Au petit matin, sous le chapiteau de son cirque, Matt (John Wayne) observe le balancement du trapèze et se remémore son amour parti, Lily (Rita Hayworth), quatorze ans auparavant. Elle lui a laissé une fille, Toni (Claudia Cardinale). Matt est tiré de sa rêverie par Cap (Lloyd Nolan). Il en profite pour lui faire part de son idée : une grande tournée en Europe, Berlin, Madrid, Paris, Vienne, Budapest. Une mauvaise idée pour Cap « L’Europe est un piège pour les cirques américains. Il n’y a eu que des échecs ! ». Le soir, le Matt Masters Circus affiche complet pour sa dernière représentation de la saison. Dès le lendemain, il part à destination de Barcelone…
Comme toute production, aussi petite ou grande soit-elle, il y a sur son chemin toutes sortes de problèmes. Il est toujours difficile d’établir un panorama juste d’une production, tant les témoignages peuvent diverger. Le plus grand cirque du monde n’échappe pas à la règle. Samuel Bronston avait l’ambition de faire dans les environs de Madrid, une sorte de mini Hollywood, avec des productions capables de rivaliser avec les studios Américains. Bronston réussit un tour de force en imposant sur le marché international, Le Cid (El Cid, 1961) et La Chute de l’Empire Romain (The Fall of the Roman Empire, 1964) d’Anthony Mann, Les 55 jours de Pékin (55 Days at Peking, 1963) de Nicholas Ray et ce Plus grand cirque du monde. Productions aux budgets pharaoniques dont le retour sur investissement se feront difficilement. Il ne faut pas perdre de vue que Samuel Bronston est un producteur indépendant, sans la force de frappe d’une major Hollywoodienne.
Le sujet du Plus grand cirque du monde est cosigné par Nicholas Ray qui en toute logique aurait dû le réaliser. Mais le tournage des 55 jours de Pekin, aura eu raison de son association avec Samuel Bronston. Il est remplacé par Guy Green et Andrew Marton. Curieusement, le premier réalisateur envisagé pour Le plus grand cirque du monde est Frank Capra, plus habitué aux comédies qu’aux grosses productions. Capra est en ce début des années 60 en perte de vitesse. Son dernier film, Milliardaire pour un jour (Pocketful of Miracles, 1961), avec Glenn Ford, Bette Davis et Peter Falk, remake de son film de 1932, La grande dame d’un jour (Lady for a Day), n’est pas le succès escompté. Capra travaille sur le script avec un impératif, le rôle principal est tenu par John Wayne.
John Wayne, le Duke, est une méga star. Il représente à lui seul l’Amérique. Son nom est synonyme de Western. Pour faire court, il a un pouvoir considérable. Le scénario concocté par Capra ne le convainc pas. Samuel Bronson se sépare de Frank Capra. Hélas, Frank Capra ne réalisera plus qu’un court-métrage. En 1971, il publia une formidable autobiographie Hollywood Story (The Name Above the Title : An Autobiography) aux Editions Stock (1976) et Ramsay Poche Cinéma (1985/2006). Son fils, Frank Capra, Jr reste sur le film en tant que coordinateur des séquences de cirque.
Samuel Bronston et John Wayne se tournent vers Henry Hathaway. On raconte que le Duke avait peur d’Hathaway, pourtant, ils se sont retrouvés à plusieurs reprises, et curieusement l’unique Oscar de la carrière de Wayne est pour son interprétation du truculant Shérif Rooster Cogburn dans Cent dollars pour un shérif (True Grit, 1969) réalisé par Hathaway. Ce qui est certain : Henry Hathaway était capable de colère homérique, de quoi tétanisé, acteurs et techniciens. Mais c’est aussi un réalisateur hors pair, toujours ouvert aux innovations techniques. La Conquête de l’Ouest (How the West was won, 1962) qu’il coréalise avant Le plus grand cirque du monde, est tourné en Cinérama, un procédé de prises de vue par une caméra triple bandes 35 mm puis projeté sur un triple écran. Du très très grand spectacle pour des salles spécialement aménager. Hathaway poursuit avec Le plus grand cirque du monde en Super Technirama 70 mm. Henry Hathaway est un maitre des séquences spectaculaires, à l’instar du chavirement du paquebot dans le port de Barcelone et de l’incendie du chapiteau.
