27 août 1967. Au matin, dans un baraquement de l’armée américaine, des jeunes gars prêtent serment. Ils viennent de tout le pays pour s’enrôler dans les Marines. Parmi eux, cinq jeunes, Tyron Washington (Stan Shaw), Billy Ray Pike (Andrew Stevens), Alvin Foster (James Canning), Vinnie Fazio (Michael Lembeck), Dave Bisbee (Craig Wasson), pour de diverses raisons se retrouvent là. Alvin a décidé de ternir un journal afin d’y relater leurs quotidiens au sein des Marines. Un car, les emmène à la caserne des Marines de San Diego, en Californie. Ils sont accueillis par le Sergent instructeur Loyce (Lee Ermey)…
Les Boys de la Compagnie C est une date importante dans la chronologie des films consacrés à la guerre du Vietnam. Il est le premier film à sortir sur les écrans. Sidney J. Furie est un réalisateur canadien, ce qui explique peut-être son audace, en 1977, à s’attaquer frontalement à la guerre du Vietnam, un sujet tabou dans la société américaine.
Sidney J. Furie montre la guerre sur le terrain, et non le retour des vétérans, ce qui constituera le thème central de Le Retour (Coming Home, 1978) d’Hal Ashby et de Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter, 1978) de Michael Cimino. Films qui souleront la polémique. La guerre du Vietnam n’est par directement aborder par le cinéma américain des années 60. Malgré tout, le conflit va s’inscrit comme en filigrane dans de nombreux films comme Le Lauréat (The Graduate, 1967) ou Easy Rider (1969). Mais aussi de manière détourner dans le western, La Horde Sauvage (The Wild Bunch, 1969) de Sam Peckinpah, Le Soldat bleu (Soldier Blue, 1970) de Ralph Nelson ou Little Big Man (1970) d’Arthur Penn, ou en utilisant la Seconde Guerre mondiale avec Catch-22 (1970) ou par la guerre de Corée comme M*A*S*H* (1970) de Robert Altman. On retrouver des vétérans de la guerre, par contre, dans plusieurs films, personnages ambigus, en rupture de société, tel le tueur ex marine de L’Inspecteur Harry (Dirty Harry, 1971), et bien sûr Travis Bikles (Robert De Niro) l’antihéros de Taxi Driver (1976). La guerre du Vietnam n’était pas absente du cinéma, mais à partir de la chute de Saïgon (1975), du traumatisme de la défaite, le cinéma va oser l’aborder frontalement.
La particularité de toutes ces productions qui vont apparaître à partir de 1978, c’est qu’il s’agit de films indépendants et non des productions des Majors. Ainsi Francis Ford Coppola finance lui-même Apocalypse Now, en mettant dans la corbeille ce qu’il a gagné sur ses précédents films et des fonds récoltés par des préventes auprès des distributeurs du monde entier. Il en sera de même pour le film de Cimino, financé par la branche cinéma de la compagnie de disque britannique, EMI. Les majors auront beaucoup de réticences à produire des films sur la guerre du Vietnam.
Avant 1977, il n’y a eu que Les Bérets Verts (The Green Berets) de John Wayne et Ray Kellogg, à la Warner, en 1968, film patriotique d’un grand manichéisme, véritable justification de l’intervention américaine. Dans ce film, John Wayne, incarne l’archétype du héros américain, mais à ce moment précis de l’histoire américaine, ça ne fonctionne plus. Le Vietnam n’est pas la Seconde Guerre mondiale, l’héroïsme a du plomb dans l’aile. Les images du conflit prises par les reporteurs sur place sont terribles pour la première puissance. Malgré les polémiques qui vont accompagner la sortie des Bérets Verts, le film est un gros succès. John Wayne sera par la suite nommément cité de manière très ironique dans Apocalypse Now et Full Metal Jacket.
Dans ce contexte de frilosité des majors américaines, il n’est pas si surprenant que Les Boys de la Compagnie C soit produit par la société hongkongaise Golden Harvest de Raymond Chow, producteur historique des Bruce Lee. Chow obtient un accord de la Columbia pour l’exploitation du film aux Etats-Unis. Mais il y aussi une forme d’opportunisme de la part de la production, la Golden Harvest, à se mettre dans la roue d’Apocalypse Now, dont l’histoire se déroule aussi au Vietnam.
La première ébauche du scénario est écrite par Rick Natkin en 1973. Elle est retravaillée avec Sidney J. Furie. Rick Natkin apparaît dans le film dans le rôle d’Amy Grunt, le vendeur de drogue à l’entrée du camp. La structure du film est absolument classique, de l’arrivée des recrues à une opération sur le terrain en passant par l’entraînement. Il suit le parcours d’un groupe de 5 engagés volontaires et non des appelés. Le déroulement de l’histoire est proche de celui des films de guerre des années 50. Structure classique et efficace qui remonte à A l’Ouest rien de nouveau, ainsi qu’aux innovations de l’après-guerre chez Samuel Fuller, Howard Hawks, William Welman et bien d’autres.
