Le sous-lieutenant Lance Caldwell (Rock Hudson) passe en cour martiale pour désobéissance aux ordres, indiscipline préméditée et meurtre. Pour sa défense, il se remémore les événements qui l’ont conduit devant ce tribunal où se joue sa vie… A son arrivée au Fort King, un poste militaire avancé près des Everglades, il se met au service du Major Harlan (Richard Carlson). Fraîchement diplômé de l’académie militaire de West Point, Caldwell est un natif du coin et connaît la langue et les mœurs des Séminoles, ce qui est loin d’être le cas du Major, qui n’a qu’un seul but: les éliminer. Aveuglé par sa haine, le Major entraîne Caldwell dans une expédition insensée à travers les marécages…
« De tous les films que j’ai faits à Hollywood, L’Expédition du Fort King est celui qui a obtenu les plus mauvaises critiques. Moi, je l’aime beaucoup, car il était très honnête. Il y a une grande part de vérité dans ce film. Les Indiens Séminoles sont la seule nation qui, ayant été en guerre avec les Etats-Unis, ne s’est point avouée vaincue. (.) ils ont donné une sacrée raclée aux gars de West Point. Les Américains se sont retirés, pour ne pas dire qu’ils ont été battus, et ce sont les Indiens qui ont gagné cette guerre. Voilà ce que j’ai voulu montrer… » Budd Boetticher (in Amis Américains, entretien avec Bertrand Tavernier, Institut Lumière/Actes Sud, 1993).
Les critiques de l’époque ont eu tort, L’Expédition du Fort King est un magnifique western bénéficiant d’un excellent scénario, d’une interprétation de grande classe et admirablement mis en scène par Budd Boetticher. Ce qui a certainement heurté à l’époque est l’image de l’armée américaine que donne le film, et comme le souligne Boetticher, elle est conforme à la réalité. Le portrait qu’il dresse du Major à la tête de l’expédition fait froid dans le dos. Il n’hésite pas à ordonner une attaque sur un camp Indien en pleine nuit pour les tuer dans leur sommeil. Assoiffé de sang, il mène une guerre contre les Séminoles dans un unique but : sa gloire personnelle. Il est en tout point le contraire du Lt Caldwell, même s’il est juste sortie de l’Ecole militaire, le lieutenant connaît les Séminoles, un peuple pacifique, comme il s’époumone à le dire. Le Major est hors-sol « J’ai bien étudié mes livres. Je vis par eux, je lutte par eux. Je commande par eux » lance-t-il à Caldwell, stupéfait par tant de prétention.
L’expédition, la partie centrale du film, est un très grand moment de cinéma. Le major tente le tout pour le tout; à la tête de ses troupes, il veut surprendre Osceola, le chef des Indiens. Il entraîne ses soldats à travers les marécages, faisant fi des dangers encourus. Progression lente et difficile qui témoigne de tout le talent de Boetticher. Il donne une existence, une personnalité, à nombre de soldats. Cette proximité les rend humains, il ne s’agit plus de simples figures destinées à mourir dans l’anonymat des scènes d’action, mais des êtres de chair et d’os. Boetticher agit de même avec les Indiens. Osceola (Anthony Quinn) est un chef mesuré et intelligent. L’humanité des personnages ne fait qu’amplifier l’absurdité de l’action du Major. Boetticher privilégie les plans longs en intérieur, il leur donne une formidable dynamique par le mouvement des acteurs, dans un espace limité et par un jeu d’ombres et de lumière, mettant aussi en avant par là-même la dualité des personnages. A l’opposition « idéologique » Major / Lieutenant répond celle de rivalité amoureuse entre le lieutenant et Osceola autour du presque unique personnage féminin du film Revera (Barbara Hale), amie d’enfance des deux. Boetticher retourne une pure convention en élément moteur pour densifier les rapports entre les deux protagonistes.
