Après Jour de Fête grand succès populaire non seulement en France mais à travers le monde. Tati refuse alors la proposition d’un producteur italien d’en faire un remake en Italie et celle d’être la co-vedette de Toto et Tati avec la grande star transalpine. Tati repousse aussi celle de son producteur Fred Orain, d’une suite aux aventures du facteur François. Tati a un autre projet en tête, la description de français moyens en vacances dans l’après-guerre. C’est dans ce monde en pleine reconstruction qu’il conçoit son personnage de Monsieur Hulot. Jacques Tati abandonne définitivement son personnage de facteur pour celui de ce grand escogriffe, timide et pipe au bec, qui devient aussitôt son alter-ego. M. Hulot est donc non seulement un prolongement de lui-même mais surtout l’archétype de Monsieur-tout-le-monde.
17 juillet 1951, Jacques Tati débute le tournage des Vacances de Monsieur Hulot. C’est après de longs mois de repérages que Jacques Tati installe son équipe à Saint-Marc-sur-Mer, petite station balnéaire proche de Saint-Nazaire. Jacques Tati recrute dans les environs toute la figuration, les petits rôles et les vacanciers. Il refuse de prendre des acteurs connus de peur d’être en contradiction avec l’esprit et le sujet même de son film. L’un des premiers titres envisagés par Tati est d’ailleurs : Les vacances du français moyen.
Le tournage subit des aléas météorologiques, les journées de pluie s’enchaînent et le plan de travail en subit les conséquences. Le tournage prend du retard. Tati n’est pas au bout de ses peines. Il découvre que certains plans importants sont inutilisables. Un grain de sable s’étant logé dans la fenêtre de la caméra, il a rayé le négatif. Tati doit retourner, alors que le budget du film est déjà dans le rouge et que Tati, pour préserver son indépendance artistique, a déjà mis son salaire en participation, c’est-à-dire qu’il le récupérera sur les recettes du film avec une majoration en cas de succès. Il poursuit le tournage en automne avec de nouveaux figurants transformés en estivants, les autres étant déjà partis.
C’est près d’un an après le début du tournage, par la reconstitution de l’auberge de jeunesse, que Jacques Tati termine aux studios de Boulogne Billancourt, Les vacances de Monsieur Hulot. Tati apporte un grand soin au son, aux ambiances, aux effets sonores et à la musique. Les dialogues se réduisent à presque rien. Sa mise en scène est épurée, son cadre précis. Il utilise de fausses perspectives pour ses effets comiques : l’homme qui donne l’impression de se rincer l’oeil par un trou dans la cabine sur la plage, le serveur qui coupe les tranches de rôti en fonction de la taille des estivants, etc. Il utilise plusieurs actions en simultané dans le cadre (avant-scène et arrière-scène). La caractérisation par des visages, silhouettes, attitudes et costumes permet à Tati de donner une identité forte à chaque personnage. Le spectateur identifie rapidement qui est qui. M. Hulot pouvant ainsi disparaître et réapparaître sans heurts dans la continuité narrative.
D’emblée, Tati installe son film dans une confrontation humoristique entre le calme de la station balnéaire, la plage, la mer, la barque et la frénésie de la vie moderne, les vacanciers surexcités, le quai de la gare, les voitures surchargées, par un montage attractif. C’est-à-dire que l’opposition des deux espaces fait naître dans l’esprit du spectateur une idée claire de la situation qui va être développée par Tati. M. Hulot n’aura jamais de prénom, un peu comme des années plus tard l’inspecteur Colombo. Il est en décalage avec son époque, ce qui ne fera que s’accentuer avec les films suivants, Mon oncle et Playtime. De sa profession nous ne saurons jamais rien. Il arrive en voiture, ce qui indique qu’il a quelques moyens financiers, contrairement à ceux qui voyagent en train. Mais sa voiture est atypique, presque d’un autre temps. Il a une vraie soif de vivre, il écoute de la musique, du jazz, n’accorde aucune importance aux infos bla-bla que diffuse la radio. Il veut profiter de la vie.
Le film arrive sur les écrans français le 27 février 1953, l’accueil critique et public est excellent. Tati n’en reste pas là. Il suit le film et assiste aux projections. Il note les réactions des spectateurs et apporte des modifications au fur et à mesure au montage du film – il rallonge ou raccourcit des plans. Le film doit avant tout être « efficace » et clair dans les intentions. Jacques Tati effectue sa dernière modification sur le film en 1978 !
Il modifie la fin de la scène du canoë plié en deux. Jouant avec le public des années 70, il transforme le canoë en grand requin blanc et ajoute la panique sur la plage. Gag « hommage » en quelque sorte au film de Steven Spielberg, Les dents de la mer (Jaws, 1975), où l’on retrouve la scène mais avec un enfant qui simule l’attaque du requin par un simple aileron. Ce rajout atteste sans conteste de l’ambition de Tati d’être toujours en phase avec son époque par la lisibilité des gags et de sa volonté d’artiste de faire perdurer son oeuvre dans le temps. Mais le mouvement de panique de la foule n’a pas la même fonction chez les deux cinéastes. Le dispositif est même inverse.
Spielberg filme vers la mer, pour créer un sentiment de peur et de danger, tandis que Tati filme vers la plage pour accentuer l’effet comique des vacanciers.
Pour les spectateurs du XXIe siècle, il émane des vacances de monsieur Hulot un parfum de nostalgie pour une époque révolue, – mais a-t-elle vraiment existé ? – où tous les espoirs d’avenir étaient possibles dans une société française aujourd’hui idéalisée.
Les vacanciers partis, il ne reste plus qu’une vieille carte postale timbrée et datée.
Fernand Garcia