Les Films de Paul Verhoeven
présentés par le réalisateur
au Festival Toute la Mémoire du Monde :
Auteur d’une œuvre remarquable, à la fois singulière et « commerciale », Paul Verhoeven, a aussi bien connu des succès phénoménaux que des échecs cuisants au cours de sa carrière en dents de scie. Dans l’impressionnante filmographie de sa carrière, Verhoeven alterne les genres avec une aisance, une intelligence et une intégrité qui forcent d’autant plus le respect et l’admiration que celle-ci se situe dans deux pays situés sur deux continents différents et à deux époques bien distinctes. Tout au long de sa carrière, que ce soit aux Pays-Bas comme aux Etats-Unis, il n’a eu de cesse d’éviter, tant que possible, les « concessions » que lui ont imposées les différentes institutions (politiques, sociales, économiques,…) qui ont voulu le brider, le censurer. La diversité des films et des chefs-d’œuvre qui composent son impressionnante filmographie témoigne de la richesse de son univers et de son œuvre. Œuvre qui, nous sommes impatient, doit s’enrichir d’un nouvel opus à la rentrée prochaine, puisque Paul Verhoeven a annoncé lors de sa Master Class la sortie de son nouveau film Elle, tourné en France avec Isabelle Huppert et Laurent Lafitte. Verhoeven sera-t-il présent sur la croisette en mai prochain ?
« Beaucoup des idées que vous voyez dans mes films sont très intuitives. Les choses s’expriment d’elles-mêmes par le simple fait que vous montrez dans un film, sans même le vouloir, la personne que vous êtes. Si on était entièrement conscient de toutes les décisions qu’on prend quand on fait un film, ça ne serait plus tout à fait de l’art. Ce serait un pur jeu intellectuel. Je n’essaie pas de prouver quoi que ce soit. La manière dont je procède est beaucoup plus organique. ». L’Ironie est un art perdu, entretien avec Paul Verhoeven, Cahiers du cinéma n°715, octobre 2015
Spetters (Spetters, 1980)…
La Chair et le sang (Flesh and Blood, 1985)
En 1501, quelque part en Europe, une bande de mercenaires menée par le capitaine Hawkwood assiège une place forte pour le compte du Seigneur Arnolfini qui les trahie en refusant de les payer. Guidés par une vision mystique, ces derniers se révoltent et vont se venger en kidnappant la fiancée de son fils et en semant la terreur dans son château.
Suite aux nombreux problèmes qu’ont suscités la préparation et l’accueil de Spetters lors de sa sortie aux Pays-Bas, Paul Verhoeven s’est tourné vers l’international, avec notamment l’Espagne et les Etats-Unis, pour produire La Chair et le sang. Impliquée dans le projet, la société Orion obtient de la part du réalisateur des modifications dans le scénario afin de rendre le film plus « commercial ». Le tournage en Espagne s’avèrera catastrophique et marquera la rupture entre le réalisateur et son acteur fétiche Rutger Hauer.
Dans ce film, Verhoeven a choisi un cadre typiquement européen, le Moyen Âge, dont il trouve que la description faite par Hollywood a toujours été trop lisse, trop propre. Il le dépeint donc ici comme une époque sale et violente, barbare et décadente. Les puissants ne valent guère mieux que les mercenaires grossiers et brutaux et la religion catholique n’y est déjà plus qu’une supercherie ne servant qu’à empêcher les idées progressistes de la Renaissance de se développer. Le film sera un échec commercial et contribuera finalement à faire accepter le réalisateur de tenter sa chance aux Etats-Unis.
Robocop (1987)…
Total Recall (1989)
2048. Doug Quaid est hanté par le rêve récurrent d’un voyage sur la planète Mars où il recherche une certaine Melina. Lori, sa femme, s’efforce de le rassurer et de dissiper ce fantasme. Lorsque ce dernier s’aperçoit que son rêve est artificiel et que sa femme est une espionne chargée de veiller à son reconditionnement mental, il décide de s’envoler pour Mars à la recherche de son mystérieux passé.
