1966, Les Anges sauvages est un choc, de quoi ébranlé les comités de censure disséminé à travers le monde. Brulot contre l’establishment avec une jeunesse en rupture, des rebelles vautrés dans la violence, la drogue, le rock et le sexe. Le film écope directe d’une interdiction aux moins de 18 ans en France, et naturellement d’une interdiction totale au Royaume-Uni et dans des tas d’autres pays. 13 ans après, L’équipée sauvage (The Wild One, 1953) de Laslo Benedek, Roger Corman enfourche à son tour une rutilante bécane, la Harley Davidson, pour un opus de colère. Les Anges sauvages de Roger Corman ouvre la route à la contre-culture et anticipe sur Easy Rider, borne 0 du Nouvel Hollywood.
1965, l’Amérique s’embourbe dans la guerre du Vietnam, la jeunesse n’a que peu d’échappatoire face à des décisions politiques mortifères. Le monde d’avant agonise dans un anticommunisme délétère. Les studios offrent certes quelques bons films tout en jouant la carte des grands spectacles musicaux, soubresaut d’un autre temps avec son parfum de plus en plus désuet. Roger Corman, réalisateur et producteur indépendant, est pour la première fois lié à une major, la Columbia. Mais rien n’avance, il voit ses projets tomber à l’eau les uns après les autres, que ce soit son adaptation de la Colonie pénitentiaire de Kafka ou celle d’Un Caïd de James Clavell.
Sous contrat avec le studio, Corman ne peut aller ailleurs réaliser de film ailleurs. Il n’en reste pas moins inactif et en profite pour produire d’autres films hors du studio dont les deux westerns de Monte Hellman écrit par Jack Nicholson, The Shooting et L’ouragan de la vengeance. Les relations avec la Columbia ne s’arrangent pas et Roger Corman quitte le tournage de La poursuite des tuniques bleues (A Time for Killing), au bout de quelques semaines. Il est remplacé par Phil Karlson. Le contrat avec la Columbia est rompu, Roger Corman persévère au sein des majors en signant avec la 20th Century Fox. Il s’y adapte un peu mieux qu’à la Columbia.
Roger Corman tourne pour la Fox, L’Affaire Al Capone (The St. Valentine’s Day Massacre), dans les décors de La Mélodie du bonheur, La Canonnière du Yang- Tsé et de Hello Dolly. Avec son million de dollars, L’Affaire Al Capone est le plus gros budget mis à sa disposition. Même s’il s’agit d’un de ses meilleurs films, avec une belle distribution, Jason Robards, George Segal et Ralph Meeker, et dans de petits rôles Bruce Dern, Jack Nicholson et Dick Miller, l’expérience lui laisse un arrière-goût bizarre. Trop d’argent, trop de personnes en charge de la production et une lourdeur qui l’éloigne de l’énergie vitale au cœur de ses réalisations. L’Affaire Al Capone est un bon film de gangster, il sortira sur les écrans qu’après Les Anges sauvages.
« C’est une photo du magazine Life qui m’a donné l’idée des Anges sauvages. La photo (.) montrait un groupe de Hells Angels qui se rendait à moto à l’enterrement de l’un des leurs. » (in Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centimes, Roger Corman avec Jim Jerome, Edition Capricci). Roger Corman revenir vers AIP et propose l’idée à Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, producteurs de la plupart de ses films, entre autres de la série à succès des Poe. Si les producteurs sont plus dans l’état d’esprit d’une actualisation du film de Benedek, Corman envisage les choses autrement. Il veut être en immersion du côté des Bikers, sans calquer dessus une quelconque morale petite-bourgeoise.
Les Anges sauvages est entièrement du point-de-vue des Hells Angels, pour le meilleur et le pire. Corman et son vieux complice le scénariste Charles B. Griffith s’immergent au sein de la communauté des Hells Angels de L.A. Fort de ses rencontres, Griffith écrit le scénario. Corman voit le film comme un western où les motos remplacent les chevaux.