Autour du grand chef-opérateur anglais, Jack Hildyard (Le pont de la rivière Kwai, Soudain l’été dernier, Les 55 jours de Pekin, Modesty Blaise, L’étau…), gravite de futurs grands noms de l’image, Claude Renoir (Barbarella, French Connection n°2, L’espion qui m’aimait…), Gerry Fisher (les films de Joseph Losey, Fedora, Le Malin…) et Douglas Milsome (Full Metal Jacket). Le scénario, malgré la qualité de ses auteurs, Ben Hecht, Julian Halevy (Zimet), James Edward Grant, Philip Yordan et Bernard Gordon, accuse toutefois quelques longueurs et les scènes de cirque manquent parfois d’inventivité et semblent n’exister que remplir de manière spectaculaire l’écran sans lien dramatique.
Même si le film est bâti autour de John Wayne, c’est la jeune Claudia Cardinale qui emporte le morceau. Il faut dire que la côte de Claudia Cardinale est phénoménale au moment où elle arrive sur les plateaux de Bronston. Elle vient d’enchaîner deux chefs-d’œuvre Le Guépard (Il gattopardo, 1963) de Luchino Visconti et 8 ½ de Federico Fellini et n’oublions pas la formidable comédie de Blake Edwards, La Panthère rose (The Pink Panther, 1963). Elle apporte une jeunesse, une fraîcheur, une sensualité et une modernité au film qui sauve bien des scènes.
Rita Hayworth, magnifique rousse des comédies musicales et des films noirs, n’est plus la sublime étoile de Gilda (1946). Après Le plus grand cirque du monde, elle n’aura plus grand-chose, une poignée de films en Europe. Georges Lautner lui offre un superbe rôle dans La route de Salina (1970). Sa dernière apparition est dans La Colère de Dieu (The Wrath of God) aux côtés de Robert Mitchum, western satirique de Ralph Nelson en 1971.
Le plus grand cirque du monde, à ne pas confondre avec Sous le plus grand chapiteau du monde (The Greatest Show on Earth, 1952) de Cecil B. DeMille réalisé douze ans auparavant, est un succès avec plus de 2 millions de spectateurs en France.
Fernand Garcia
Le plus grand cirque du monde, une édition collector Mediabook (2 DVD, 1 Bu-ray et un livre) chez Rimini, dans la collection des superproductions de Samuel Bronston (après La Chute de l’Empire Romain et Le Cid). Le film est proposé, dans un nouveau master HD, tel que projeté en salle avec musiques de pré-générique, entracte et musique de post générique, accompagnant la sortir des spectateurs. En compléments : Deux interviews exclusives, réalisées pour cette édition, de Spencer McAndrew, écrivain et petit-fils du scénariste et producteur Philip Yordan. Dans la première, La dernière Représentation, McAndrew revient sur la conception du film, le travail de Frank Capra, la contribution des différents scénaristes, Henry Hathaway et les acteurs, une intervention passionnante (18’57). Dans la seconde, Le Cas Philip Yordan, McAndrew analyse la carrière de son grand-père, personnage de roman, controversé, et tord le cou à quelques idées reçues, intervention tout aussi passionnante et instructive que la première (32’40). Rimini ajoute à cet ensemble un livre : Il était une fois le cirque au cinéma écrit par Rania Griffete et Stéphane Chevalier, retrace les conditions de production et de réalisation du Plus grand cirque du monde, et évoque l’impressionnante carrière d’Henry Hathaway et du compositeur Dimitri Tiomkin, enfin une dernière partie concerne les liens entre cirque et cinéma. Un ouvrage à la très belle iconographie (100 pages). Joyeux anniversaire à Rimini Editions qui fête ses 10 ans d’existante et d’exigence cinéphilie.
Le plus grand cirque du monde (Circus World), un film de Henry Hathaway avec John Wayne, Claudia Cardinale, Rita Hayworth, Lloyd Nolan, Richard Conte, John Smith, Katharyna, Katherine Kath, Wanda Rotha, Maggie MacGrath,… Scénario : Ben Hecht, Julian Halevy (Zimet), James Edward Grant (et Bernard Gordon) d’après une histoire de Philip Yordan et Nicholas Ray (et Bernard Gordon non crédité). Directeur de la photographie : Jack Hildyard. Décors : John DeCuir. Costumes : Renie. Effets spéciaux photographique : Linwood G. Dunn. Matte painting : Doug Ferris. Montage : Dorothy Spencer. Musique : Dimitri Tiomkin. Producteur associé : Michael Waszynski. Producteur : Samuel Bronston. Production : Samuel Bronston Productions. Etats-Unis. 1964. 142 minutes. Technicolor. Super Technirama 70. Format image : 2,25:1. Tous Publics.