Librement adapté d’une nouvelle (We can remember it for you wholesale) de Philip K. Dick, Total Recall devait initialement être porté à l’écran par David Cronenberg avant que le producteur Dino de Laurentiis ne l’écarte du projet qui risque alors de rester sans suite. C’est Arnold Schwarzenegger lui-même qui le ressuscitera quelques mois plus tard en rachetant les droits du scénario et, impressionné par Robocop, en imposant le nom de Verhoeven aux studios. L’acteur, roi du box-office à l’époque, ajoutera au scénario les recettes de ses succès (Commando, Le Contrat, Running Man, Predator, Double détente) et donnera au film ce mélange explosif d’action et d’humour. Mais Total Recall n’en reste pas moins pour autant un film marqué par la singularité de son auteur. En effet, fidèle à sa réputation de « pervertir » (pour le meilleur) les projets qui lui sont confiés, Verhoeven entraine avec lui l’acteur dans une aventure violente et « sexuelle » à mille lieues de la pudibonderie ambiante. Le film est un énorme succès à nouveau pour son auteur.
Showgirls (1995), Starship Troopers (1997)…
Black Book (Zwartboek, 2005)
A La Haye, sous l’occupation allemande, la chanteuse Rachel Stein tente, avec un groupe de Juifs, de gagner la Hollande Méridionale déjà libérée. Unique survivante d’un massacre elle s’engage dans la Résistance et sous la fausse identité d’Ellis de Vries, parvient à infiltrer le Service de Renseignements allemand et à se rapprocher du terrible Lüdwig Müntze, haut commandant nazi.
Après Hollow Man, l’homme sans ombre (Hollow Man, 2000), dernier film de sa période américaine, Black Book marque le retour de Paul Verhoeven dans son pays natal, les Pays-Bas, et le besoin de son auteur de revenir à des sujets historiques en concrétisant le projet sur lequel il travaille avec son scénariste Gerard Soeteman et qu’il porte en lui depuis vingt ans.
Obsédé par la Seconde Guerre mondiale qu’il a connu enfant, Verhoeven a déjà consacré trois films à cette période. C’est pendant l’écriture du Choix du destin (Soldaat van Oranje, 1977) que lui vient l’idée de Black Book auquel il donnera volontairement un ton moins héroïque.
« J’y vois une approche moins héroïque, plus authentique de cette période. Je voulais en montrer les ambiguïtés et les demi-teintes, en évitant tout manichéisme. Black Book est réaliste et provocant. Personne n’avait encore montré comment nous traitions nos prisonniers en 1945 ».
Le film met effectivement en lumière des aspects trop méconnus de la Seconde Guerre mondiale aux Pays-Bas comme la Résistance et la Libération. Le personnage de Rachel (Carice van Houten) a été construit à partir de plusieurs témoignages. Son histoire dans le film représente donc plusieurs évènements et souffrances qui se sont réellement déroulés sous l’Occupation. Notons au passage que le carnet noir au cœur de l’intrigue, dans lequel sont consignés les noms des traîtres et des collaborateurs hollandais qui aidaient les Allemands, a vraiment existé.
Bien que Paul Verhoeven soit rentré aux Pays-Bas pour réaliser ce film, Black Book n’en est pas moins pour autant une énorme production, une monumentale fresque Historique aux accents de thriller aux multiples rebondissements. Fidèle à lui-même, dans ce film Verhoeven traite avec crudité les horreurs de la guerre.
Quand on demande au réalisateur s’il voit les suites ou autres remakes de ses films, il répond avec lucidité et l’ironie qui le caractérise : « Oui, je les vois pour voir ce que ça donne. Je les « étudie »… peut-être pour me sentir supérieur !… (il sourit et marque un temps) Pour moi, les films d’aujourd’hui, les suites et les remakes sont trop sérieux, trop premier degré. Sans humour, sans second degré, sans clin d’œil. Ils se prennent trop au sérieux et deviennent ennuyeux, pour ne pas dire ratés, car on n’y croit plus. Il faut savoir créer une distanciation pour que cela fonctionne. Et pour cela, il faut utiliser mais avant tout connaître et comprendre la mise en scène ».
Steve Le Nedelec