Au XVIIe siècle en Moldavie, une répression terrible sévie contre des êtres monstrueux et assoiffés de sang : les « Vampires ». Tout le monde s’accuse espérant qu’ainsi la terre soit purifiée de cette immonde race d’assassins. Par une nuit épouvantable, la princesse Asa (Barbara Steele) de la lignée des Princes Vaida et Igor Javutich (Arturo Dominici) sont condamnés au bûcher, pour leur amour satanique. Le terrible châtiment est administré, sous l’autorité du Grand Inquisiteur, Griabby, le frère d’Asa. Un fer chauffé au rouge est appliqué par un des bourreaux, sur le dos d’Asa y laissant à jamais sur sa chair un infâme « S », le signe brûlant de Satan. Il ordonne, avant la purification par le feu, que son visage soit couvert par le masque du démon à l’intérieur hérissé de pointe. Mais avant le sacrifice suprême, Asa maudit son frère et ses descendants. L’orage gronde. Le masque d’un coup de massue s’enfonce dans le visage d’Asa. La pluie déchaînée éteint les flammes et les hommes terrorisés s’enfuient de ce lieu maudit…
Premier film « entièrement » réalisé par Mario Bava, Le Masque du démon est un chef-d’œuvre du cinéma gothique. Une œuvre plastiquement de toute beauté. Bava démontre avec Le Masque du démon une maîtrise visuelle exceptionnelle dont l’influence ira grandissante. Depuis sa sortie en 1960, le film de Bava n’a cessé de fasciner des générations de cinéphiles et de cinéastes. Francis Ford Coppola avec son Dracula (1992) et Tim Burton avec Sleepy Hollow (1999), lui rendront hommage dans plusieurs séquences de leurs films. Le Masque du démon s’inscrit dans la relecture du cinéma fantastique de la fin des années 50, impulsé par la Hammer. La société anglaise en reprenant les classiques de l’Universal, les modernise avec en maître d’œuvre : Terrence Fisher. Frankenstein s’est échappé (The Curse of Frankenstein, 1957) et Le cauchemar de Dracula (Dracula, 1958) marquent le renouveau du genre.
Ce sang neuf, accentue la violence et l’érotisme grâce à l’apport considérable de la couleur. Le sang éclate à l’écran en Technicolor. Le Masque du démon reprend à son compte la violence et l’érotisme, mais en sublimant les situations dans un romantisme morbide soutenu par une admirable utilisation du noir et blanc. Evidemment, le noir et blanc minimise l’impact à l’écran du sang, bien plus important chez Bava que dans les productions de la Hammer. Ce qui n’empêchera pas la sinistre commission de censure anglaise d’interdire le film dans sa version intégrale jusqu’en 1994 ! Revenons un peu au début.
Mario Bava est, à l’époque, un directeur de la photographie reconnu du cinéma italien. Son père, Eugenio Bava, est un vétéran du cinéma, opérateur au temps du muet, il initie le jeune Mario à la prise de vues. Il se lance dans la carrière en travaillant sur des courts-métrages de Roberto Rossellini. Son sens de la composition, sa parfaite connaissance technique, allié à celui de la débrouille, en font rapidement un directeur de la photographie recherché. Le cinéma italien est en plein boom et Cinecittà ne désemplit pas. Les Américains investissent les lieux profitant de techniciens de valeur à tous les postes pour des couts très largement inférieurs à ceux d’Hollywood. De plus, les vedettes expatriées bénéficient de remise d’impôt appréciable. Les producteurs et réalisateurs italiens profitent des décors construits par les Américains pour tourner leurs films. Ils tournent rapidement des films dans les genres à la mode, soit pour le marché local, généralement des comédies, soit avec en ligne de mire l’international avec ses coproductions, généralement des péplums. Mario Bava est un technicien sur qui les producteurs peuvent s’appuyer. Ainsi, il remplace à deux reprises Riccardo Freda, dont les relations avec ses producteurs sont houleuses. Bava dirige en partie Les Vampires (I Vampiri, 1956) et quasi-intégralement Caltiki, le monstre immortel (Caltiki, Il monstro immortale, 1959). Bava termine La Bataille de Marathon (La Battaglia di Maratone, 1959), après le départ quelque peu contraint de Jacques Tourneur à l’expiration de son contrat de dix semaines. Bava réussi à réduire le budget en utilisant des mattes paintings à la place de décors onéreux et boucle les scènes manquantes avec Steve Reeves. La Galatea peut souffler un ouf de soulagement. Le film sort sur les écrans et rencontre un grand succès public. Le patron de Galatea, Nello Santi, en remerciant propose à Mario Bava de passer à la réalisation. Proposition intéressée, pourquoi s’emmerder avec des réalisateurs quand un chef opérateur peut faire le boulot.
