Un jour, sa mère (Juliana Venter), fervente chrétienne, ramène chez eux Pieter, un orphelin des rues qu’elle a décidé de sauver, et demande à Janno de l’accepter comme un frère. Les deux garçons s’engagent dans une lutte pour le pouvoir, l’héritage et l’amour parental. Dans ce monde rural et conservateur où la force et la masculinité sont les maîtres mots, en Afrique du Sud, État libre, bastion d’une communauté blanche isolée, les Afrikaners, on découvre Janno (Brent Vermeulen), un garçon obéissant à des tendances homosexuelles cachées.
Les Moissonneurs, est le premier long métrage du réalisateur sud-africain d’origine grecque Etienne Kallos. Le réalisateur examine la population afrikaner blanche, autrefois dominante et maintenant en déclin, de ce pays. C’est un drame rural qui tire une résonance quasi biblique (Cain et Abel ) de son récit de frères adoptifs adolescents enfermés dans une famille. Le fait que les conflits sous-jacents homos soient discrets élargit peut être les perspectives du film en termes de festival et de distribution, bien que de nombreux spectateurs extérieurs ne seront peut être pas vraiment intéressés.
Dans une étendue de plaines jaunes et de champs de maïs, à un million de kilomètres, il est difficile de dire au début de quelle époque se trouve le film de Kallos. Ce n’est que lorsqu’un le téléphone portable apparaît dans ce monde visualisé de vêtements de kaki datés que nous pouvons dire que nous ne sommes pas dans l’ère de l’apartheid. Les familles blanches afrikaans avaient la priorité et étaient protégées par les politiciens au pouvoir. Près d’un quart de siècle après le début de la « démocratie » du pays, ce pouvoir semble un vestige d’un passé sombre, menacé par l’insularité même de leur communauté et par une nette augmentation du nombre de meurtres commis à la ferme dans le pays.
« Nous sommes si peu nombreux », explique la mère d’un ton morbide à son fils aîné, Janno un garçon de 15 ans. « Faites en sorte que son sang soit fort, que sa semence soit forte », répète-t-elle dans la prière qui ouvre le film, faisant davantage confiance au Seigneur pour faire couler le sang d’Afrikaner. Ces prières répétitives et ennuyeuses nous éloignent du personnage de la mère. Janno, pour sa part, n’avoua à personne (peut-être même pas encore lui-même) que ses intérêts sexuels naissants ne se limitaient pas à diffuser ses semences. Dans sa chambre, il fantasmait sur son ami un coéquipier de rugby.
Pieter, (Alex Van Dyk) a l’âge de Janno, un orphelin, aux antécédents criminels de toxicomanie et de drogue, est envoyé involontairement d’une maison de transition à la famille de Janno, composée aussi de papa Jan (Morne Visser) et de trois sœurs beaucoup plus jeunes, toutes adoptées. Le nouveau venu est nerveux et extrêmement maigre, conscient de sa très faible place dans la société. Fils d’un toxicomane et d’une prostituée décédée qui l’avait eu à l’âge de 15 ans. Bien que le contraire de Janno soit à bien des égards, Pieter identifie rapidement ce qui les lie: aucun des deux garçons ne fera partie du monde nourri au maïs, dominé par l’église et obsédé par le patrimoine. Pieter dévoile à Janno, la vérité d’un monde dont la beauté repose sur des mensonges. Pas sûr que la vraie vie dont est fier ce Pieter soit plus réelle que celle que la vie religieuse et masculine de la famille. Lorsque Pieter emmène Janno dans les bas-fonds de la ville où ils vivent, l’esthétique change : boîtes de nuit, néons colorés, flashs lumineux et lumières sombres. Mais si le premier univers avait l’air peint, beau, le second a l’air tout aussi artificiel. Pour Janno, la question est donc de savoir s’il doit renoncer à sa position de mâle et à son monde relativement limité.
