Le souffle de la violence est une magnifique tragédie servie par un magnifique quatuor d’acteurs : Glenn Ford, Barbara Stanwyck, Edward G. Robinson et Brian Keith, totalement investi dans des rôles complexes et qui se répondent en miroir.
John Parrish (Glenn Ford) est un ancien soldat, qui grièvement blessé au poumon est venu dans ces contrées pour mourir, mais le pays l’a fait revivre. Fiancé, il pense partir à l’Est pour une nouvelle vie. Parrish va vendre ses terres à Lew Wilkison (Edward G. Robinson) mais la somme qu’il lui propose est loin d’être à la hauteur de ses attentes…
Le souffle de la violence débute par une séquence surprenante. En ville, le héros John Parrish (Glenn Ford) assiste à l’assassinat du shérif d’une balle dans le dos. Parrish n’a aucune réaction. Il laisse faire les hommes de main de gros propriétaire du coin Lew Wilkison. Etonnante entrée en scène du héros. Mais un héros reste un héros et, petit à petit, nous comprenons le pourquoi d’une telle indifférence. Bien vite, l’injustice va réactiver le goût du sang en lui. Ex-soldat, il a vécu l’horreur des combats et de ses massacres. Une scène remarquable tant au niveau du jeu que la mise en scène nous montre ce basculement d’homme vers un chemin sans retour. Le décor, le saloon, à l’intérieur le tueur de Wilkison (Richard Jaeckel, toujours formidable), qui a tué l’un des employés de Parrish. La scène débute d’une manière « douce » et puis en une fraction de seconde, c’est toute l’horreur des champs de bataille que nous entrevoyons dans les yeux de John. La violence surgit dans toute sa brutalité.
Glenn Ford est encore une fois remarquable, son jeu exprime avec une grande justesse tous les tourments intérieurs d’un homme qui lutte aussi contre sa nature profonde. L’habileté d’excellent scénario (de Harry Kleiner) est, entre autres, de mettre tous les personnages en miroir les uns des autres. Ainsi Parrish et Wilkison partagent-ils bien des points communs. Tous deux sont des hommes blessés. Parrish arrive dans ses pâturages « pour mourir » suite à une blessure de guerre, mais l’air de la montagne le ragaillardit. Il développe son exploitation et se trouve une fiancée des plus ambitieuses. Wilkison a mené une autre guerre pour agrandir sa propriété – spolier les Indiens de leurs terres; lui-même reste infirme (et impuissant). Ses terres sont son « cadeau » à son ambitieuse femme Martha (Barbara Stanwyk). Edward G. Robinson excelle dans ce type de personnages: extérieurement fort et intérieurement faible, fort face aux autres et faible face à sa femme, incapable à voir clair dans son jeu. Barbara Stanwyk n’est pas en reste. Elle incarne à perfection une ambitieuse des plus perfides. Rien ne l’arrête: elle fait venir son amant, son beau-frère, sous son toit. Il faut voir avec quelle perversion elle manipule son mari et son amant. Il faut la voir caresser la joue de son mari, avec son air bravache et supérieur à l’attention de sa fille (Dianne Foster). Du grand art. Brian Keith est l’amant, un caractère intéressant, il est avec Martha tant qu’elle peut lui garantir argent et pouvoir. Dès qu’il sent le vent tourner, il retourne auprès de sa maitresse, une Mexicaine (Lita Milan) au tempérament et à la morale totalement à l’opposé de Martha. Ajoutons que tous les seconds rôles sont parfaitement distribués.
