En vingt ans, de 1946 à 1966, l’industrie italienne du cinéma va produire quelques 185 péplums. De ce foisonnement de productions, des plus sérieuses au plus farfelues, Florent Fourcart livre une très fine et juste analyse qui prend en compte aussi bien les aspects artistique, économique que social de ce genre populaire.
Mais qu’est-ce qu’un péplum exactement ? Comme le rappelle Fourcart, citant Claude Aziza : « Péplum tout film dont le sujet se passe dans l’antiquité qu’on fera commencer à la période biblique et se terminer à l’aube du moyen-âge. » L’auteur démontre que le péplum italien n’est pas une pâle copie des productions américaines.
C’est en s’appropriant le concept français du « film d’art » en vogue dans les milieux intellectuels dans la première décennie du cinéma que les italiens lancent une grande vague de films historiques. Le succès public est au rendez-vous et très vite les productions deviennent de plus en plus ambitieuses. Le point culminant du film antique à l’italienne est atteint avec Cabiria de Giovanni Pastrone (1914) scénarisé par Gabriele D’Annunzio, celui-ci « marque la supériorité du savoir-faire italien dans l’art de la reconstituer les civilisations antiques », c’est aussi la première apparition d’un personnage qui fera la fortune de bien des productions transalpines : Maciste. Mais petit à petit, le genre tombe en désuétude ainsi entre 1929 et 1939 un seul film à « l’antique » est produit : Scipion l’Africain de Carmine Gallone (1937) avec une double fonction, célébrer la création des studios de Cinecittà et être un parfait reflet de la politique du régime fasciste alors au pouvoir.
Le Péplum réapparaît dix ans après le film de Gallone avec Fabiola de Alessandro Blasetti (1947), et petit à petit le genre revient progressivement à la mode. C’est le tournage de la superproduction de la MGM dans les studios italien, Quo Vadis qui va relancer la production italienne. Son énorme succès à l’international et en Italie, incite de jeunes producteurs à tenter l’aventure. C’est les producteurs-distributeurs Dino de Laurentiis et Carlo Ponti qui mettent en chantier les premières co-productions internationales en utilisant des acteurs hollywoodiens tels que Kirk Douglas, Anthony Quinn ou Jack Palance. Le succès de ses films a force d’entrainement pour d’autres producteurs. La production de péplums reprend pour ce qu’il est coutume d’identifier sous l’appellation de « l’âge d’or du péplum ».
La société de production Galatea « dans un contexte politique et économique favorable » remet au goût du jour le personnage d’Hercule dans Les travaux d’Hercule de Pietro Francisci (1957). Le film est un énorme succès populaire. Incarné par Steve Reeve, culturiste américain et monsieur Univers 1950, le film ouvre la voie au retour des « gentils géants » avec en tête le fameux Maciste. Cette période permet aussi à des scénaristes, des chefs opérateurs voir à des assistants-réalisateur de passer à la réalisation comme Sergio Leone ou Duccio Tessari. Le péplum, genre en perpétuel mouvement, exploite toutes les formes possibles de narration, utilise des structures issues du western classiques, du cinéma fantastico-gothique, de l’opéra, mélange allègrement des personnages mythologiques, historiques et bibliques dans d’improbables rencontres, poussant le trait jusqu’à l’absurde.
Machine à fantasmes, le péplum italien renvoie une image sensuelle et brutale de l’antiquité, là où le cinéma américain, brimé par le code Hayes, n’ose s’aventurer. « Exhibition de corps érigée en dogme esthétique » pour le plus grand plaisir des spectateurs et spectatrices. Les hommes y sont musclés, bronzés, huilés et beaux, ce sont les héros. Les méchants sont immédiatement identifiables, laids, fourbes, à l’ambiguïté sexuelle évidente, ils sont physiquement et moralement à l’opposé du héros.
Quant aux femmes, elles se divisent en deux groupes: le premier, jeunes filles vierges et naïves en totale opposition avec deuxième groupe, où ce sont des femmes fatales, sournoises, barbares, et généralement cruelles. Le péplum italien est un genre à forte érotisation qui transparaît jusque dans les titres, Les vierges de Rome, Sapho, Les Gladiatrices, etc. De ce foisonnement de productions émerge une cinématographie extrêmement riche où se côtoie des œuvres de grandes qualités, Les légions de Cléopâtre (Vittorio Cottafavi, 1959), Romulus et Rémus (Sergio Corbucci, 1961), du grand spectacle Le colosse de Rhodes (Sergio Leone), des confrontations en tout genre, Goliath contre les Géants (Guido Malatesta 1961), Hercule contre les vampires (Mario Bava, 1961), etc.
Le péplum est aussi, par la force des choses, une interrogation identitaire de tout un peuple. Occupé militairement par les Alliés à partir de 1944, « les italiens sont partagés entre une adhésion complète au modèle américain et la nostalgie de plus en plus grandissante d’une identité nationale que le fascisme a contribué à entacher » note avec clairvoyance Florent Fourcart. Pourtant, le genre finira par être victime de lui-même, et de la surabondance de sous-produits improbables entraîne le genre dans une décadence qui prendra fin avec la superproduction de Dino De Laurentiis La Bible que réalise John Huston en 1966.
A la disparition du péplum, les principaux artisans de ce cinéma populaire, vont poursuivre leurs carrières dans le western spaghetti et dans le cinéma fantastique transalpin y développant des situations et des formes stylistiques qu’ils avaient expérimenté durant cet âge d’or. Ainsi le péplum ne sera pas sans descendance ni influence.
Le livre de Florent Fourcart dresse un portrait passionnant et documenté de cet âge d’or, c’est un ouvrage de référence pour tous les amoureux non seulement du cinéma de quartier mais du cinéma tout court.
Fernand Garcia
Le Péplum Italien, Grandeur & décadence d’une antiquité populaire de Florent Fourcart, préface de Jean A. Gili, Introduction de Julien Sévéon, inclus Filmographie et dictionnaires des réalisateurs de péplums, nombreuses illustrations en couleurs et noir et blanc, 240 pages. Collection CinExploitation aux Editions Imho Prix : 24 €
L’auteur Florent Fourcart est spécialiste de l’histoire du cinéma et en particulier du Péplum. Collaborateur de POSITIF et de Ciném’Action, il est l’auteur de la notice consacrée au genre dans le Dictionnaire mondial du Cinéma aux Editions Larousse.