et d’adultes, dans n’importe quelle guerre. L’histoire est reproductible dans n’importe quel autre pays. Liban 1982, montre la naissance d’une dislocation d’un pays au cours d’une journée absolument normale, quotidienne. La guerre s’infiltre et s’étale jusqu’à submerger la classe d’examens.
L’ombre du chaos s’abat sur le Liban. Dans le ciel, les avions, israéliens et syriens s’affrontent. Des missiles sont envoyés sur Beyrouth. La grande force du film est d’observer ce qui arrive à travers les yeux des enfants. La réalité, la panique, l’organisation du départ des enfants, les embouteillages, l’exode qui se profile, est alors soumise à l’imaginaire de Wassim. Moments de réalité magique, une lycéenne qui joue du Bach, et au fond d’un car, avec sa désormais amoureuse, Wassim voit l’incroyable. Son héros-protecteur, Tigron, marche sur Beyrouth pour la sauver. La puissance de l’imaginaire, de la création face à la barbarie, à la destruction. Une bulle protectrice et deux mains d’enfants qui se frôlent et s’unissent face à l’adversité. Dans la classe abandonnée aux pigeons, sous la protection du super-robot, existe encore un semblant d’espoir : que le savoir et la culture auront raison de la folie des hommes.
Nadine Labaki est rayonnante. Les yeux perdus dans l’horizon, elle pressent l’apocalypse. Mais comment le dire à des enfants ? Sur ses épaules toute la lourdeur de la situation, mais aussi la sensualité d’une femme, une incarnation de la beauté humaine. Quant au quatuor d’enfants, avec en tête Mohamad Dalli (Wassim), ils sont d’une justesse renversante. Oualid Mouaness réussit un premier film semi-autobiographique émouvant sans sentimentalismes ni niaiserie. Liban 1982 parle de la possibilité d’un rapprochement entre les gens. Un peuple uni peut être plus fort que la géopolitique. Du beau cinéma.
Fernand Garcia
Liban 1982 (1982) un film de Oualid Mouaness avec Nadine Labaki, Mohamad Dalli, Rodrigue Sleiman, Aliya Khalidi, Ghassan Maalouf, Gia Madi, Lelya Harkous, Said Serhan, Zeina Saab de Melero, Joseph Azoury… Scénario : Oualid Mouaness. Directeur de la photographie : Brian Rigney Hubbard. Décors : César El Hayeck. Costumes : Waël Boutros. Sound designer : Rana Eid. Animation : Ghassan Halwani. Montage : Jad Dani Ali Hassan et Sabine El Gemayel. Musique : Nadim Mishlawi. Producteurs : Oualid Mouaness, Alix Madigan-Yorkin, Georges Schoucair, Myriam Sassine et Christopher Tricarico. Production : Tricycle Logic – Abbout Productions – Mad Dog Films Coproduction : Barentsfilm AS – Boo Pictures – Soapbox Films avec le soutien de Doha Film Institute – Sorfond+ – Creative Europe MEDIA – Fonds Image de la Francophonie. Distribution (France) : Moonlight Films Distribution (sortie le 24 novembre 2021). Liban – Etats-Unis. 2019. 100 minutes. Couleur. DCP. Tous Publics. Prix de la FIPRESCI – Sélection TIFF – Festa Del Cinema Di Roma. Prix Cannes Junior 2021.