Marshal, dans un petit patelin où il règne en maître, Guthrie McCabe (James Stewart) est entraîné dans la cavalerie par un vieux pote lieutenant, Jim Gary (Richard Widmark) au Fort Grant. Une mission lui est confiée par l’Armée : retrouver des enfants de pionniers kidnappés par les Indiens. La tâche est plus qu’ardue… certains de ces enfants, s’ils ont survécu, sont devenus des adultes… McCabe hésite mais finit par accepter la proposition y voyant le moyen de gagner de l’argent sur le dos des pionniers…
John Ford n’aimait pas Les Deux cavaliers, la légende rapporte qu’il s’est désintéressé du film en cours de tournage et que c’est par-dessous la jambe qu’il l’a mis en scène. «Je n’aimais pas l’histoire, mais j’ai fait le film pour faire plaisir à Harry Cohn (patron de la Columbia Pictures) qui était coincé par ce projet. », confia des années plus tard John Ford à Peter Bogdanovitch. Il n’empêche que le film transpire le talent à l’état brut. Cette nonchalance ajoute un réalisme pour le moins étonnant à cette histoire. Peut-être que pour John Ford, la seule manière de porter ce script à l’écran était de lui donner cette forme, leste et minimaliste. Le résultat est sidérant. Ford réduit non seulement sa mise en scène au strict minimum, on se croirait parfois revenu au temps du muet, mais aussi les décors. La séquence de discussion de Stewart et de Widmark au bord de la rivière est un moment d’anthologie – simple, direct, naturel. Séquence d’une incroyable modernité qui sidère aujourd’hui encore les spectateurs.
Cette approche donne une vision de l’Ouest sans fard, sans lyrisme. L’histoire n’est pas sans rapport avec La Prisonnière du désert, mais l’angle est différent, et les personnages aussi. John Wayne incarne un psychopathe raciste, James Stewart est un individualiste cynique. McCabe pense le monde comme un lieu de violences engendrées par les faiblesses humaines. La corruption est présente partout : tout s’achète avec des dollars ou du whisky, qu’importe. A la vision nihiliste de McCabe s’oppose celle du Lieutenant Gary. Il est son contrepoint, l’expression de la loi, du bon sens, de la compassion. Mais, il s’agit d’une opposition de surface. Les deux hommes sont du même côté de la rivière. McCabe et Gary sont complémentaires et dans le fond semblables. Autour de ces deux personnages, rien ne trouve grâce aux yeux du scénario: les pionniers ne sont que des pauvres gens, des colons s’accaparent les terres des Indiens avec l’aide de l’Armée. Assoiffés d’une haine intarissable, ils exigent depuis des années de l’État plus des représailles envers les Comanches, que le retour de leurs enfants disparus. Dans ce chaos, seuls quelques personnages féminins s’inscrivent positivement. John Ford s’est peut-être rendu compte en cours de route qu’il était en train de brosser un portrait de l’Amérique bien trop sombre et auquel il avait du mal à adhérer, delà à suivre simplement le script…
Les Deux cavaliers est un film fait de failles et de grands moments. La photographie très impressionniste en extérieur de Charles Lawton, Jr. est superbe, et les deux anti-héros, James Stewart et Richard Widmark, quasiment en roue libre, sont surprenants. Un classique.
Fernand Garcia
Les Deux cavaliers est édité pour la première fois en Blu-ray (disponible aussi en DVD) dans une magnifique copie, image et son restauré, par Sidonis/Calysta dans la Collection Western de légende. En complément de programme deux excellentes présentations, l’une par Bertrand Tavernier sur John Ford, le tournage, etc. (31 mn) et l’autre par Patrick Brion resitue le film dans son époque, 1961 (13 mn). La bande-annonce américaine du film (3 mn) et une galerie de photos et d’affiches du film complète cette belle édition.
Les deux cavaliers (Two Rode Together) un film de John Ford avec James Stewart, Richard Widmark, Shirley Jones, Linda Cristal, Andy Devine, John McIntire, Paul Birch, Harry Carey, Jr., Woody Strode… Scénario : Frank Nugent d’après le roman de Will Cook. Directeur de la photographie : Charles Lawton, Jr. Décors : Robert Peterson. Montage : Jack Murray. Musique : George Duning. Producteurs : Stan Shpetner – John Ford. Production : Columbia Pictures Corporation – John Ford Productions, Inc. – Shpetner Productions, Inc. Etats-Unis. 1961. 109 mn. Couleur (Eastmancolor). Format 1.85 :1. Ratio 16/9.VOST-VF Tous Publics.