1878, dans les plaines, la colère des Indiens Kiowas gronde. L’annexion de leurs terres par les fermiers les conduit sur le sentier de la guerre. Pacer Burton (Elvis Presley) est né d’une mère indienne et d’un père blanc, il vit paisiblement avec sa famille sur ses terres… mais l’attaque d’une ferme voisine par les Kiowas ravive une haine à leur encontre… Lui et son demi-frère blanc Clint sont sommés de choisir leur camp…
Don Siegel est revenu dans l’actualité cinématographique à son corps défendant avec la sortie du remake des Proies réalisé tant bien que mal par Sofia Coppola. La volonté de faire de la nouvelle version un film « fréquentable » n’a eu pour effet que de révéler les incroyables faiblesses de ce remake, l’indigence de l’adaptation et de la réalisation (ahurissant prix de la mise en scène à Cannes !). Il fallait vraiment être d’une grande prétention pour se confronter à l’un des films majeurs de Don Siegel. Les films de Don Siegel donnent cette fausse impression d’être simples tant sa science du cinéma, de l’efficacité cache un travail extrêmement minutieux. Rien n’est laissé au hasard. Ce n’est pas pour rien que Clint Eastwood à dédié son magnifique Impitoyable à Don Siegel et Sergio Leone, ses deux maîtres. Cinq films ont réunit Eastwood et Siegel: Un shérif à New York (Coogan’s Bluff, 1968), Sierra Torride (Two Mules for Sister Sara, 1970), Les Proies (The Beguiled, 1971), L’Inspecteur Harry (Dirty Harry, 1971) et L’Evadé d’Alcatraz (Escape from Alcatraz, 1979). Cinq réussites dans les deux genres de prédilection de Siegel, le polar et le western.
Don Siegel est né à Chicago en 1912. C’est par l’entremise d’un oncle qui travail à la Warner qu’il entre comme documentaliste dans le célèbre studio en 1930. Il gravit les échelons jusqu’à devenir chef monteur. Ainsi de 1934 à 1942, Siegel monte une centaine de films de la Warner. C’est dans la salle de montage qu’il développe son sens de la coupe, de la durée exact d’un plan. « Je me moque éperdument si cela me prend toute une journée pour faire un plan. Si je trouve qu’il ne convient pas, je l’abandonne. » Il perfectionne son efficacité en mettant en boîte de scènes raccords avant que le Studio ne l’emploie à partir de 1939 comme metteur en scène de seconde équipe. Ces années d’apprentissages lui seront profitables. En 1946, il signe son premier film The Verdict. Il réalise alors aussi bien pour le cinéma que pour la télévision. Il affine sa direction d’acteurs toujours avec le même souci d’efficacité, ses personnages se définissent toujours par l’action. Rapidement, il sort du cadre des séries B de commande pour s’affirmer comme un auteur à l’instar d’un Robert Aldrich. Ses films gagnent en ampleur. L’Invasion des profanateurs de sépulture (Invasion of the Body Snatchers, 1956) est un chef-d’œuvre du cinéma de SF tout en étant une dénonciation du maccarthysme. Il est l’un des premiers à mettre en scène un psychopathe « moderne » (joué par un impressionnant Eli Wallach) dans La ronde du crime (The Line Up, 1958). La société américaine que décrit Siegel est violente. Ses héros, qu’ils soient cow-boys, flics, truands, etc., ils s’opposent à l’ordre établi.
Quand il prend en charge la réalisation des Rôdeur de la plaine, Siegel est connu pour tirer le meilleur parti des budgets qui lui sont alloués. Il prend la succession du scénariste Nunnaly Johnson (Les Raisins de la colère) qui devait en assurer la réalisation. Johnson avait écrit le film pour Marlon Brando et Frank Sinatra. Mais le producteur David Weisbart, qui venait de connaître un énorme succès avec Le Cavalier du crépuscule (Love Me Tender), voulait reprendre Elvis Presley. Ce choix de casting entraîne le départ de Nunnaly Johnson. Siegel retravaille le scénario et se heurte au manager d’Elvis Presley, le colonel Tom Parker, qui exigeait que son client interprète plusieurs chansons dans le film. Au vu du scénario, cela est impossible. Siegel trouve la parade avec l’auteur du roman Clair Huffaker. Il concède le générique début et surtout inclut une autre chanson de manière très habille, en lui donnant du sens dès la première séquence.
