Bigottini (Richard Deconninck) propose à Marie-France (Alice Arno) un contrat d’aide à domicile pour 2/3 ans auprès d’une famille française installée à l’étranger. Marie-France accepte de quitter Paris et de rejoindre la famille Radek dans une station balnéaire méditerranéenne. Le père Steiner/Radek (Paul Muller), homme autoritaire, froid et puritain, élève seul ses deux filles, Linda (Verónica Llimerá), autiste paralytique, et Olivia (Lina Romey), sa nièce, mythomane. Il est aidé dans sa tâche par Abdul (Pierre Taylou), un simple d’esprit muet. Marie-France entre dans une famille fracturée où s’expriment de terribles frustrations nées de secrets inavouables…
Le récit de Jess Franco est chaotique, sorte d’improvisation sur une ligne directrice assez leste. Il emprunte le chemin du rêve érotique, du cauchemar violent et excitant. Marie-France dans sa chambre plongée dans un livre policier populaire et dérive vers un univers Sadien. Le temps se délite, les enchaînements font abstraction du jour et de la nuit, chaque scène répond à une logique propre aux rêves. Dans la déambulation de Marie-France dans la maison des Radek, tout mène à une sexualité de la frustration. L’ambiance est lourde, tout palpite du chant du sexe.
Le père a tué sa femme adultère, depuis il s’est enfermé dans le souvenir cauchemardesque de la tragique nuit. Jess Franco brouille les pistes, le nom du père passe de Steiner à Radek. Personnage double, libertin contrarié jusqu’au puritanisme. Il surveille ses fausses filles. Linda n’est peut-être pas sa fille biologique, mais le fruit d’un amour extraconjugal. Olivia, une enfant adoptée, est la cousine de Linda, et non sa sœur. Linda a une sexualité figée dans une autre dimension. Son père dans un brouillage des sentiments veille à sa virginité. Olivia s’abandonne à des plaisirs solitaires sans retenue. Marie-France, elle-même, pétrie de désirs inassouvis, entrave chaque approche d’Abdul envers les fausses/vraies sœurs. L’inceste parcourt le film, les sœurs deviennent en cours de route des nièces, certainement une concession à la censure.
Tous les personnages sont laminés de frustrations sexuelles. Les dialogues parfois improbables prennent une teinte surréelle, poétique et étrange. Le film est une divagation. Sexe et violence. Marie-France frappe Abdul à chaque pas de travers. Le père se déchaîne contre l’infortuné quand il le découvre avec Linda. Nu et enchaîné, Abdul est sauvagement fouetté, abandonné à son humiliation et à sa douleur. Marie-France, excitée par ses blessures, le soumet à son tour, mais à ses caresses et ses baisers.
Le film est un voyage onirique dans les phantasmes de Marie-France. Elle passe de pièce en pièce, se frottant à l’enfermement absolu des personnages. Elle se confronte à de puissants désirs dans l’ambiance diaphane dans un lieu que nous avons du mal à situer avec précision. L’extérieur et les intérieurs ne concordent pas, mais nous ne sont pas dans une logique cartésienne. Les suçotements de plaisir envahissent les pièces comme la plainte d’un coquillage. Jess Franco a quelques fulgurances esthétiques de toute beauté. La discussion entre Marie-France et Olivia dans les veloutes de fumée rouge/rose déchirant la nuit est renversante. A son meilleur, chaque plan incite à la dépravation des sens, la tension est palpable.
Franco casse sa narration par des intermèdes comiques, un policier ou un détective privé accompagné d’une photographe observent ce qui se passe de l’autre côté de leur appartement. Impossible pour eux de voir quoi que ce soit. Franco joue la carte de l’invraisemblable avec ses scènes. Ont-elles été tournées pour l’exploitation dans les pays Anglo-saxons uniquement, afin d’allonger le métrage en anticipant sur les coupes ? Mystère. Scènes réalisées à la va-vite au comique lourd et sans soucis esthétiques.
Les nuits brûlantes de Linda, existe en deux versions (voir plus). La version soft est certainement plus proche de ce que voulait Franco. Aller vers l’orgasme en jouant sur une frustration permanente. Ainsi, l’action se fige pour de longs plans sur les visages, moment où tout semble être entre parenthèses. Le film fourmille des thèmes habituels de Franco avec ses « dérapages » vers Sade. Les personnages semblent sortir de l’esprit du divin marquis relu par Sacher-Masoch. Il y a un charme désuet dans le grain de l’image, dans ces rues de Paris, au début du film. Le Gaumont Marignan entre l’Aeroflot, la compagnie aérienne soviétique et la Varig, Brésilienne, au 33 Champs-Elysées, où se trouvaient les bureaux d’Eurociné (ils y sont peut-être encore à l’heure actuelle). Des enseignes disparus dans le temps accentuant une forme de nostalgie. Un film fait avec peu de moyens, mais suintant le désir d’exister.