Le scénario de Kallos – inspiré du travail du célèbre dramaturge « gothique africain », Reza de Wet – est attentif au changement de code. Les Moissonneurs, sur la masculinité Afrikaner nous fait penser un peu au film La Beauté d’Oliver Hermanus, qui a également fait ses débuts dans Un Certain Regard à Cannes en 2011. Dans La Beauté presque tout, est moche – les acteurs, le jeu des acteurs, le dialogue, les décors, l’histoire… Ainsi, les producteurs et le cinéaste l’ont intitulé La Beauté. Quelle ironie! Skoonheid La Beauté n’a rien de beau : on sent une tristesse constante qui règne du début à la fin. Ce film tombe dans le genre gay et lesbien mais il s’agit plus de violence et de fanatisme, que d’homosexualité.
Pour revenir au Les Moissonneurs, Vermeulen et Van Dyk, deux découvertes novices: « J’ai passé beaucoup de temps à voyager d’école en école, pour trouver les bons acteurs, et m’assurer qu’ils s’entendaient bien l’un avec l’autre, en m’assurant également que les parents étaient d’accord pour signer sur un contenu aussi intense » affirme le cinéaste.
Ces terres, Etienne Kallos, jeune cinéaste, nous les a fait parcourir. Elles se situent à l’est de l’Etat libre, une des neuf régions d’Afrique du Sud, un haut plateau fertile et riche en minerais précieux où les fermiers blancs afrikaners ont prospéré pendant l’Apartheid, et qu’ils exploitent depuis que les ancêtres hollandais ont débarqué au Cap en 1662 : « Je voulais tourner dans la Bible Belt, explique Etienne Kallos, dans les paysages typiques de la culture afrikaner : les champs de blé, les églises, les routes difficiles et dans la partie est de l’Etat libre, où l’on trouve aussi des montagnes et un état mystérieux et sauvage. »
Sans peur, Kallos pose sa caméra chez les Afrikaners et plus particulièrement chez une famille d’agriculteurs. L’arrivée de ce frère va compromettre la place de Janno dans la famille. Kallos le montre bien à travers la jalousie, la haine, la passion et le rejet qui rythment son film. Il illustre ses démonstrations par un cinéma d’une beauté formelle. Son chef opérateur polonais Michal Englert filme les champs de maïs. Une photo laiteuse, aux blancs cramés, magnifique lumière aurorale que la brume diffuse, ces couleurs fumées.
Dans un court-métrage, Firstborn, qui a décroché le Lion d’or à Venise, Etienne Kallos a déjà filmé le trouble de cette communauté Afrikaner, la sienne. Son premier long-métrage, Les Moissonneurs, revient au même endroit. Il photographie les fermiers Afrikaners qui vivent aujourd’hui dans leurs fermes isolées, terrifiés à l’idée de se faire exproprier ou assassiner par les Noirs.
Dieu est partout dans Les Moissonneurs. Une mère aux abois s’agenouille et lit aux enfants des histoires où brûle le feu du jugement dernier. Elle prie constamment le Seigneur.
Ce qui est intéressant dans les interactions entre les deux garçons – et que leurs parents espèrent voir bientôt devenir frères – est que Kallos reste fidèle au point de vue de Janno. Pour lui, Pieter est quelqu’un dont le mode de vie lui est complètement étranger. Mais Janno est conscient du fait que Pieter est une personne à imiter s’il veut s’intégrer dans la société adulte. Leur relation complexe et compliquée, est troublée par le fait que Pieter aime les filles mais couche avec des hommes pour faire de l’argent alors que Janno rêve secrètement d’un garçon qu’il a rencontré.
