Les deux stars du film d’horreur, Boris Karloff (le monstre de Frankenstein) et Bela Lugosi (Dracula), d’Universal, se retrouvent pour cette fois-ci un film de science-fiction. Le Rayon invisible raconte comment un savant, Janos Rukh (Karloff), en marge de la société scientifique, découvre la présence d’un gisement énergétique, le Radium X, en Afrique en retournant aux origines de la Terre par l’observation de la constellation Andromède. Janos accepte la proposition du Dr Benet (Lugosi) de partir avec lui en expédition en Afrique. Sur place, il découvre le fameux gisement, mais il est gravement contaminé par le Radium X. Cette force énergétique a tout autant de force curative que destructrice, tout dépend de l’usage que l’on en fait.
Le Radium X est une sorte de force radioactive, en ce sens, nous sommes dans le prolongement des découvertes de Pierre et Marie Curie, Le Rayon invisible date de 1935, rien d’étonnant à ce que le scénario s’inspire de leurs recherches, mais aussi des dernières théories sur l’espace-temps, le tout pour une fantaisie fort sympathique.
Les effets spéciaux, de toute beauté (alliage de candeur et de poésie), sont de John P. Fulton. Il réussit à rendre le prof. Janos fluorescent, on imagine la difficulté pour l’époque, le résultat est splendide. John P. Fulton avait déjà tenu un gageur avec ses magnifiques effets photographiques pour L’homme invisible (1932) chef-d’œuvre de James Whale. Longtemps responsable du département des effets spéciaux d’Universal puis celui de Paramount. Il reçoit un premier oscar en 1946 pour Le Joyeux phénomène (Wonder Man) de H. Bruce Humberstone comédie fantastique avec Danny Kaye, un deuxième pour Les ponts de Toko-Ri (The Bridges at Toko-Ri, 1954) de Mark Robson et enfin, un troisième pour Les Dix Commandements (The Ten Commandments) de Cecil B. DeMille en 1957. Il est l’interlocuteur attitré d’Alfred Hitchcock pour les effets optiques de Fenêtres sur cour (Rear Window, 1954), La main au collet (To Catch a Thief, 1955), Mais qui a tué Harry ? (The Trouble with Harry, 1955), L’homme qui en savait trop (The Man Who Knew Too Much, 1956) et Sueurs froides (Vertigo, 1958). Il décède d’une infection rare en Angleterre alors qu’il travaille sur La Bataille d’Angleterre (Battle of Britain), en 1966. Une carrière professionnelle exceptionnelle avec la supervision plus de 300 films !
Pour des raisons économiques (parfaitement légitimes) Universal recycle quelques décors d’autres productions dans Le Rayon invisible, la cathédrale Notre-Dame-de-Paris du Bossu de Notre-Dame (The Hunchback of Notre Dame, 1923) des éléments du laboratoire de Frankenstein, mais utilisera aussi pour d’autres films des éléments du Rayon invisible comme le laboratoire du Prof. Janos Rukh dans les sérials Flash Gordon (1936) ou la fosse du Radium X dans The Phantom Creeps (1939).
Lambert Hillyer n’est pas dans son genre de prédilection : le western. Il est l’un des artisans, faisant souvent preuve de talent, de films qu’il tourne sans relâche, mois après mois. Il est l’un des plus prolixes réalisateurs des studios, les bonnes années, il dirige jusqu’à 8 films ! Pour Le Rayon invisible, il remplace Stuart Walker initialement prévu par la production. Au vu du résultat, on regrette qu’il n’ait pas poursuivi dans le genre, mais l’horreur tel que produite par Universal, touche à sa fin. Hillyer donne une touche gothique au film, en particulier dans le début (le château dans les Carpates !), d’excellentes factures. Son travelling latéral d’accompagnement de Frances Drake (qui incarne la femme de Janos) est d’une harmonie parfaite, décors, lumière, vitesse de déplacement et érotisation élégante de l’actrice. Nue sous sa robe de satin blanche (ses seins se balançant au rythme de son déplacement), est l’un des plus beaux et poétiques moments du film (hors effets spéciaux).
Le duo Karloff – Lugosi est le ticket gagnant d’Universal pour les films d’horreur. Karloff qui est plutôt habitué au monstre victime et Lugosi aux êtres démoniaques sont dans Le Rayon invisible dans des rôles inversés. Le professeur Janos Rukh (Karloff, cheveu bouclé) révèle au fur et à mesure du déroulement de l’histoire, une nature sombre et violente. Le Dr. Benet (Lugosi) présenté au début comme obtus et interagissant s’avère un humaniste œuvrant pour le bien de l’humanité. Si le passage de Janos du côté obscur est moyennement justifié, la dépossession de sa découverte n’est finalement pas sans lui rendre hommage (il décroche le Prix Nobel) et l’histoire de jalousie tient à peine la route puisque sa femme finit par folâtrer avec un bel âtre (assez fadasse) qu’après la mort (supposé) de Janos. On se demande pourquoi Janos se venge, à moins, que le Radium X ne broute son cerveau (ce qui est une possibilité), le précipitant dans des hallucinations démentes (ce que nous montre le film).
Le film plaît énormément aux dirigeants d’Universal qui envisage avant même la sortie en salles, une suite. Les résultats bons mais en deçà des attentes retarderont cette suite qui électrisera les écrans quelques années plus tard sous le titre de L’échappée de la chaise électrique (Man-Made Monster).
Fernand Garcia
Le Rayon invisible, une édition Éléphant Classics Films, très beau noir et blanc (disponible en combo DVD-Blu-ray, version restaurée HD avec jaquette réversible) dans la collection Cinéma Master Class. En complément un historique de la production et de la réception du film par Eddie Moine, instructif et joliment illustré (9 minutes). L’éditeur ajoute à cette édition un agréable petit livret rédigé par Alain Petit (16 pages).
Le Rayon invisible (The Invisible Ray) un film de Lambert Hillyer avec Boris Karloff, Bela Lugosi, Frances Drake, Frank Lawton, Violet Kemble Cooper, Walter Kingsford, Beulah Bondi, Frank Reicher, Paul Weigel, Georges Renavent… Scénario : John Colton. Histoire de Howard Higgin et Douglas Hodges. Directeur de la photographie : George Robinson. Effets spéciaux optiques : John P. Fulton. Montage : Bernard Burton. Musique : Franz Waxman. Producteur : Edmund Grainger. Production : Universal. 1936. 80 minutes. Noir et blanc. Format image : 1,37 :1. Son : Version originale avec ou non sous-titres français (en blanc ou en jaune) et anglais. DTS-HD Dual Mono 2.0 (Blu-ray) ou Dobly Digital Dual mono 2.0 (DVD). Tous Publics.