Natkin et Furie optent pour le langage de leur temps, plus libres, plus proches de la rue, ils n’hésitent pas à utiliser un langage ordurier. Revers de la médaille, dans cette abondance de dialogues, un déséquilibre au sein des séquences, parfois jouant la carte du réaliste puis basculant dans un texte trop explicite au niveau des intentions. Cette manière de procéder donne à l’ensemble l’impression d’être une pièce off Broadway en plein-air. Voulant trop en dire et en montrer un maximum, Natkin et Furie brassent trop de thèmes, cette volonté de raconter toutes les étapes de l’incorporation au combat dans les rizières, se retourne quelque peu contre le film. Ce trop-plein, aboutit, pour nombre de situations mises en place, à un cul-de-sac.
Sidney J. Furie entame le tournage des Boys de la Compagnie C aux Philippines, en 1977, alors même que Francis Ford Coppola est sur place depuis mars 1976 pour Apocalypse Now. Lee Ermey, qui incarne le sergent instructeur dans le film de Furie, est conseiller technique sur les deux films. Les Boys de la Compagnie C, sortira en salles près de deux ans avant Apocalypse Now.
Furie se positionne du côté des recrues, il les suit pas à pas. Ils sont tous issus de groupes ethniques, représentatifs de la jeunesse, noirs, hippies, WASP, italo-américains, latinos, etc. Rapidement, de ce groupe, émerge la figue de Washington. Dealer des quartiers pauvres de Chicago, Washington espère poursuivre son bizness en exportant de la drogue du Viêtnam vers les Etats-Unis. Il a la tête sur les épaules, mais face à tant de brimades, puis de tueries, il prend conscience de l’inutilité de cette guerre. Quant au narrateur, figue classique du genre, il n’est pas le personnage central du film, sa voix se perd petit à petit (il n’est pas témoin de tout, ce qui est une erreur), mais reprend de son importance au fil de l’action pour un « effet » final particulièrement réussi et éclairant. Finale allégorique sur la situation au Vietnam, qui évoque tout autant M*A*S*H* que Plein la gueule (The Longest Yard, 1974) de Robert Aldrich.
Sidney J. Furie débute dans son Canada natal, en 1957 avec un drame adolescent A Dangerous Age. Rapidement, il se retrouve en Angleterre, il dirige de bons films commerciaux. Harry Saltzman, producteur des James Bond, le repère et lui permet de réaliser, Ipcress – Danger Immédiat (The Ipcress File, 1965), un chef-d’œuvre du film d’espionnage. Le film est présenté au Festival de Cannes et décroche le BATFA Award du meilleur film britannique. Ipcress, est un succès commercial et artistique, qui fait de Michael Caine, une star du cinéma britannique. Curieusement, Saltzman, ne fera pas appel à Furie pour la réalisation d’un James Bond, et c’est Guy Hamilton qui réalise la seconde aventure d’Harry Palmer, l’espion d’Ipcress, pour Mes funérailles à Berlin (Funeral in Berlin, 1966).
Furie avait certainement d’autres projets, puisque dans la foulée, il dirige Marlon Brando, – ce n’est pas rien -, dans un excellent western, L’homme de la Sierra (The Appaloosa, 1966). Furie rencontre beaucoup de problèmes avec son équipe américaine, ses cadrages, pour le moins baroques, n’entrent pas dans la grammaire classique hollywoodienne. Il s’oppose aussi à Brando, qui beau joueur, reconnaîtra par la suite de véritables qualités visuelles au film. Impressionné par Ipcress, Frank Sinatra, lui confie la réalisation Chantage au meurtre (The Naked Runner, 1967). Alors que le film est en tournage à Copenhague, Sinatra quitte le plateau pour se rendre à un rassemblement pour le gouverneur de Californie, Pat Brown, qui se présentait contre l’ex acteur républicain Ronald Regan (qui l’emportera). Sinatra décide de ne pas revenir sur le tournage (ce qui n’est pas une première de sa part). Décision qui contraint Furie à pas mal d’acrobaties afin de finir le tournage sans sa star. Furie réussit à mener le film à terme et rencontre même le succès.
Furie a une bonne réputation, finir les tournages dans les temps et supporter les caprices de ses stars. Il est dans les petits papiers des directeurs de studio. Furie refuse le scénario de M*A*S*H* de Ring Lardner Jr., qu’il trouve trop confus pour se consacrer à Au-delà de la sentence (The Lawyer, 1970) avec Barry Newman, le film produit par la Paramount est un succès en demi-teinte. Toujours pour le studio, il tourne L’Ultime Randonnée (Little Fauss and Big Halsy, 1970) avec Robert Redford et Michael J. Pollard, acteur encore auréolé par le succès de Bonnie and Clyde (1967). Albert S. Ruddy, producteur du film, lui propose Le Parrain, mais durant la pré-production une mésentente sur l’orientation du film, l’exclu du projet. Robert Evans et Albert S. Ruddy le proposeront alors à Francis Ford Coppola, avec le succès que l’on connaît. Il reste attaché à la Paramount. Son biopic de Billie Holiday, Lady Sings the Blues, décroche 5 nominations aux Oscars 1973.