Kallos, qui a également écrit le scénario, prend son temps pour mettre en place tous ces éléments. On a l’impression que l’écrivain-réalisateur, est quelque peu timide au début, comme s’ils ne savaient pas quelle histoire il allait raconter. Et d’une manière générale, le film aurait pu utiliser un peu plus de nuance dans sa description de la vie de ces personnages dans cette région largement blanche. Dans une séquence, le refus du grand-père de Janno de reconnaître son petit-fils est un peu trop répétitif et embarrassant. Cette scène ne sert vraiment pas à quelque chose et n’a pas de lien avec le sujet du film.
En revanche, le personnage du père de Janno est intéressant car Kallos renonce à le transformer en vilain, ce qui serait peut-être l’option la plus facile dans un film sur un adolescent cherchant à devenir un homme dans un monde au cœur dur et dominé par les hommes.
Dans ce chaos, deux garçons qui se cherchent un avenir, une identité, une famille : « Ils n’ont plus de règles à respecter, dit le cinéaste. Plus personne leur dit comment ils doivent agir. Doivent-ils “brûler” les structures établies par les ancêtres pour devenir “africain” ? » Etienne Kallos avoue ne pas avoir de réponse.
Kallos maîtrise bien la mise scène, mais toutefois, sa mise en scène comme ses personnages, avancent doucement : « Bien que j’aie dirigé Janno et Pieter comme deux personnages distincts, je les ai écrits comme un personnage divisé en deux, les deux faces d’une même médaille. Les complexités de la fraternité et de l’identité masculine dans cette nouvelle ère de critique et de réévaluation sont fascinantes à explorer. Par exemple, en moi-même, je vois deux parties principales : un côté de moi est un homme qui manque de confiance en lui et ne veut pas vivre dans un monde sans amour (c’est Janno), l’autre est un survivant qui défie le jugement extérieur, qui est prêt à exister sans amour et à tout prix (c’est Pieter) ».
Habitué des ateliers, des programmes et des fondations des festivals du monde entier, Etienne Kallos, réalise son premier long-métrage sans difficulté financière, mais rencontre d’autres obstacles. Une vraie production internationale. Etienne Kallos comme ses acteurs sont Sud-Africains. Mais son directeur de la photo est polonais, ses compositeurs russes, sa scripte grecque, sa monteuse française et la direction artistique est confié à Mickey Erasmus : « Je ne pensais pas que faire une coproduction internationale serait aussi difficile que ça l’a été. Avec des éléments en mouvement répartis dans quatre pays, nous avons tous dû accepter un certain chaos permanent. Heureusement, nous avons eu une productrice principale efficace : Sophie Erbs. J’ai passé des années à trouver les lieux du film et à cultiver des relations avec les fermiers locaux. Il m’a donc été plus facile de maintenir ma vision, dans ce contexte de coproduction internationale, sur les lieux que j’avais trouvés – alors que pendant la post-production, qui s’est faite en Europe, il est devenu beaucoup plus difficile de maintenir mon point de vue africain. Malgré les meilleures intentions de chacun, les détails des couleurs et des sons, si spécifiques en Afrique, se sont presque perdus. Par chance, j’ai eu à mes côtés une grande monteuse française, Muriel Breton » conclut Kallos.
Norma Marcos
Les Moissonneurs (Die Stopers) un film d’Etienne Kallos avec Brent Vermeulen, Alex van Dyk, Juliana Venter, Morné Visser… Scénario: Etienne Kallos. Image : Michal Englert. Montage : Muriel Breton. Musique : Evgueni Galperine et Sacha Galperine. Producteurs : Sophie Erbs, Tom Dercourt, Thembisa Cochrane, Michael Auret, Giorgos Karnavas, Konstantinos Kontovrakis et Mariusz Wlodarski. Production : Spier Films, Heretic, Lava Films en coproduction avec Bord Cadre, ERT, en association avec Moonduckling Films. Distribution (France) : Pyramide Distribution (Sortie le 20 février 2019). France – Afrique du Sud – Pologne – Grèce. 2018. 106 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. Un Certain Regard, Festival de Cannes, 2018. Tous Publics.