L’Enfer des zombies – Lucio Fulci

Un cadavre emmailloté dans un linceul blanc se redresse quand une balle lui perfore sa tête. L’homme qui vient de tirer abaisse son arme : « Le bateau peut partir. Avertissez l’équipage! »… En baie de New York, un voilier, le Morning Lady II, dérive… Repéré, deux garde-côtes montent à bord…

Lucio Fulci a 52 ans quand il se retrouve à la réalisation de L’Enfer des Zombies. Il n’imaginait certainement pas que ce film allait bouleverser sa vie et faire de lui un cinéaste culte. L’Enfer des Zombies est de ce point de vue-là le film le plus important de la carrière de Lucio Fulci, car dès lors une réévaluation totale de son œuvre va être entreprise par la critique. On va y déceler des figures des style et des obsessions déjà présents dans ses giallos et ses westerns, un goût certain pour la violence, la perversion, le macabre et une désillusion latente.

 

Si l’on retranche La guerre des gangs (1980) et Le chat noir (1981), deux bons films, Fulci enchaîne Frayeurs (1980), La maison près du cimetière (1981) et L’éventreur de New York (1982) – le tout en à peine trois ans. Des œuvres parcourues de visions sauvages, ésotériques, à la narration heurtée, comme si le véritable sujet était enfoui dans une zone au-delà de l’image, comme un hors champ métaphysique. Son nom devient une référence dans l’univers du cinéma de genre, des films déviants, violents, abstraits et gores. En une poignée de films, Fulci jette sur l’écran sa part d’ombre. Conscient de l’aura acquis auprès des spectateurs des années 80, Fulci construit sa propre mythologie « auteuriste » en jouant avec les attentes de ses « fans ». Celui qui aura été dans l’ombre des maîtres du genre, Mario Bava et Dario Argento, devient du jour au lendemain leur égal. Il n’est donc pas faux d’employer l’expression de parenthèse enchantée pour Lucio Fulci concernant cette courte période (1979-1982) qui précède une fin de carrière où des producteurs sans vergogne utiliseront simplement son nom, le cantonnant dans des productions fauchées indignes de son talent.

40 ans après sa réalisation, L’Enfer des Zombies passe sans encombres l’épreuve du temps. La mise en scène de Fulci, tout è fait classique dans sa forme, est d’une redoutable efficacité. L’arrivée du voilier dans la baie de New York est un grand moment de cinéma, le découpage de Fulci, fait monter une tension qui trouve son aboutissement baroque et angoissant dans l’apparition du zombie. C’est d’une grande classe, digne des films fantastiques produit par Val Lewton à la RKO. Fulci s’applique, L’Enfer des zombies est un film réalisé avec un grand sérieux, chaque plan est parfaitement composé et le rythme est soutenu de bout en bout.

A la manière d’Hitchcock, Fulci utilise l’érotisme pour entrainer le spectateur vers la terreur la plus brutale possible. Ainsi, Fulci mélange ces deux éléments dans deux séquences célèbres, quasi identiques et pourtant différentes fonctionnant purement sur la mise en scène.

La première se déroule sur le bateau où le quatuor de deux hommes et deux femmes se dirigent vers la fameuse île. En chemin, Susan (Auretta Gay) s’équipe pour plonger photographier les fonds marins. Fulci s’attarde en gros plans sur le corps dénudé de Susan, ses seins, la lanière des bouteilles d’oxygène plaqué sur son pubis. On pourrait y voir une utilisation de pur voyeurisme dans cette manière de filmer un corps de femme. L’intérêt de Fulci n’est pas là, il joue sur cette impression pour mieux piéger le spectateur. Il met aussi en opposition ce corps jeune, plein de vie, désirable et beau avec celui du zombie en putréfaction, verdâtre, sans vie et repoussant. La plongée de la jeune femme tourne évidemment au cauchemar en rencontrant un zombie. A ce moment-là, la scène bascule de l’érotisme vers l’horreur. S’ensuit une séquence aquatique sidérante où le zombie finit par combattre un requin.

Dans la seconde, Fulci va reprendre le même « procédé » avec quelques nuances. Dans son bungalow, Paula (Olga Karlatos) prend une douche, cette fois-ci Fulci ne fractionne plus en gros plans le corps de la femme, ce n’est plus la peine puisque le spectateur, tout comme le personnage, sait que le danger peut surgir à tout moment. Fulci la filme en plan rapproché face et dédouble son image dans deux miroirs mais l’érotisme passe au second plan. Il coupe son plan pour un faux subjectif du zombie jusqu’à ce que sa main se place sur la vitre donnant sur la salle de bain et recouvre ainsi le corps de la femme, c’est la toute-puissance de la mort sur la vie. Si la première séquence se termine sur une (fausse) note d’espoir (la fuite de Susan), la deuxième séquence se termine par la victoire de la mort sur la vie.

