Curtis (John Cho) est le numéro 2 d’une société de marketing et de promotion. Son patron Marcus (Keith Carradine) s’apprête à négocier un important contrat avec une société de high tech pour un nouveau produit. Durant le rendez-vous, les deux responsables, Lightning (David Dasmalchian) et Sam (Ashley Romans) insistent pour que Curtis teste à la maison leur nouvel assistant familial numérique, sobrement baptisé AIA. Curtis n’a d’autre choix que d’accepter. Avec l’aide de son épouse, Meredith (Katherine Waterston) et de ses trois enfants, Curtis doit définir une stratégie pour la commercialisation d’AIA…
L’I.A. est un personnage à part entière autant du cinéma. AIA est une déclinaison de HAL, la référence absolue, sur terre. Le dialogue évoque directement le chef-d’œuvre de Stanley Kubrick, un « vieux film », et s’interroge sur le fait de savoir si HAL est un méchant ou gentil. Pour Meredith, elle est clairement une entité maléfique responsable de la mort de l’équipage, pour Curtis, il est bon puisqu’il joue aux échecs. L’ambiguïté qui caractérise l’approche du couple va être le moteur des relations avec AIA, avec une inversion des rôles, l’épouse acceptant sa présence tandis que son époux va rapidement en saisir les dangers. Question que les enfants ne se posent pas.
L’A.I. du mal égraine les dangers d’une société, d’une famille totalement soumise à toutes les déclinaisons du monde numérique. Chaque membre de la famille est seul face à son écran. La solitude s’est infiltrée au sein même des familles, une nouvelle forme d’incommunicabilité moderne. Le couple n’a plus de temps à lui, Curtis est absorbé par son travail, Meredith a sacrifié sa vie pour son foyer. AIA infiltre tous les appareils de la maison en plus de ses yeux, de petites boules bleus, reparties dans la maison.
Iris (Lukita Maxwell) est victime d’un Deepfake sexuel après avoir envoyé des photos d’elle nue à son « petit copain ». L’image propagée par les réseaux sociaux est catastrophique jusqu’à l’intervention d’AIA. Le film est un véritable catalogue des dangers et de l’addiction aux nouvelles technologies et montre le manque de discernement d’une population totalement captive, infantilisée et abrutie par des heures passées sur les écrans.
L’I.A. du mal, est une dénonciation douce des nouvelles technologies à destination du grands publics. Évidemment, les dérives possibles de l’I.A. étaient déjà au cœur de 2001 : l’odyssée de l’espace (1968), mais aussi de l’excellent Génération Proteus (Demon Seed, 1977). Le film de Donald Cammel, adaptation d’un roman de Dean R. Koontz, décrivait comment une I.A. installée dans une maison, décidée de féconder une femme, incarnée par Julie Christie, piégée à l’intérieur.
AIA échappe à toute intervention humaine, hors de contrôle, elle est totalement autonome. AIA est Dieu, comme HAL, elle est présente partout. Elle anticipe sur les réactions, programme et planifie les journées de la famille Curtis. Évidemment, tout déraille rapidement. Chris Weitz ajoute par petite touche des effets horrifiques convenus (apparitions de personnages étranges) qui affaiblissent l’ensemble. L’aspect thriller paranoïaque n’est hélas pas assumé jusqu’au bout. Pourtant certaines idées auraient mérité un meilleur développement, comme les images du générique géré par I.A. véritablement flippante. La répétition par le couple d’un « Je t’aime » désincarné à tout bout de champ, ne répond pas en écho à la demande d’une famille d’AIA, une bonne idée sur le papier qui tourne au ratage sur grand écran.
L’A.I. du mal pêche par une distribution pour le moins faible dont les acteurs accusent un manque évident de charisme. Le film aurait grandement gagné avec un casting plus fort. La famille Curtis, sorte d’archétype progressiste, père coréen, mère caucasienne, ne dépasse pas l’aspect spot publicitaire pour l’inclusion. Même si au détour de quelques phrases de dialogue se glissent quelques timides piques anti-woke, contre les nouvelles technologies et de la rapacité de la société de consommation (tout pour l’argent). Chris Weitz mélange un peu tout et son contraire sans prendre clairement position à part que l’I.A. peut-être potentiellement dangereuse.
L’I.A. du mal est une production BlumHouse de Jason Blum qui depuis une trentaine d’années est spécialisé dans la production de films d’horreur à budget « raisonnable ». L’énorme succès de Paranormal Activity, en 2007, met sur orbite cet ex du service des acquisitions de Miramax (de 1995 à 2000). Jusque-là, Jason Blum avait tenté sa chance dans la comédie sans grand succès. Insidous (2010) de James Wan, Sinister (2012) de Scott Derrickson et American Nightmare (The Purge, 2013) de James DeMonaco, vont l’orienter « définitivement » vers le cinéma d’horreur. Il relance la franchise Halloween avec la participation de John Carpenter en tant que producteur exécutif, mais échoue avec Amityville.
