Italie du nord. Des prélats se réunissent dans un monastère. Dans la chapelle, un ecclésiastique (José Ferrer) psalmodie : « Par le sort, te revient le devoir de veiller rigoureusement à ce qu’aucun mal ne puisse approcher ou pénétrer dans cet heureux endroit ». L’heure est grave, il y a danger. Au cœur de Central Park à New York, Alison Parker (Cristina Raines), mannequin en vogue, tourne une publicité. Tout lui sourit, elle est fiancée à Michael Lerman (Chris Sarandon), un ambitieux avocat. Avant de s’engager plus dans cette relation, Alison décide de prendre un peu de recul et d’emménager seule quelque temps. En Italie, pour l’enterrement de son père (Fred Stuthman), de terribles images d’un traumatisme d’enfance resurgissent. De retour à New York, une agente immobilière, Mlle Logan, (Ava Gardner) lui trouve un superbe appartement dans une ancienne bâtisse au cœur de Brooklyn. Elle découvre bien vite que ses voisins sont bien envahissants et qu’un étrange prêtre aveugle, le père Halloran (John Carradine) au dernier étage, passe ses journées posté à la fenêtre…
La Sentinelle des maudits est une œuvre étrange et malsaine. Le film tire sa force de la réalisation de Michael Winner, de la manière dont il va introduire dans un genre codifié – le fantastique horrifique – une incroyable dose de réalisme et d’images transgressives pour le moins inattendues. Michael Winner n’est pas un habitué du cinéma fantastique. En 1976, il est surtout connu pour le controversé Un Justicier dans la ville (Death Wise, 1974) avec Charles Bronson. Film populiste qui joue à fond sur les peurs des classes populaires citadines blanches, confrontées à une forte augmentation de la délinquance, sur la perte de repères, des valeurs traditionnelles américaines. Winner emprunte autant au film noir qu’au western pour décrire l’itinéraire violent de Paul Kersey, c’est d’une grande efficacité. Pour La Sentinelle des maudits, Winner reprend sa manière réaliste de filmer et tourne entièrement en décors naturels. Il délaisse les nuits sombres du Justicier pour la clarté, pour mettre en évidence les zones d’ombre d’Alison, le rendu est proche des photos de mode. Winner met en scène ses personnages dans l’esthétique des drames mondains. Le spectateur visuellement déstabilisé n’est pas au bout de ces surprises.
Winner introduit le traumatisme de son héroïne par un flash-back remarquable bien mis en scène, il relie par un zoom Alison à la jeune fille qu’elle fût. Entrée par inadvertance dans la chambre de son père, elle le découvre en pleine partouze, la violence du choc est terrible. Tout bascule pour cette bonne petite catholique, devant une telle abomination, une seule issue de sortie: s’ouvrir les veines. Winner enchaîne l’action avec une telle rapidité que le spectateur se retrouve, comme l’héroïne, en situation de panique. Plutôt que basculer dans la violence irrationnelle gore, Winner surprend encore une fois avec l’introduction des deux voisines lesbiennes. Dans une incroyable séquence, Alison se retrouve seule face à la plus jeune des lesbiennes Sandra (Beverly d’Angelo) qui, sans un mot, se masturbe devant elle jusqu’à la jouissance. Le malaise est palpable. « On se touche. On se caresse » dit Gerte (Sarah Miles) à Alison dont le crucifix pendentif indique bien ses limites morales. A première vue, La Sentinelle des maudits s’avance comme un ersatz trash de Rosemary’s Baby, avec ses voisins diaboliques et le diable qui mènent la danse, mais du chef-d’œuvre de Roman Polanski, ne subsistera que la machination.
L’une des composantes les plus étranges du film est son casting, ce choix de vedettes d’un cinéma classique de studio pour de petits rôles et de jeunes acteurs en devenir, s’apparente plus à celui du film catastrophe qu’au film fantastique. Cette présence d’acteurs connus ajoute au côté dérangeant et transgressif du film.
