Nous avions découvert Thomas et Thomas en 2014 avec Inupiluk. Nos deux sympathiques acteurs glandeurs accueillaient deux inuits pour quelques jours à Paris. Nous les avons retrouvés dans l’intermède Le Film que nous tournerons au Groenland (2015), véritable brainstorming sur le processus créatif. Le moment est donc venu pour Sébastien Betbeder d’envoyer nos deux Thomas au Groenland…
Nathan, le père de Thomas vit à Kullorsuaq, l’un des villages les plus reculés du Groenland. Des maisons de bois au bord de la banquise. Le lieu est magnifique, Thomas et Thomas débarquent en hélicoptère. Le dépaysement est total. Nathan leur explique le fonctionnement de cette petite communauté qu’ils vont découvrir pendant les quelques jours qu’ils vont y passer. Les inuits sont accueillants et vivent aux rythmes de la nature. Dans ce coin perdu, il est difficile pour nos deux compères de trouver un réseau pour leurs mobiles, et la connexion Internet est aléatoire. Thomas et Thomas s’initient à la chasse au phoque, participent à de petites fêtes, et l’un d’eux tombe même amoureux…
Le Voyage au Groenland distille un indéniable charme. Sébastien Betbeder réussit avec un réel bonheur un mélange de situations réelles et d’éléments de fiction. Très vite tout se brouille, et il ne reste que la réalité du film comme si nous oscillions entre Jean Rouch et John Carpenter. Dans cette blancheur à perte de vue, les Thomas se chamaillent et se réconcilient en s’appuyant sur leur indestructible amitié.
Leur rencontre s’est faite par heureux hasard, simplement dans un cours d’acteurs, où ils se sont opposés à leur professeur (une scène particulièrement réjouissante avec Judith Henry). Et puis, la vie en a fait des amis, de ceux qui sont toujours là, dans les bons comme dans les mauvais jours. Thomas et Thomas vivent chichement de leur métier. L’actualisation de leurs heures d’intermittents est un moment de bravoure du film. Le vieux son du modem nous rappelle de vieux souvenirs et curieusement nous renvoie à l’absurdité de notre vie, à son rythme effréné, aux moyens de survie que nous accorde la société occidentale. A la place que nous accordons à la culture, et surtout, qu’est-ce qu’aujourd’hui la culture dans nos sociétés dites évoluées. Le film joue sur une mise en parallèle de société Occidentale et de cette petite communauté inuite avec ses traditions et son mode de consommation. Avec son rythme, ses joutes oratoires, ses petits moments de la vie saisis au hasard de journée sans fin, Betbeder nous pose nombre de questions. Tout cela sans la moindre lourdeur, toujours dans la finesse et dans le comique de situation. Ce voyage n’est pas seulement une escapade au Groenland mais aussi un voyage intérieur pour les Thomas, la fin de l’innocence et l’entrée dans l’âge adulte, simplement comme des traces de pas dans la neige.
Fernand Garcia
Le Voyage au Groenland un film de Sébastien Betbeder avec Thomas Blanchard, Thomas Scimeca, François Chattot, Ole Eliassen, Adam Eskildsen, Judith Henry et les habitants de Kullorsuaq… Image : Sébastien Godefroy. Montage : Céline Canard. Musique : Minizza (Franck Marguin / Geoffroy Montel). Producteur : Frédéric Dubreuil. Production : Envie de Tempête Productions. Distribution (France) : UFO Distribution (Sortie le 30 novembre 2016). France. 98 mn. Format image : 1.85 :1. Couleur. DCP. Son : 5.1. Tous Publics. Sélection ACID, Cannes 2016.