La deuxième version comprend des scènes plus explicites sexuellement, filmés de manière plus crue. Artus films plutôt que de proposer ce deuxième montage, a regroupé ses 15 minutes dans les suppléments. Elles offrent un basculement dans la satisfaction, ce que retient Franco durant tout le montage de la première version. Masturbation, pénétration, éjaculation, Jess Franco n’utilise pas encore, dans ses scènes pornographiques, la caméra comme un troisième personnage. Ses zooms n’ont pas encore la puissance voyeuriste qu’ils acquerront par la suite, même si les flous sont déjà là, il n’y a pas encore cette complicité avec ses hésitations dans la volonté de saisir une vérité d’un instant.
Le viol du second titre est plus direct dans la version X. Olivia dépucèle Linda avec une banane. Scène choquante et forte, qui explique le suicide de Linda. Dans la version soft, Olivia mange la banane comme si elle pratiquait une fellation sous le regard d’Abdul.
Verónica Llimerá incarne Linda. Sa carrière démarre sous les projecteurs de Mario Bava qui la dirige dans Une hache pour la lune de miel (Il rosso segno della follia) sa première apparition sur grand écran en 1970. Ce qui lui permet de poursuivre dans le cinéma de terreur l’année suivante avec La révolte des morts-vivants (La noche del terror ciergo, 1972) d’Amando de Ossorio. Cette charmante et jolie brune espagnole, ne pouvait qu’attirée l’objectif de Jess Franco. Elle enchaîne sous sa direction Tendre et perverse Emanuelle et ses fameuses nuits, avant une dernière apparition dans Kiss Me Killer en 1977. Elle a une petite carrière dans la comédie sexy espagnole.
Alice Arno dérive dans ce paysage onirique jouant de ses charmes, de ses seins et laissant apercevoir sa blondeur naturelle. Lina Romay est d’une sensualité à se damner. Paul Muller est la personnification parfaite de personnage trouble, un grand habitué des films de Franco. Les nuits brûlantes de Linda, n’est rien de moins qu’un ruban de rêve, avec ses imperfections et ses beautés.
Fernand Garcia
Artus Films poursuit son exploration de l’œuvre de Jess Franco avec Les nuits brûlantes de Linda, un film rare dans une édition combo (DVD – Blu-ray). L’éditeur propose un report de qualité dans la version voulu par Jess Franco. En suppléments : Une présentation par Daniel Lesoeur, producteur du film. Il évoque le tournage entre la France et l’Espagne de Linda. L’esprit bon enfant sur le plateau « ce n’était absolument pas un travail, mais un plaisir d’être tous ensemble ». Une époque de création, sympathique, de films à petits budgets (17 minutes). Une analyse du film par Stéphane du Mesnildot : « il faut prendre Jess Franco au sérieux ». L’historien revient sur les résonances du film dans l’œuvre de Franco, ainsi que ses liens avec d’autres films comme Le silence d’Ingmar Bergman. Jess Franco est vraiment un auteur (22 minutes). Les fameuses scènes additionnelles X (15 minutes). Un diaporama d’affiches et de photos du film (3 minutes). Enfin les Films annonces de Les nuits brûlantes de Linda, de Shining Sex et de Deux espionnes avec un petit slip à fleurs. Une très belle édition.
Les nuits brûlantes de Linda / Mais qui donc a violé Linda ? / But Who Raped Linda?, un film de J.P. Johnson (Jess Franco) avec Alice Arno, Lina Romay, Verónica Llimerá , Paul Muller, Monica Swinn (non crédité), James Harris, Pierre Taylou, Catherine Laferiere… Scénario : A.L. Mariaux, G.F. Riccioli, R. Piseri, D. Kuhne (Jess Franco). Directeur de la photographie : Gerard Brissaud (Jess Franco). Musique : Ian Wira, Charles Gortanne. Directeur de production : Marius Lesoeur. Producteur délégué : Daniel Lesoeur. Production : Eurociné (France) – Parva Cinematografica (Italie). 1973. 80 minutes. Eastmancolor. Telecolor. CinemaScope. Format image : 2,35 :1. Version française (scènes manquantes en anglais avec sous-titres français). Dolby Digital. Interdit aux moins de 16 ans.