Roger Corman prend comme assistant un jeune critique, Peter Bogdanovich et sa compagne de l’époque la talentueuse Polly Platt. Bogdanovitch va faire ses universités sur Les Anges sauvages. Passant par tous les postes (d’assistant à figurant, ingé son, cameraman, monteur, etc.). A la suite de cette expérience, Corman finance le premier film de Peter Bogdanovich, La Cible (Targets, 1968) avec Boris Karloff et des extraits de The Terror, très habilement intégré au film. Bogdanovitch trouve le scénario des Anges sauvages de Griffith juste bon pour un Walt Disney. Corman, convaincu par ses arguments, lui commande, ainsi qu’à Polly, une réécriture du script. Le scénario final déplaît grandement à Charles Griffith, et serait à 80 % l’œuvre de Bogdanovich et Platt, qui pour des raisons syndicales ne sont pas crédités au générique. L’histoire, très simple, tient la route. Loser (Bruce Dern) se fait chiper sa Harley par des Mexicain. Avec l’aide de Heavenly Blue (Peter Fonda) et de ses potes Bikers, il tente de remettre la main dessus. Tout se passe mal. Loser vole la moto d’un flic. Il est pris en chasse par la police, il est gravement blessé. Blue décide de le faire sortir de l’hôpital où il est sous la surveillance de la police. Le geste est chevaleresque, mais cela précipite la mort de Loser…
James Nicholson contacte George Chakiris, le chef des Sharks dans West Side Story (1961), pour le rôle principal. Mais l’acteur demande à être doublé pour les scènes en Harley. Impossible pour Corman, qui propose illico à Peter Fonda, qui devait tenir un second rôle, d’enfourcher le premier. Les dieux de la route sont avec Corman, puisque Bruce Dern, reprend le rôle initialement prévu pour Fonda, et le reste de la distribution comprend Nancy Sinatra, la fille de l’immense Frank, Diane Ladd (la compagne de Dern), Michael J. Pollard, et Gayle Hunnicutt. Corman embauche le club des Hells Angels pour se mêler aux acteurs. La cohabitation ne sera pas de tout repos, les Hells Angels étant particulièrement indiscipliné.
Roger Corman est un metteur confirmé, que de progrès depuis ses premiers films d’horreur ! Son utilisation du Scope est remarquable. Corman privilégie les focales courtes avec une grande profondeur de champ. Dès le premier plan, un travelling latéral avec l’entrée de l’Harley de Blues, le ton est donné. La vie de banlieue, de la classe moyenne est renvoyée dans les limbes. Les Anges sauvages, regorge d’images fortes telles l’arrestation de Loser, traînant blessé sur l’asphalte. Le climax est l’incroyable séquence de l’office religieux pour Loser. Blues se promène parmi ses bikers comme le nouveau messie. Tout dégénère, les sentiments les plus primaires s’emparent des Hells. La petite amie de Loser, forcé et droguée est victime d’un viol collectif. Blues délaisse son amoureuse pour une séance de va-et-vient avec une autre femme sous ses yeux. Corman à travers les Hells Angels exprime sa rage envers la société, mais il n’est pas dupe. Les Hells Angels sont en partie des tocards, illettrés et machistes. Ils ont un comportement anti-social et sont absolument abject avec les femmes. Corman n’y va pas avec le dos de la cuillère. Certains sont totalement dominés par des pulsions sexuelles qu’ils ont du mal à refréner. Au milieu de ses épaves de la route, Blues fait figure d’intellectuel. Il pense et théorise leurs actions, un chef de bande comme Alex d’Orange mécanique. Il ira jusqu’au bout de la cérémonie de Loser, alors que la plupart prendront la poudre d’escampette devant les flics et la population en colère. Son « Il n’y a nulle part où aller » anticipe sur le « No Future » des années 1970.
Corman, utilise les Hells Angels pour un discours radical sur la société américaine, instinctivement, il perçoit déjà que la violence carburant à la bêtise aboutira à un cul-de-sac. Peter Fonda et Dennis Hopper embrayons sur Easy Rider, plus On the Road à la Jack Kerouac, sur le mal-être d’une génération. Mais sans le succès des Anges sauvages, pas d’Easy Riders, ni la déferlante de films de Bikers qui suivront. Les Anges sauvages est une date dans le cinéma d’exploitation et une pièce essentielle dans l’avènement de ce qui deviendra le Nouvel Hollywood, n’oublions pas que beaucoup de ces cinéastes, scénaristes, acteurs et techniciens sortiront de « l’école » Corman.
Fernand Garcia
Les Anges sauvages, une édition spéciale à tirage limité de Sidonis Calysta, magnifique digibook combo (Blu-ray – DVD) + livret. En compléments : Une analyse du film et un historique des Hells Angels par Jean-William Thoury, auteur de Bikers, les motards sauvages à l’écran, éditions Serious Publishing. Cette édition s’accompagne du livret : Les Anges sauvages et la Bikerploitation / On The Road Forever de Marc Toullec (48 pages). Une édition indispensable.
Les Anges sauvages (The Wild Angels) un film de Roger Corman avec Peter Fonda, Nancy Sinatra, Bruce Dern, Diane Ladd, Michael J. Pollard, Gayle Hunnicutt, Buck Taylor, Norman Alden, Joan Shawlee, Lou Procopio, Marc Cavell, Dick Miller, Kim Hamilton… Scénario : Charles B. Griffith (et Peter Bogdanovich et Polly Platt, non crédité). Directeur de la photographie : Richard Moore (et Peter Bogdanovich, non crédité). Décors : Rick Beck-Meyer. Costumes : Polly Platt (non crédité). Montage : Monte Hellman (et Peter Bogdanovich, non crédité). Musique : Mike Curb. Producteurs exécutifs : Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson. Producteur : Roger Corman. Production : A.I.P. American International Pictures. Etats-Unis. 1966. 93 minutes. Pathé Color. Panavision anamorphique. Pellicule 35 mm. Format image : 2,35 :1. 16/9e. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française.