A l’aube, un nuage noir survol le domaine du Dr Alan et Barbara Chaffee (Christopher Reeve et Karen Kahn). Un étrange bruit, comme un soupir, sort Alan du lit. Mais il ne constate rien de particulier à l’extérieur de la maison. A 6h15, le nuage passe au-dessus de Midwich, petite ville dans les terres, encore déserte à cette heure de la matinée… A 10 heures, alors que la ville se prépare pour une fête, les habitants s’effondrent dans un état second…
Le Village des damnés est un projet que chérissait John Carpenter depuis de nombreuses années. Impressionné et inspiré par le film de Wolf Rilla de 1960, l’auteur d’Halloween entreprend la réalisation d’un remake. Carpenter qui truffe ses films de clins d’œil cinéphilique dans Prince des ténèbres (Prince of Darkness, 1987) invente un personnage du nom de Wyndham. John Wyndham est un auteur britannique de SF, auteur des Coucous de Midwich (The Midwich Cuckoos), roman à la base du Village des damnés. La première version est tournée un an après la publication du roman. Le film produit par Ronald Kinnoch pour la MGM, réunit à l’écran George Sanders et Barbara Shelley. Le Village des damnés rencontre le succès et les années passant le métamorphosent en film culte. Une suite est aussitôt mise en chantier, Ces êtres venus d’ailleurs (Children of the Damned), réalisé par Anton Leader, un homme de télévision, avec Ian Hendry et Barbara Ferris. Le film passe inaperçu.
1994, Universal reprend les droits du roman et envisage Wes Graven pour la réalisation, avant de proposer cette nouvelle version à John Carpenter. 14 ans auparavant Universal avait produit The Thing (1982), remake de La Chose d’un autre monde (The Thing from Another World, 1951) de Christian Nyby et d’Howard Hawks (l’une des « idoles » de John Carpenter). The Thing de Carpenter est un chef-d’œuvre. Son adaptation reprend l’essentiel de l’intrigue pour un suspense époustouflant servi par des effets spéciaux sidérant et soutenu par une musique d’Ennio Morricone d’anthologie. Le film est un échec aux Etats-Unis. La faute en revient à Universal qui sort The Thing deux semaines avant E.T. de Steven Spielberg, autre production maison dont le succès phénoménal relègue le film de Carpenter dans les méandres du box-office. Le Village des damnés marque le retour de Carpenter dans le giron de la major. L’idée d’un remake du film de Wolf Rilla était en gestation depuis une bonne dizaine d’années et c’est le succès inattendu de L’invasion des profanateurs (Invasion of Body Snatchers, 1978) de Philip Kaufman remake de L’invasion des profanateurs de sépultures (Invasion of Body Snatchers, 1956) de Don Siegel, qui relance la machine. Les deux remakes se rapprochent en ce sens qu’ils proposent une relecture contemporaine des deux classiques de la SF, en s’interrogeant sur la notion du mal au sein de la société.
John Carpenter aborde frontalement certains thèmes comme la religion ou l’avortement, totalement inenvisageables dans la première version. Il reste toutefois dans la science-fiction, ses enfants « extraterrestres » sont nés lors d’un étrange phénomène. Carpenter déplace l’action d’Angleterre aux Etats-Unis et se retrouve dans les communes d’Inverness et Point Reyes où il avait tourné Fog en 1980. On retrouve un lien entre le survol du nuage noir de la contrée et ses inquiétantes nappes de brouillard annonciateur de l’horreur. Carpenter introduit beaucoup plus de violence graphique que Rolf Rilla en son temps. Le Village des damnés version Carpenter est un film de son époque. La photographie et le cadre en Scope sont comme d’habitude admirable. Une esthétique de grande classe signée par Gary B. Kibbe, qui après le « départ » de Dean Cundey (dont il avait été le caméraman), est devenu le chef op attitré de Carpenter, de Prince des Ténèbres à Ghosts of Mars, sept films au total.
On retrouve dans Le Village des damnés, le goût de Carpenter pour les acteurs en perte de vitesse, des « has-been » dans le système. En haut de l’affiche, Christopher Reeve, le meilleur Superman de l’histoire du cinéma. Si les films de Richard Donner et de Richard Lester, rendent Christopher Reeve immensément populaire, il ne retrouvera pas de succès équivalents. Ce qui ne m’empêche pas Christopher Reeve d’avoir une filmographie intéressante avec plusieurs réussites tout à fait estimables à son actif : Quelque part dans le temps (Somewhere in Time, 1980) de Jeannot Szwarc écrit par Richard Matheson, Piège mortel (Deathtrap, 1982) de Sidney Lumet, Monsignor (1982) de Frank Perry, La Rue (Street Smart, 1987) de Jerry Schatzberg et ses deux films avec James Ivory : Les Bostoniennes (The Bostonians, 1984) et Les Vestiges du jour (The Remains of the Day, 1993). Le Village des damnés est son dernier film avant son terrible accident d’équitation qui le rendra tétraplégique. Les autres acteurs sont beaucoup plus en périphérie après avoir connu une éphémère gloire.