BlumHouse est devenu un label dans le cinéma d’horreur. Jason Blum remet sur orbite la carrière de M. Night Shyamalan avec The Visit (2015), Split (2016) et Glass (2019). Il participe au renouveau de réalisateurs en privilégiant des diversités (avec succès) dont Jordan Peele avec Get Out (2017), Us (2019), Nope (2022) ou Gerard McMurray, American Nightmare 4: Les origines (The First Purge, 2018). Il participe de la « renaissance » de l’inénarrable Spike Lee avec BlacKKKlansman (2018). Jason Blum est dans la droite ligne de Roger Corman, films de genre (de qualité), petit budget, un aspect social et sociétal avec une orientation à gauche. Quelques perles dans son abondante production, The Hunt (2020) de Craig Zobel ou Upgrade (2018) de Leigh Whannell.
Un des éléments positifs du film est la photographie est de l’espagnol Javier Aguirresarobe. Depuis Vicky Cristina Barcelona, en2008, de Woody Allen, Javier Aguirresarobe poursuit sa carrière aux États-Unis. Né au Pays basque, il entame des études de journalisme avant de bifurquer vers l’École officielle de cinéma d’Espagne. Après cinq années de courts-métrages et d’assistanat, il signe la photographie de son premier long-métrage en 1978 , ¿Qué hace una chica como tú en un sitio como éste? de Fernando Colomo, en 1978, avec Carmen Maura, qu’il retrouvera à plusieurs reprises.
Il continue d’alterner courts et longs avec en particulier Imanol Uribe, qu’il a rencontré à l’école de cinéma. El pico 2 (1984), le succès du remarquable film d’Eloy de la Iglesia, avec son esthétique réaliste, attire l’attention sur son travail. En 1991, il obtient son premier Goya de la meilleure photographie pour Beltenebros, la première de sa longue collaboration à la réalisatrice, Pilar Miro. Cinq autres Goya distingueront son travail. Son admirable rendu de la capture de la lumière d’un cognassier pour Le Songe de la lumière (El sol del membrillo, 1992) du trop rare Victor Erice, est une étape importante dans la reconnaissance de son art. Carlos Saura l’engage pour le violent ¡Dispara! et documentaire Marathon tourné durant les JO de Barcelone. Le splendide visuel de Tierra (1996) de Julio Medem, l’inscrit parmi les chefs opérateurs qui comptent. A partir des années 2000, prend une autre tournure, sa rencontre avec Alejandro Amenabar est une étape importante. Le thriller fantastique, Les Autres (Los otros / The Others, 2001) avec Nicole Kidman et coproduit par Tom Cruise, est un succès international. Leur collaboration suivante, Mar adentro (2004), est l’une des productions espagnoles les plus primés de l’histoire. Entre ses deux films, Javier Aguirresarobe tourne pour la première et unique fois (à ce jour) avec Pedro Almodovar pour Parle avec elle (Hable con ella, 2002). Très demandé, il signe l’image du dernier film de Milos Forman, le sous-estimé Les fantômes de Goya (Goya’s Ghosts, 2006). A partir du film de Woody Allen, il va prendre la destination de Hollywood. Il enchaîne, la blancheur froide de La Route (The Route, 2009) de John Hillcoat d’après le roman de Cormac McCarthy aux volets 2 et 3 de Twilight (2009 – 2010), il y rencontre Chris Weitz, début d’une nouvelle collaboration. Dans sa filmographie américaine, surnage, le formidable Blue Jasmine (2013), sa deuxième collaboration avec Woody Allen, cette fois-ci sur le sol américain. Il recroise Cate Blanchette, absorbé par l’univers Marvel, sur Thor : Ragnarok (2017) de Taika Waititi.
Javier Aguirresarobe offre une photographie toute en finesse pour L’I.A. du mal, jouant sur une opposition entre la froideur des intérieurs et la chaleur des extérieurs, le monde numérique face au monde réel. Javier Aguirresarobe fêtera en octobre son 76e anniversaire.
Chris Weitz cumule la triple casquette de scénariste, producteur et réalisateur. Il réalise son premier film avec son frère, Paul, Pour un garçon, comédie romantique avec Hugh Grant, en 2002. Puis en solo, A la croisée des mondes : la Boussole d’or (2007) et Twilight : chapitre 2 – Tentation (2009) succès vite évaporés des mémoires. Par contre en tant que scénariste, il cosigne Rogue One, de loin le meilleur Star Wars depuis l’acquisition de la franchise par Disney. Beaucoup d’intentions dans L’I.A. du mal, mais rendu caduc pas une approche chaotique et un final décevant qui finit par enterrer les meilleurs moments.
Fernand Garcia
L’I.A. du mal (AfrAId) un film de Chris Weitz avec John Cho, Katherine Waterston, Greg Hill, Riki Lindhome, Lukita Maxwell, Keith Carradine, Havana Rose Liu, Ben Youcef, Isaac Bae, Katie McCabe… Scénario : Chris Weitz. Image : Javier Aguirresarobe. Décors : David Brisbin. Costumes : Molly Grundman. Montage : Timothy Alverson, Priscilla Nedd-Friendly. Musique : Alex Weston. Producteurs : Jason Blum, Chris Weitz et Andrew Miano. Production : Blumhouse – Columbia Pictures – Depth of Field. Distribution (France) : Sony Pictures France (sortie le 28 août 2024). Etats-Unis. 2024. 85 mn. Couleur. Format image : 2,35:1. Tous Publics avec avertissement.