Une nuit comme les autres, dans la petite ville en expansion de Red Valley perdue dans l’Utah. Soudainement une explosion retenti, et la vitrine de la Clanton Bank vole en éclats. La bande de casseurs se précipite sur le coffre encore fumant pour le découvrir… vide ! Ils prennent la fuite, mais un attroupement s’est constitué devant la banque, une fusillade éclate. Les voleurs s’échappent laissant derrière eux plusieurs morts. Au matin, le banquier Clanton propose généreusement aux habitants de les rembourser à hauteur de 50 cents pour un dollar volé…
L’histoire peut sembler conventionnelle, les personnages – archétypales, et pourtant le film nous happe par son rythme sans failles, la qualité de ses acteurs, la beauté de sa photo, l’excellence des dialogues, sa mise en scène jamais en défaut. Mine de rien, au bout de 90 minutes on en redemande, mais trop tard, c’est fini. En plus d’être un très bon western, Les Desperados est un film important dans l’histoire de la Columbia.
Important, parce que Les Desperados est le premier film en Technicolor de la Columbia. Harry Cohn, son despotique patron, y a mis les moyens. Remontons un peu dans le temps, en 1939, Autant en Emporte le vent est un coup de tonnerre pour l’industrie hollywoodienne. Le Technicolor flamboyant de la production de David O. Selznick, associé à son succès démentiel, ancre la couleur au sein des studios pour les films de pur divertissement, films historiques, comédies musicales, dessins animés et westerns. Le cinéma « sérieux » et réaliste reste dans l’esprit des cinéastes et dans celui des spectateurs un art en noir et blanc. Financièrement, l’utilisation du Technicolor entraîne une hausse de 50 % du coût du négatif. Les Studios ne tournent qu’un nombre limité de films en couleurs jusqu’à la fin des années 40, mais pour répondre à la concurrence de la télévision dans les années 50, les Studios généralisent l’emploi de la couleur. Après la Fox, la MGM et la Paramount, et en 1943, la Columbia s’aventure dans la couleur. Pour mettre tous les atouts de son côté, Cohn engage la grande spécialiste du Technicolor, Nathalie Kalmus, déjà à l’œuvre sur Autant en emporte le vent, pour Les Desperados.
La photographie de George Meehan, qui n’est pas un grand nom, mais un solide technicien au service le plus souvent de modestes productions, est admirable. Perfection des intérieurs, des noirs intenses, voire la séquence de la grange entre Glenn Ford et Evelyn Keyes à la lumière quasi-irréelle sur le visage de l’actrice et un choix d’extérieurs superbes avec sa succession de grands espaces majestueux. Ses cadres sont de toute beauté et les angles de prises de vue donnent une dynamique formidable à la grande séquence de poursuite. Signalons aussi le luxe des décors et des costumes s’harmonisant parfaitement.
La bonne idée du studio est d’avoir confié la réalisation à Charles Vidor, alors qui n’est pas un spécialiste du genre, alors sous contrat avec le studio. Pour la petite histoire : la relation entre Vidor et Cohn étant si exécrable qu’elle aboutira en 1946 à un procès entre les deux hommes. Procès remporté par Cohn qui fera alors vivre un véritable enfer à Vidor jusqu’à ce qu’il accepte que le réalisateur rachète son contrat en 1948. Harry Cohn était connu pour sa grossièreté et son inculture crasse. Les frères Coen s’en inspirent pour le personnage du producteur dans Barton Fink. Vidor n’était pas en reste, il était réputé pour diriger ses acteurs et techniciens d’une main de fer.
D’origine austro-hongroise, Charles Vidor débute à la fin de la Première Guerre mondiale comme assistant-réalisateur en Allemagne dans les studios de la UFA. Vers le milieu des années 20, il émigre aux Etats-Unis. Il réalise en 1932 à la MGM son premier film avant de devenir à partir de 1940 l’un des piliers de la Columbia. Il y réalise l’un des chefs-d’œuvre emblématiques du studio Gilda avec Rita Hayworth et Glenn Ford. Énorme succès critique et public. Réalisateur de commande, la qualité de ses films dépendants en grande partie des scénarios et du casting. Une carrière en dents de scie où le meilleur côtoie le passable. Les Desperados s’inscrit dans les grandes réussites de Charles Vidor, il est bien dommage qu’il n’ait pas persévéré dans le western tant il s’amuse et fait preuve d’imagination dans sa mise en scène. Répétition d’effets comiques, comme les bagarres dans le saloon où Vidor utilise des astuces burlesques à l’image de ce pauvre barman qui voit son établissement systématiquement anéanti. La scène du procès des faux coupables par un juge haut en couleur est un classique du genre et Vidor s’en tire brillamment. Le rythme qu’il impose aux acteurs permet un véritable jeu de ping-pong des dialogues : – Cheyenne, tu n’es pas sérieux, n’est-ce pas ? Me tuer n’a pas de sens. – Cela ne fait jamais de mal au type qui se fait tuer.
Dans sa mise en scène pointe l’esquisse d’une critique sociale aussi discrète que surprenante: dans la séquence du bal, des indiens admis à l’intérieur de la salle, confinés dans un coin, sont spectateurs d’une histoire qui s’écrit sans eux. Il en va aussi d’une critique des banquiers, celui des Desperados est un spécimen de la pire espèce, capable de toutes les compromissions pour accroître sa fortune. Porter Hall est un virtuose de ce genre de crapule.
Pour le reste de la production pas une fausse note : Rudolph Scott est l’image même du shérif au passé de mauvais garçon, une présence qui impose le respect et toujours cette manière unique de balancer ses dialogues. Ce cinquantième film de l’acteur marque d’une manière périphérique sa rencontre avec Budd Boetticher assistant-réalisateur. Quelques années plus tard ils nous donneront quelques-uns des plus beaux westerns de l’histoire du cinéma. Claire Trevor en tenancier de saloon et d’hôtel de passe semble descendre tout droit de la diligence de La chevauchée fantastique de John Ford. Glenn Ford est le jeune voyou au grand cœur. Evelyn Keyes, un charmant cœur à prendre. A la suite de ce tournage, Charles Vidor et Evelyn Keyes deviendront mari et femme. Et enfin, Edgar Buchanan, est absolument remarquable, un jeu tout en nuances d’un homme prit entre deux feux. Il personnifie parfaitement un homme « emmerdé » par une situation dont il est à la fois le petit moteur et la victime, sans jamais en rajouter.
Les Desperados est une preuve supplémentaire que l’histoire du western est parsemée de joyaux.
Fernand Garcia
Les Desperados, une édition Sidonis Calysta dans l’indispensable collection Western de légende. Image HD impeccablement restaurée, un bonheur pour les yeux, avec en supplément : deux présentations enthousiastes et complémentaires, l’une par Bertrand Tavernier « Un western extrêmement rapide, nerveux, un retournement par situation, ça n’arrête pas… » (14 minutes), l’autre par Patrick Brion (8 minutes). Enfin, une belle galerie de photos et d’affiches.
Les Desperados (The Desperadoes) un film de Charles Vidor avec Randolph Scott, Glenn Ford, Claire Trevor, Evelyn Keyes, Edgar Buchanan, Guinn (Big Boy) Williams, Raymond Walburn, Porter Hall, Joan Woodbury… Scénario : Robert Carson d’après une histoire de Max Brand. Directeur de la photographie : George Meehan. Décors : Gene Banks. Musique : John Leipold. Producteur : Harry Joe Brown. Production : Columbia Pictures. 1943. 87 minutes. Technicolor. Format image : 1.37 :1. Son VOSTF et VF. Tous Publics.