Mark Hamill n’a jamais eu de rôle à la mesure de l’incroyable notoriété que lui a apportée le personnage de Luke Skywalker. Son partenaire Harrison Ford, s’en est beaucoup mieux sortis, enchainant les grands succès jusqu’à devenir l’une des stars les plus populaires des années 80/90. Mark Hamill est en quelque sorte son négatif, il joue dans des centaines de séries TV et dans des films sans grande envergure d’où ne se détache réellement qu’un seul titre Au-delà de la gloire (The Big Red One, 1980) de Samuel Fuller.
Linda Kozlowski a atteint une certaine notoriété en body dans le bush australien dans Crocodile Dundee (1986). Malgré le succès du film, sa carrière ne décolle pas. Elle tourne dans les deux autres suites du film et épouse Paul Hogan l’acteur principal en 1990 et en divorce en 2014. Rien de notable dans sa carrière, tout comme dans celle de Kristie Alley. Elle connaît la notoriété avec Allô maman, ici bébé ! (Look Who’s Talking, 1989) avec John Travolta et ses suites, et puis plus grand-chose à part à un rôle secondaire dans Harry dans tous ses états (Deconstructing Harry, 1997) de Woody Allen. Elle est une vedette de la télévision US avec ses participations à des jeux et des sitcoms. Michael Paré ne dépassera jamais le stade de jeune premier prometteur, révélé dans Les Rues de feu (Streets of Fire, 1984) de Walter Hill et The Philadelphia Experiment (1984) de Stewart Raffin produit par Joel B. Douglas (l’un des fils de Kirk Douglas) et John Carpenter. Sa carrière reste au point mort accumulant les direct-to-video dans l’action et la science-fiction.
Derrière la patine fantastique, se révèle une dimension de critique politique. Ses enfants parfaits, hyper blanc, aryen, naissent dans une petite ville paisible, sans problème. Une sorte d’idéal de société américaine. Dans ce monde parfait, de couples blancs, une seule femme sans mari, tombe enceinte avec les autres le fameux jour. Il donne naissance à un bébé, sans jamais avoir eu de relation sexuelle. Son bébé est le seul mort-né de la communauté. Elle est une anomalie dans sa propre communauté, mais elle déséquilibre aussi la communauté des enfants. Le film se déroule sur une longue période. Les enfants deviennent de plus en plus intelligents tout en maîtrisant des pouvoirs extra-sensoriels. Ils prennent petit à petit le pas sur les familles d’accueil. Dans une certaine mesure, un autre film, dans un genre différent, Le Ruban blanc de Michael Haneke raconte dans le contexte de l’avant-première guerre mondiale, une histoire finalement assez similaire. La montée du totalitarisme par une nouvelle génération, engendré dans une petite communauté.
Des êtres nouveaux faisant corps, sans le moindre sentiment et prêt à l’édification d’une société qui porte déjà en elle les germes de l’holocauste. Toutefois, John Carpenter avec ses « enfants » du Village des damnés, ouvre une brèche dans l’horreur absolue, le petit David est un marginal, orphelin de sa moitié, exclu du groupe, il ressent petit à petit des sentiments. Ainsi, dans l’horreur future en gestation dans Midwich, il est une lueur d’espoir, la preuve que l’empathie et la compassion peuvent encore exister au sein d’un être. Pour John Carpenter, cette fissure est primordiale, elle représente l’opposition à un monde totalitaire, extrême qui ne fonctionne que par l’exclusion, l’intolérance, la condamnation et la destruction. Le Village des damnés est un microcosme d’une Amérique au bord du précipice. A partir d’une commande, John Carpenter livre une œuvre personnelle et visionnaire.
Fernand Garcia
Le Village des damnés, une édition Eléphant Films dans un magnifique Steelbook (combo). Le film est proposé en Blu-ray ou DVD dans un master HD de toute beauté. En complément : Une présentation du film par Stéphane du Mesnildot (25 minutes). La bande-annonce d’époque (2 minutes env.) ainsi que celles des autres films de la collection : Massacres dans le train fantôme, Enfer mécanique, L’esprit de Cain et La Sentinelle des maudits. Eléphant Films ajoute, à cette très belle édition, Le Village des damnés, un livret collector par Alain Petit (24 pages).
Le Village des damnés (Village of the Damned) un film de John Carpenter avec Christopher Reeve, Kristie Alley, Linda Kozlowski, Michael Paré, Mark Hamill, Meredith Salenger, Peter Jason, Constance Forslund, Pippa Pearthree, Karen Kahn, Thomas Dekker, Lindsey Haun… Scénario : David Himmelstein d’après le scénario de Stirling Silliphant, Wolf Rilla & Ronald Kinnoch et le roman Les Coucous de Midwich (The Midwich Cuckoos) de John Wyndham. Directeur de la photographie : Gary B. Kibbe. Décors : Rodger Maus. Costumes : Robin Michel Bush. Effets Spéciaux : ILM Industrial Light and Magic. Montage : Edward A. Warschilka. Musique : John Carpenter et Dave Davies. Producteurs : Michaele Preger & Sandy King. Production : Alphaville Films – Universal Pictures. Etats-Unis. 1995. 98 minutes. Couleur. Panavision (anamorphique). Format image : 2.35 :1 Audio : DTS-HD Français 2.0. Anglais 5.1 et 2.0. Version originale avec ou sans sous-titres français et anglais. Interdit aux moins de 12 ans.