A partir de là, L’Enfer des zombies égraine un véritable chapelet du désespoir qui trouve son aboutissement dans le superbe plan final des zombies sur le Brooklyn Bridge. Fulci innove dans un genre où la nuit règne en maître. Ses zombies circulent en plein jour. Dans cet univers paradisiaque de carte postale, de luxe, de calme, de volupté, de plein soleil et de ciel bleu, s’élève de profundis l’horreur la plus absolue. A cet égard, la séquence du cimetière des conquistadores est un sommet. Résurrection barbare des corps, ses mains aux doigts décharnés qui s’agrippe aux vivants, ses visages d’os et de terre, aux cavités oculaires nid de verres, s’extrayant de l’au-delà, image tétanisant de ce que nous refoulons. C’est l’un des plus beaux moments du film intrinsèquement blasphématoire. Le zombie chez Fulci n’a pas la même fonction que chez George A. Romero. Fulci n’est pas dans la critique politique de la société de consommation mais dans une mélancolie morbide marquée par une faute indélébile de l’humanité : l’esclavage. Ce  passé refoulé est symptomatique pour Fulci du fonctionnement de la société des gens qui la compose. Il ne trouve aucune circonstance atténuante à aucun personnage et de ce fait ne s’attache à personne. Un « tous coupables » fréquent dans le cinéma de Fulci.

Le monde vu par Fulci est à l’image de son bateau en ouverture, à la dérive, tout est mort, il n’y a plus rien. Alors, de la manière la plus abrupte possible, Fulci abandonne ses « survivants » en pleine mer livrés à un destin des plus funestes. L’Enfer des zombies, par la grâce de sa mise en scène, est un film du désenchantement, de la fin de l’amour et des utopies qui ont porté les années 60/70. Fulci enregistre ce qui reste d’hommes et de femmes déjà morts. Alors, grandit ce sentiment de chaos en marche que le célébrissime plan final renforce à jamais…

Fernand Garcia

L’Enfer des zombies est édité pour la première fois en Blu-ray dans l’hexagone par Artus Films. La restauration en 2 K est d’une très grande qualité, on retrouve toute la finesse et la beauté de la photographie de Sergio Salvati. L’Enfer des zombies est disponible en édition combo. Pour cette édition de prestige, Artus Films propose une section supplément des plus riches : Quand les morts sortiront de leurs tombes… une présentation et analyse du film par Lionel Grenier, le créateur du site de référence luciofulci.fr. Il revient en détail sur la création et les apports de Dardano Sachetti, des producteurs, et des multiples influences mélangeant les genres (bande dessinée, etc.) à la base du scénario et la mise en scène « westernienne » de Lucio Fulci (18 minutes). De Sang et d’encre, le légendaire scénariste du cinéma de genre italien et de L’Enfer des zombies (avec sa femme Elisa Briganti), évoque longuement la genèse et la production du film. Une époque héroïque dont il se souvient avec humour et ironie, une mine d’informations de premier ordre (42 minutes). L’île des morts vivants, les souvenirs de Maurizio Trani, enfant de la balle, touche à tout, grand maquilleur et partenaire de Giannetto De Rossi. Ils se rencontrent sur 1900 de Bertolucci et débutent une fructueuse collaboration. Des secrets de fabrication: 10 minutes pour faire un zombie, la pauvre Auretta Gay, qui ne savait pas nager lâchée en pleine mer, la crise de nerfs d’Olga Karlatos, des souvenirs de tournages particulièrement réjouissants (20 minutes). Quartier interdit : L’enfer des zombies par Alain Petit sur la diffusion du film dans le cadre de l’émission de Canal + en version française censurée, conforme à sa sortie dans les salles françaises et l’intégrale en VO au milieu de la nuit, l’évocation d’une époque de la télévision révolue  (11 minutes). Le tout complété par le film annonce original italien avec ses titres en anglais (1’23) et la française (2’37). Cette édition combo Blu-ray – DVD est intégrée dans un livre passionnant : Fulci, zombies et opportunisme : Quand les morts-vivants ont envahi le cinéma italien, ouvrage collection sous la direction de Lionel Grenier avec des contributions de David Didelot, Didier Lefèvre et Gilles Vonnier.  Une édition de grande classe pour tous les amoureux du cinéma d’exploitation et les autres.

L’Enfer des zombies (Zombi 2 / Gli Ultimi Zombi) un film de Lucio Fulci avec Tisa Farrow, Ian McCulloch, Richard Johnson, Al Cliver, Olga Karlatos, Auretta Gay, Stefania D’Amario, Lucio Fulci… Scénario : Elisa Briganti (et Dardano Sachetti). Directeur de la photographie : Sergio Salvati. Décors & costumes : Walter Patriarca.  Effets spéciaux et maquillage : Giannetto De Rossi & Maurizio Trani. Montage : Vincenzo Tomassi.  Musique : Fabio Frizzi & Giorgio Tucci. Producteur associé : Gianfranco Couyoumdjian. Producteurs : Fabrizio De Angelis & Ugo Tucci. Production : Variety Film Production. Italie. 1981. 91 minutes. Eastmancolor/Technicolor. Techniscope. Format image : 2.35 :1. 16/9e compatible 4/3. Vostf et Vf. Interdit aux moins de 16 ans.