Le final est ahurissant. Là où d’autres aurait joué sur une profusion d’effets spéciaux, Winner sorte des portes de l’enfer des hommes et des femmes difformes, des éclopés de la vie, la misère du monde n’attend qu’une faille pour faire irruption dans les beaux quartiers et corrompre l’ordre établi. Le prêtre est le gardien (la sentinelle) de cet ordre, de la protection des richesses accumulées et de la mise à l’index de toutes les différences. Winner inverse la donne: ce n’est plus le diable qui mène la danse, mais Dieu et l’église au profit des classes dominantes. La machination est l’œuvre des hauts pontifes, le monde est dominé et régulé par la religion au nom de la paix, le problème n’est pas le mal, mais le bien, c’est particulièrement gonflé.
La Sentinelle des maudits est non seulement l’une des meilleures réussites de Michael Winner mais surtout l’un des grands films fantastiques américains des années 70. Le film n’a rien perdu de sa puissance et comme le signale avec emphase la bande annonce : « La Sentinelle des maudits est une expérience cinématographique la plus effrayante de votre vie » et la plus perturbante.
Fernand Garcia
La Sentinelle des maudits est édité par Éléphant Films dans un magnifique Master numérique Haute Définition. En complément de programme : Le Locataire présentation du film par Julien Comelli. C’est Roman Polanski qui lance le genre de film d’horreur urbain avec Rosemary’s Baby. Chaque studio va produire son film pour Universal. La Sentinelle des maudits est une adaptation d’un gros succès en librairie. Tour d’horizon complet du film, des premiers réalisateurs envisagés : Don Siegel et Fred Zinnermann, au refus de John Williams, « film trop horrible », à sa sortie sur les écrans et au retournage de nombreuses scènes pour son exploitation télé (Réalisation : Erwan Le Gac, 18 minutes).
10 Montague Terrace, Paradise on Earth de Julien Comelli et Erwan Le Gac. Retour sur l’immeuble où se déroule l’action du film de Michael Winner (6 minutes). Le Générique français pour les nostalgiques des rayures. La bande-annonce française et les bandes-annonces de la collection. Éléphant Films nous propose dans cette section de découvrir le générique, début et fin, français de La Sentinelle des maudits (3 minutes). La bande-annonce originale (2 minutes) ainsi que des autres films de la collection : Massacre dans le train fantôme, La Féline, Les 13 cauchemars de la Hammer, L’Île sanglante, La Nurse et enfin les adresses Internet de l’éditeur (elephantfilms.com et elephantclassicsfilms.com). Une très belle édition combo (DVD + Blu-ray) pour tous les amateurs du genre et les autres…
La Sentinelle des maudits (The Sentinel) un film de Michael Winner avec Cristina Raines, Chris Sarandon, Martin Balsam, Ava Gardner, John Carradine, José Ferrer, Arthur Kennedy, Burgess Meredith, Sylvia Miles, Deborah Raffin, Eli Wallach, Christopher Walken, Beverly d’Angelo, William Hickey, Jerry Orbach, Jeff Goldblum, Tom Berenger… Scénario : Michael Winner d’après le roman de Jeffrey Konvitz. Directeur de la photographie : Dick Kratina. Décors : Philip Rosenberg. Costumes : Peggy Farrell. Effets visuels spéciaux : Albert Whitlock. F/X de maquillage : Dick Smith et Bob Laden. Montage : Bernard Gribble et Terence Rawlings. Musique : Gil Mellé. Producteurs : Michael Winner et Jeffrey Konvitz. Production : Universal Pictures – Jeffrey Konvitz Productions Inc. Etats-Unis. 1976. 92 minutes. Technicolor. Panavision sphérique. Format image : 1.85 :1. Son : VF et VOSTF Mono 2.0. DTS H.D. Interdit aux moins de 16 ans.
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