Le Souffle de la violence est la réalisation la plus inspirée de Rudolph Maté. Il organise la cour du domaine de Wilkison avec ces entrées et sorties de champs comme une scène de théâtre à ciel ouvert. Il utilise formidablement le CinémaScope, il faut dire qu’avant d’être réalisateur à Hollywood, Rudolphe Maté était considéré comme l’un des plus prestigieux directeurs de la photographie de l’histoire du cinéma. Ses fabuleux gros plans de Falconetti dans La Passion de Jeanne d’Arc (1928) de Carl Th. Dreyer impressionna spectateurs et professionnels. D’origine Polonaise, Maté avait débuté en Hongrie en exerçant pour le producteur et réalisateur Alexander Korda. Mais c’est en France qu’il accède à une renommée internationale avec sa photographie pour le magnifique Vampyr (1932) toujours dirigé par Dreyer, mais aussi pour Prix de Beauté (1930) avec Louise Brooks, Liliom (1933) de Fritz Lang. Alors que les bruits de bottes se font de plus en plus présents en Europe, il s’installe en 1934 aux Etats-Unis où il retrouve Alexander Korda. Il confirme tout l’étendue de son talent avec Le Vandale (Come and Get It, 1936) de William Wyler et Howard Hawks, Elle et Lui (Love Affair, 1939) de Leo McCarey, Correspondant 17 (Foreign Correspondent, 1940) d’Alfred Hitchcock, To Be or Not to Be (1942) d’Ernst Lubitsch et surtout l’extraordinaire photographie de Gilda (1946) avec son admirable mise en valeur de Rita Hayworth. C’est sur ce tournage qu’il travaille pour la première fois avec Glenn Ford. Sa magistrale photographie pour La Dame de Shanghai (The Lady from Shanghai, 1947) d’Orson Welles avec encore une fois Rita Hayworth est le dernier film qu’il signe comme directeur de la photographie. La même année, il coréalise pour la première fois un film, L’homme de mes rêves (It Had to Be You) avec Ginger Rogers en vedette. A partir de 1948, Maté est un réalisateur à part entière. Rudolph Maté est principalement apprécié pour ses polars: Mort à l’arrivée (D.O.A., 1950) ou Midi, gare centrale (Union Station, 1950). Il signe plusieurs westerns mais Le souffle de la violence est sans l’ombre d’un doute son meilleur film.
Le Souffle de la violence est une tragédie à laquelle on prend un immense plaisir.
Fernand Garcia
Le Souffle de la violence est pour la première fois disponible dans une magnifique édition en Blu-ray (et en DVD) dans l’incontournable collection Western de légende de Sidonis/Calysta. Superbe image et colorimétrie impeccable donnent toute son ampleur au Cinémascope et au Technicolor d’origine. Comme pour tous les autres titres de la collection, dans les compléments, nous retrouvons des présentations tout à fait éclairantes sur le film. La première est d’un des grands spécialistes du polar François Guérif. Il revient, entre autres, sur le scénario et évoque la possibilité que le grand Dalton Trumbo ait à la demande du producteur participé à celui-ci (10 minutes). Le deuxième par Monsieur Cinéma de Minuit, Patrick Brion et grand spécialiste du western. 1955 est une très grande année pour le genre avec le doublé de Robert Aldrich : Branco Apache, Vera Cruz, mais aussi Rivière sans retour, Le Jardin du diable, Johnny Guitar, parmi tant d’autres. Pour Brion, Le Souffle de la violence est une redécouverte, un western d’action mais aussi psychologique qui porte déjà en lui toutes les qualités de ce qui va être le western moderne des années 60. Enfin, troisième et dernière présentation celle de Bertrand Tavernier. Le cinéaste de L’Horloger de Saint-Paul, réévalue lui aussi le film qu’il avait découvert lors de sa sortie en salles. Il lui trouve de réelles qualités de mise en scène et de grandes qualités visuelles (30 minutes). Eloges unanimes et pleinement justifiées. Ajoutons, que nos trois s’accordent aussi sur l’excellence de l’interprétation. Enfin une galerie photos, exclusivement composée d’affiches du film, Américaines, Françaises, Allemande et italiennes.
Le Souffle de la violence (The Violent Men) un film de Rudolph Maté avec Glenn Ford, Barbara Stanwyck, Edward G. Robinson, Dianne Foster, Brian Keith, Richard Jaeckel, James Westerfield, May Wynn, Lita Milan, Warner Anderson, Basil Ruysdael… Scénario : Harry Kleiner d’après le roman de Donald Hamilton. Directeurs de la photographie : Howard Greene & Burnett Guffey. Consultant Technicolor : Francis Cugat. Décors : Carl Anderson. Costumes : Jean Louis. Montage : Jerome Thoms. Musique : Max Steiner. Producteur : Lewis J. Rachmil. Production : Columbia Pictures Corporation. Etats-Unis. 1955. 96 mn. Technicolor. CinémaScope. Format 2.55 :1. Master HD Son : DTS Stéréo – VOSTF et VF. Tous Publics.