La guerre de sécession est finie. Le Capitaine Montgomery Brown surnommé Ringo (Giuliano Gemma) rentre au pays. Oppression, haine et vengeance dominent là où le pouvoir est défaillant. Les zones frontalières sont les plus soumises à la violence et à l’arbitraire. Dans une auberge, Ringo apprend qu’il est porté disparu et que sa femme Hally (Lorella De Luca) est entre les mains des frères Fuentes, d’horribles bandits mexicains…
Le retour de Ringo est une transposition du retour d’Ulysse à Ithaque dans le cadre du western. La greffe est parfaite. Le film est une fausse suite d’Un pistolet pour Ringo au ton beaucoup plus comique. Il subsiste toutefois quelques touches d’humour voire d’éléments burlesques par le truchement du personnage de Myosotis, fleuriste farfelu, mais le ton général est grave. Dans ce drame, personne n’est innocent, c’est la loi du plus fort, les plus violents dominent par la terreur. Au bourbier de la guerre, suggérée par les dialogues, la beauté idyllique de la maison familiale de Ringo s’est évaporée depuis longtemps. Derrière les jardins idéalement aménagés et le lustre de la bâtisse se cache la violence de la spoliation de Ringo. De sa famille, il ne reste que des noms sur des pierres tombales. Sa femme s’est soumise à Paco (George Martin), élégant Mexicain aux pulsions sadiques. Avec son frère Esteban (Fernando Sancho), il a mis la main sur les terres.
Il eut été simple pour Duccio Tessari de faire de Ringo une machine de guerre et d’aligner les cadavres. Rien de cela. Ringo est un personnage complexe et contradictoire. Il fuit la violence, traumatisé par ce qu’il a vécu durant la guerre même si, dès l’introduction, il tue deux hommes (certainement une exigence de la production) en légitime défense. Ringo entre incognito dans la ville, habillé en pauvre Mexicain, et au fur et à mesure qu’il découvre l’étendue du pouvoir des Fuentes, il se dévoile en un homme assailli par le doute et le refus de son destin. Vivre ainsi est impossible pour un héros. Ringo se cache de sa femme, jusqu’à une très belle scène où ils se rencontrent enfin. La scène construite en une série de gros plans en champ contre/champ est d’une grande force portée jusqu’à l’abstraction par un Ennio Morricone particulièrement inspiré.
Plutôt que de se battre, il propose à sa femme de fuir. Anéantissant du coup tout les rêves de revanche accumulés par Hally. Recommencer ailleurs est impossible pour Hally qui lui jette au visage qu’elle (et les villageois) ont le droit de vivre à nouveau et de rester sur cette terre. Ringo ne peut échapper à un destin violent d’où son obsession à refuser tout au long du film que Rosita (Nieves Navarro) lui prédise l’avenir. Ringo vit dans un monde qui ne s’est pas transformé, mais qui a entériné un mode de violence où l’ordre social reste aux mains des dominants. Ringo est un héros, il doit se comporter comme tel. Cette proéminence du destin se retrouve dans le dialogue : « Mon avenir a changé? » demande Ringo à Rosita, « Non. C’est toi qui à changé. ». Ringo n’a plus qu’à accepter l’inéluctable, à dominer sa peur, abandonner ses haillons de péon pour l’uniforme, reprendre les armes et remettre ainsi le monde en ordre.
Il peut enfin effectuer son (vrai) retour d’une manière pour le moins baroque et grandiose. Alors que Paco Fuentes force le prêtre à le marier au milieu des cercueils, surgit Ringo à contre-jour à l’entrée de l’église dans un nuage de poussière. Il hurle qu’il est de retour, le carnage rédempteur peut commencer.