L’expédition du Fort King est le deuxième film des cinq que tourne Boetticher pour l’Universal en 1953. Il succède à La Cité sous la mer et précède Le Déserteur de Fort Alamo, Révolte au Mexique et A l’est de Sumatra. C’est dire avec quelle rapidité Boetticher a enchaîné les tournages, découvrant parfois en cours de route les scripts et effectuant des modifications de dernière minute, ajoutant des dialogues généralement humoristiques et éliminant des scènes trop fantaisistes. Pour L’Expédition du Fort King, Boetticher s’est documenté sur l’histoire des Séminoles pour être le plus près possible de la réalité. Il porte un soin particulier aux costumes et particulièrement aux tenus des Indiens et tourne en extérieur dans les marécages de Floride dans un splendide technicolor. Russell Metty est un directeur de la photographie de premier ordre, il sait parfaitement mettre en images les désirs des réalisateurs. Il suffit de se pencher sur sa filmographie pour avoir un aperçu de son immense grand talent autant en noir et blanc qu’en couleur. Sa grande expérience lui a permis de se mettre au service de cinéastes ambitieux pour des résultats surprenants, que ce soit pour Howard Hawks, Raoul Walsh, Orson Welles, John Huston, Douglas Sirk ou Stanley Kubrick. Boetticher apporte aussi un soin particulier au son, ce qui n’est pas si fréquent, en soignant tout particulièrement l’ambiance sonore des marécages.
Budd Boetticher dirige à nouveau l’un de ses grands amis Anthony Quinn, qui est un Osceola convaincant. Rock Hudson, acteur souvent sous-estimé, est très bon en jeune officier idéaliste et humaniste. Quant à Richard Carlson, il a réussi une composition impeccable, tant le spectateur ne peut que le détester. Dans un second rôle, on reconnaît un acteur destiné à une magnifique carrière : Lee Marvin.
L’Expédition du Fort King rend parfaitement justice à un peuple qui n’a jamais signé de traité de paix avec le gouvernement américain. Un grand Boetticher.
Fernand Garcia
L’Expédition du Fort King pour la première fois en édition combo DVD + Blu-ray dans la collection Western de Légende de Sidonis / Calysta. Le film est présenté dans un report HD de toute beauté. En complément : une présentation de Patrick Brion (7 minutes), un documentaire TV de Gene Feldman : Anthony Quinn, un original. « J’ai tourné 260 films jusqu’à aujourd’hui et je suis fier de tout ce que j’ai fait », Anthony Quinn. Portrait de l’acteur, fils d’un père irlandais et d’une mère mexicaine, par ses enfants mais aussi à travers des souvenirs de plusieurs de ses metteurs en scène: Stanley Kramer, J. Lee Thompson, Martin Ritt, Federico Fellini et des acteurs Antony Franciosa, Guiliette Masina, Giancarlo Giannini, Gina Lollobrigida qui entrecoupent un d’entretien avec Anthony Quinn (1990. 58 minutes). Une galerie photo avec une belle sélection d’affiches et de photos d’exploitation d’époque, enfin la bande-annonce de L’Expédition du Fort King complète agréablement cette riche section.
L’Expédition du Fort King (Seminole) un film de Budd Boetticher avec Rock Hudson, Anthony Quinn, Barbara Hale, Richard Carlson, Lee Marvin, Hugh O’Brian, Russell Johnson, Ralph Moody, Fay Roope… Histoire et scénario : Charles K. Peck, Jr. Directeur de la photographie : Russell Metty. Consultant Technicolor : William Fritzsche. Decors : Alexander Golitzen et Emrich Nicholson. Son : Leslie I. Carey et Glenn E. Anderson. Montage : Virgil Vogel. Musique : Joseph Gershenson. Producteur : Howard Christie. Production : Universal Pictures. Etats-Unis. 1953. 83 minutes. Technicolor. Format image : 1,33 :1. Son Version Française et VO STF DTS-HD. Tous Publics.