Après Les Boys de la compagnie C, Sidney Furie connaît deux coups durs. Il quitte le tournage de New York Connection (Night of the Juggler, 1980), écrit par Rick Natkin, à la suite d’un désaccord sur la suite du film après l’accident de l’acteur principal, James Brolin. Robert Butler termine le film. Il quitte aussi le tournage du Chanteur de jazz (The Jazz Singer, 1980) avec Neil Diamond et Sir. Laurence Olivier, que reprend intégralement Richard Fleischer. Il a beaucoup plus de chance, avec ce qui reste son dernier grand film, L’Emprise (The Entity, 1982), formidable film d’horreur où une femme (Barbara Hershey) est agressée sexuellement par une entité invisible. La suite est moins prestigieuse.
Il dirige plusieurs Aigle de Fer (Iron Eagle, 1986, 1988, 1995) produits dans la foulée de Top Gun, avec à la clé de gros succès en VHS. Il réalise beaucoup et rapidement des thrillers et films d’action pour la vidéo et les TV payantes. Il connaît une effroyable déconvenue avec Superman IV (1987), produit pas la Cannon. La mini-major en pleine crise financière sabre la moitié du budget. Les effets spéciaux sont réduits à peau de chagrin. Le film est une catastrophe. La carrière de Furie devient quelconque enchaînant les direct-to-video. On peut extraire de cet ensemble, Partners in action (2002) avec Armand Assante, écrit par Eddy Matalon.
Les Boys de la Compagnie C marque la première apparition à l’écran de R. Lee Ermey. C’est un officier qui a fait partie du Corps de Marines de 1961 à 1971. Il accède à une notoriété planétaire grâce à Full Metal Jacket (1987). Impressionné par Lee Ermey, Stanley Kubrick, qui l’avait engagé comme conseiller technique, lui attribue le rôle du Sergent Hartman. Le film de Sidney J. Furie est fréquemment cité comme une des innombrables sources d’inspiration de Kubrick pour Full Metal Jacket, mais la comparaison entre les deux films n’a pas de sens. Full Metal Jacket atteint une perfection absolue dans la forme, un point limite dans le film de guerre, à tel point qu’il est impossible d’aller au-delà dans cette voie. Le film de Sidney J. Furie ne joue pas dans la même catégorie. Les Boys de la Compagnie C est le film honnête d’un artisan estimable. Un film qui mérite le détour, a redécouvrir…
Fernand Garcia
Les Boys de la Compagnie C, une édition combo (DVD + Blu-ray) Rimini Editions, en version intégrale, report HD remarquable, avec en compléments : Un court-métrage : Cockney, réalisé par Leonard Klein avec David Caines, Douglas Rand et Magali Lerbey, narration Matt Pratt. 1969, Sud Vietnam. Un hélicoptère de l’armée américaine survole la jungle. A son bord, plusieurs soldats et un agent de la CIA, ils rapatrient un étrange reporter, Sam S. Cockney, disparu depuis plusieurs mois derrière les lignes ennemies… (11 minutes). Hollywood et la guerre du Vietnam par Jean-Baptiste Thoret, réalisateur et historien du cinéma, retour sur les rapports entre le cinéma américain et la guerre du Vietnam, en tant que terrain à explorer. Intervention brillante de Thoret (27 minutes env.). Le Vietnam de Sidney J. Furie, conversation entre Jean-Baptiste Thoret et Samuel Blumenfeld. Evocation de la carrière de Sidney J. Furie et la place des Boys de la Compagnie C dans les films sur la guerre du Vietnam. Dommage que l’enregistrement soit handicapé par une mauvaise prise de son (42 minutes). Et enfin, la bande-annonce du film (2,20 minutes).
Les Boys de la Compagnie C (The Boys in Company C), un film de Sidney J. Furie avec Stan Shaw, Andrew Stevens, James Canning, Michael Lembeck, Craig Wasson, Lee Ermey, Scott Hylands, James Whitmore, Jr., Noble Willingham, Santos Morales, Drew Michaels… Scénario : Rick Natkin et Sidney J. Furie. Directeur de la photographie : Godfrey A. Godar. Décors : Robert W. Laing. Montage : Jim Benson, Michael Berman, Alan Pattillo et Frank J. Urioste. Musique : Jaime Mendoza-Nava. Producteur exécutif : Raymond Chow. Producteur : André Morgan. Production : Golden Harvest Company – Good Times Films S.A. – Columbia Pictures. Etats-Unis – Hong-Kong. 1978. 126 minutes. Technicolor. Panavision. Format image : 2.35 :1. Son : Version originale avec sous-titres français et Version française. DTS-HD.