La mise en scène de Duccio Tessari, d’une grande richesse, est extrêmement soignée. Les séquences parfaitement découpées. Il suffit pour s’en persuader de voir la chorégraphie qu’il met en place lors de la chanson de Rosita, long plan en travelling (2 minutes) qui l’accompagne dans le patio, puis l’abandonne pour entrer dans le salon, où tous les notables se placent à table, tandis que Rosita continue à chanter à l’extérieur, le plan s’achève sur Ringo et Myosotis qui apporte les fleurs à Hally. Fin du plan, mais pas de la séquence, elle se poursuit sur un rythme de fête, mais la légèreté n’est qu’apparente, l’ambiance est lourde. Tessari pousse les scènes, dès qu’il le peut, vers la tragédie accentuant l’aspect dramatique des situations. Avec l’aide de son chef opérateur, Francisco Marin, très inspiré, ils placent au premier plan fleurs, verres, jouant à fond sur la concordance et la symbolique des couleurs. Esthétiquement, Le Retour de Ringo est une réussite.
Le Retour de Ringo marque la troisième collaboration entre Guiliano Gemma et Duccio Tessari après Les Titans (1962) et Un pistolet pour Ringo (1965), huit films au total les réuniront. Des films très agréables et de qualité.
Giuliano Gemma est une icône du western italien et du cinéma populaire. L’énorme succès des Ringo entraîne toute une série de sous-produits opportunistes mettant en scène le personnage, mais le seul et unique Ringo reste pour l’éternité Gemma.
Acteur charismatique, Gemma avait débuté comme cascadeur avant de tenir de petits rôles dans des superproductions. Il devient une star avec Les Titans de Duccio Tessari. Il ne quittera plus le haut de l’affiche. Sa dernière apparition au cinéma remonte à 2012 dans le très bon et sous-estimé To Rome with Love de Woody Allen. Gemma est mort le 1er octobre 2013 à 75 ans.
Les deux personnages féminins sont très bien définis et caractérisés. Lorella De Luca est excellente en femme de Ringo frustrée par l’attente de la vengeance, mais c’est Nieves Navarro (Rosita) qui emporte le morceau. Cette magnifique brune, née à Almería, était prédestinée au western et au cinéma Bis. Côté crapule, Fernando Sancho et George Martin font plus que tenir la corde, ils apportent aux frères Fuentes une forme de sophistication qui les rend encore plus monstrueux. Il faut reconnaître que la distribution du film est vraiment très bonne. Autre acteur primordial du Retour de Ringo, la partition d’Ennio Morricone, absolument splendide, transcende l’image par son lyrisme tragique.
Le retour de Ringo n’a pas usurpé sa réputation de classique du western européen, un bijou du genre.
Fernand Garcia
Le retour de Ringo une magnifique édition Mediabook (Livret, Blu-ray & DVD) d’Artus Films. La version proposée, magnifique, est issue d’un nouveau master 2K. Pièce centrale des suppléments le livre Les grandes tragédies dans le western européen ouvrage instructif sous la direction de Lionel Grenier avec la participation de Guillaume Flouret, Vincent Jourdan & Jérôme Pottier. Sur la « galette », une présentation du film par Curd Ridel (13 minutes). L’odyssée de Ringo, entretien avec Sergio D’Offizi (opérateur sur le film) et Lorella De Luca (femme de Duccio Tessari et actrice). Un document émouvant, Lorella De Luca est décédée en 2014. Elle évoque son mari et ses rapports avec les autres acteurs. Quant à D’Offizi, il reste dans un périmètre plus technique. Des souvenirs éclairants sur une période fastueuse du cinéma populaire (24 minutes). Enfin, un diaporama d’affiches, de photos et le film annonce original complètent cette excellente section.
Le retour de Ringo (Il Ritorno Di Ringo) de Duccio Tessari avec Giuliano Gemma (Montgomery Wood), Fernando Sancho, Lorella De Luca (Hally Hammond), George Martin, Nieves Navarro, Antonio Casas, Pajarito, Monica Sugranes… Scénario : Duccio Tessari & Fernando Di Leo. Directeur de la photographie : Francisco Marin. Musique : Ennio Morricone. Producteurs : Alberto Pugliese & Luciano Ercoli. Production : P.C.M. Produzioni Cinematografiche Mediterranee – Rizzoli Film (Rome) – Producciones Cinematograficas Balcazar (Barcelone). Italie – Espagne. 1965. 96 minutes. Eastmancolor. Format image : 2.35 :1. Respecté – 16/9e compatible 4/3. Master HD 1920/1080p. Son : VO italienne STF et VF. Tous Publics.