Une rue malfamée, un flic s’époumone dans son sifflet, une silhouette s’engouffre dans un dancing. A ses trousses, des flics, des commerçants ; dans l’arrière-cour, c’est un échange de tir, un flic blessé dégringole l’escalier, et, à bout portant, l’homme l’abat sous le regard des gens du quartier. Le revolver abandonné dans un tonneau d’eau de pluie, l’homme s’enfuit… il venait de braquer un bar. Sur les dents, la police procède à toute une série d’interpellations dans le quartier. Un jeune, Nick Romano (John Derek) est coffré…
Les Ruelles du malheur n’est peut-être pas le film qu’imaginait dans un premier temps Nicholas Ray, mais il en porte indéniablement la marque. Knock on Any Door, pour reprendre le titre original, est l’adaptation du roman de l’auteur noir américain Willard Motley. Le film est la première production de la société d’Humphrey Bogart, Santana. Nicholas Ray en supervise l’adaptation en reprenant la structure linéaire du roman. Ray suit l’itinéraire du jeune Nick Romano, enfant d’un quartier de bidonville et d’un immeuble délabré, Skid Row, où échouent les immigrés dans l’espoir d’une meilleure vie conforme à l’American way of life. Son père, victime d’une erreur judiciaire, est condamné à une peine de prison qui lui sera fatale. Le jeune Nick, l’ainé de la famille, enchaîne les petits larcins et les mauvaises fréquentations, c’est un petit voyou. Ce n’est qu’au milieu du roman qu’il fait la connaissance de l’avocat Andrew Morton (Humphrey Bogart). Evidemment, ce qui fonctionne dans un roman ne marche pas forcément au cinéma, impossible de faire intervenir sa star, Humphrey Bogart, au milieu du film, et c’est d’une manière assez habile que les scénaristes mettent en scène l’avocat dès le début de l’histoire. Ainsi le film suit une progression en flashback, l’avantage est que l’ombre de Bogart plane sur l’ensemble du film sans nécessité de sa présence à l’écran. Cela accentue le côté tragique et inéluctable de l’histoire de Nick Romano, le condamnant à une perpétuelle vie de violence. On devine facilement ce qui a attiré Ray dans ce destin chaotique: c’est la jeunesse révoltée, sur laquelle il se penchera de nouveau et de manière grandiose avec La Fureur de vivre.
Si Ruelles du malheur regorge de scènes magnifiquement mises en scène, la plaidoirie d’Andrew Morton est une merveille d’écriture, de tension et d’interprétation. Impossible de ne pas être saisi par la puissance du jeu de Bogart. Chaque phrase est dite avec une conviction et une sincérité qui prend à la gorge. La mise en scène de ce moment de bravoure est tout aussi impressionnante, Ray joue du volume de la « scène » du tribunal accentuant l’isolement de l’avocat sur les ombres portées et de la force de contre-plongées parfaitement utilisées. La fin à la force de la réalité (de l’époque) et non des désirs du spectateur, c’est deux hommes, l’avocat et Nick Romano, face à une justice purement punitive. Si la devise de Nick Romano est « Vivre vite, mourir jeune et faire un beau cadavre ! », elle ne tient que dans la bouche d’un jeune sans expérience de la vie. Non, il n’y a pas de beau cadavre, en tout cas, pas dans Les Ruelles du malheur.
Fernand Garcia
Les Ruelles du malheur est édité dans la formidable collection Film noir de Sidonis / Calysta en combo DVD + Blu-ray. Le master haute définition est impeccable, la gamme des noirs est excellente et rend hommage au travail du Burnett Guffey, chef opérateur attitré du genre. En complément de programme une double présentation du film de Nicholas Ray. François Guérif évoque le romancier Willard Motley et la qualité de l’interprétation et de la réalisation (7 minutes). Patrick Brion revient sur la parfaite osmose entre Bogart et Ray et resitue le film dans son époque, l’après-guerre aux Etats-Unis (12 minutes). Enfin, la bande-annonce d’époque du film, une édition parfaite pour tous les amoureux du film noir.
Les Ruelles du malheur (Knock on Any Door) un film de Nicholas Ray avec Humphrey Bogart, John Derek, George Macready, Allene Roberts, Susan Perry, Mickey Knox… Scénario : Daniel Taradash et John Monks, Jr. d’après le roman de Willard Motley. Directeur de la photographie : Burnett Guffey. Décors : Robert Peterson. Costumes : Jean Louis. Montage : Viola Lawrence. Musique : George Antheil. Producteur : Robert Lord. Production : Santana Pictures Inc. – Columbia Pictures Corporation. Etats-Unis. 1949. 110 minutes. Noir et blanc. Format image : 1,33 :1. 16/9e. Version VF et VOSTF image et son restaurés. Tous Publics.