Les Burton organisent un repas avec leurs amis fermiers du coin. On y chante, on y danse, on s’amuse mais le fond de l’air est couleur malaise. Les fermiers n’ont jamais encaissé le fait que Sam (John McIntire) épouse une indienne Kiowas, Neddy (Dolores Del Rio), et encore moins qu’ils aient un fils Pacer (Elvis Presley), demi-frère de Clint (Steve Forrest) issu d’un précédent mariage. La tension est palpable et n’ira qu’en s’accentuant avec la première attaque d’une ferme par les Kiowas. Tout le racisme latent des blancs va alors s’exprimer librement à l’encontre des Burton. Situation qui plonge Pacer et sa mère au cœur du conflit qui les dépasse, coincés entre deux cultures qui au lieu de s’associer, de s’enrichir mutuellement, se divisent et détruisent les êtres humains. Les Rôdeurs de la plaine est frontalement un western sur le racisme, sur les préjugés, le refus de l’autre, l’ignorance, qui aboutissent aux pires exactions. Implacable démonstration comment des voisins, des amis de longue date peuvent du jour au lendemain sombrer dans la haine et la folie meurtrière. Cette mécanique de l’exclusion est parfaitement exposée dans une scène glaçante où la communauté blanche interdît au médecin de porter secours à la mère de Pacer et Clint.
Le propos est fort et n’a rien perdu de son actualité bien au contraire. Les Rôdeurs de la plaine surprend car c’est bien plus qu’un véhicule pour Elvis Presley. Sous son apparence de western classique, c’est un film engagé, n’oublions pas qu’à l’époque sévit aux Etats-Unis une véritable ségrégation envers les minorités ethniques et plus violemment à l’encontre des noirs.
L’interaction entre les personnages est remarquable. Chaque rôle est particulièrement bien défini. Dans le rôle du métis, Elvis Presley s’investit totalement, aussi à l’aise dans les scènes dramatiques que dans les scènes d’action. On ressent toute la douleur d’homme partagé entre deux cultures, celle de son père et celle de sa mère. La scène des adieux entre Pacer et son père, dans la plaine, est un moment d’une grande intensité dramatique. John McIntire en père est impeccable tout comme Dolores Del Rio dans le rôle de la mère. Il faut reconnaître que le scénario regorge de scènes fortes dont Siegel sait tirer le meilleur parti. Les Rôdeurs de la plaine est son œuvre la plus lyrique. La course de la mère dans la nuit contre le vent à l’appel de « l’étoile scintillante de la mort » est un morceau de bravoure, poétique, sauvage, libre. Magnifique sens de l’espace que l’on perçoit dans tous les plans en extérieur par cette manière d’inclure les personnages dans un champ immense (beauté du CinémaScope) qui réduit l’homme à une lutte permanente pour sa survie mais, et surtout, dans un perpétuel conflit des uns contre les autres. C’est l’essence du cinéma de Siegel, l’émancipation individuelle, la révolte face à un système quel qu’il soit. Don Siegel est mort en 1991, laissant derrière lui une œuvre plus importante qu’il n’y paraît. Siegel tenait en grande estime Les Rôdeurs de la plaine, on ne saurait lui donner tort.
Fernand Garcia
Les Rôdeurs de la plaine est édité à l’unité dans la collection Western de légendes et dans le coffret Le King et le western (avec Le Cavalier du crépuscule et Charro) par Sidonis Calysta en DVD et Blu-ray. Le report proposé est impeccable (image et son restaurés), en complément: deux spécialistes du genre se penchent sur le film. François Guérif revient sur la genèse et la réalisation du film (10 minutes), quant à Patrick Brion, qui trouve le film très bon et très attachant, il le resitue dans son époque 1960, une bonne année pour le western, avec Alamo, Le Sergent noir et Les 7 mercenaires, entre autres (12 minutes), une mine d’informations. Les films-annonces des westerns avec Elvis Presley disponible dans la collection : Le Cavalier du crépuscule, Les Rôdeurs de la plaine et Charro. Enfin, une galerie photos complète la section.
Le Rôdeur de la plaine (Flaming Star) un film de Don Siegel avec Elvis Presley, Barbara Eden, Steve Forrest, Dolores Del Rio, John McIntire, Rodolfo Acosta, Karl Swenson, Ford Rainey, Richard Jaeckel, L.Q. Jones… Scénario : Nunnaly Johnson et Clair Huffaker d’après un roman de Clair Huffaker. Directeur de la photographie : Charles G. Clarke. Décors : Duncan Cramer et Walter M. Simonds. Montage : Hugh S. Fowler. Musique : Cyril J. Mockridge. Producteur : David Weisbart. Production : 20th Century Fox Etats-Unis. 1969. 92 mn. Couleur (DeLuxe). CinémaScope. Ratio image : 2,35 :1. Son DTD-HD. VOST et VF. Tous Publics.