A 46 ans, Mario Bava n’envisage pas de passer à la réalisation, son travail de directeur de la photographie le comble grandement ; mais la tentation de porter à l’écran ses visions, l’emporte ; il accepte. Nello Santi, les recettes sous les yeux du Cauchemar de Dracula, lui propose de faire un film dans son sillage. Bava qui a toujours été intéressé par le fantastique propose une adaptation d’une nouvelle de l’auteur russe Gogol, Vij. Il livre une première version qui va vite se transformer au fil des réécritures. Le scénario porte la signature de Mario Serandrei, très grand monteur du cinéma italien. Monteur attitré de Luchino Visconti, Serandrei travaille sur les films de Luigi Comencini, Dino Risi, avec Fellini pour Il Bidone (1955), Francesco Rosi, Marco Ferreri, etc. une impressionnante carrière où il collectionne les chefs-d’œuvre. Serandrei a monté plusieurs films « sauvés » par Mario Bava : Hercule et la reine de Lydie (Ercole e la regina di Lidia, 1959), Caltiki, La bataille de Marathon. Il restera son monteur durant les années 60. Si sa collaboration au scénario est primordiale, on imagine facilement que dès l’écriture avec Bava, ils imaginent non seulement les plans, mais aussi le montage de l’ensemble. Plusieurs autres scénaristes participent au Masque du démon, tout d’abord Ennio De Concini, scénariste de La bataille de Marathon. Il développe plusieurs pistes scénaristiques. Scénariste boulimique, De Concini est crédité la même année de 13 autres films ! En 1963, De Concini décroche l’Oscar du meilleur scénario pour Divorce à l’italienne (Divorzio all’italiana) de Pietro Germi. Il retravaille avec Bava sur La fille qui en savait trop (La ragazza che sapeva troppo, 1963). Deux autres scénaristes collaborent au film sans être crédité : Marcello Coscia et Dino De Palma. Coscia s’illustre dans le cinéma populaire fournissant histoire et scénario. Dino De Palma est assistant-réalisateur qui parfois participe à quelques scénarios. Leurs contributions semblent limitées.
La beauté morbide de Barbara Steele attire l’attention de Mario Bava, qu’il caste sur une série de photos parues dans Life. La jeune actrice anglaise arrive directement d’Hollywood, d’où elle vient de se faire renvoyer par les producteurs, pour cause d’accent britannique trop prononcé, du tournage des Rôdeur de la plaine (Flaming Star, 1960) de Don Siegel avec Elvis Presley. Barbara Eden, la remplace. La relation entre Steele et Bava va être marquée par une succession d’incompréhension due en partie au manque de communication entre les deux. Bava ne parle pas anglais. Steele est un peu perdue sur le plateau, peu familiarisé avec les tournages italiens, les longues journées et les réécritures de dernière minute. La méthode de Bava, la perturbe aussi, les acteurs ne sont pour lui que des figures évoluant dans une composition picturale extrêmement élaborée.
La combinaison d’horreur macabre et d’érotisme, la gêne. Barbara Steele aura toujours une sorte de réticence à jouer dans des films d’horreur. Pourtant, grâce au Masque du démon, elle va en devenir une des plus grandes icônes du genre et tourne dans d’autres films d’horreurs gothiques, dans le prolongement du film de Bava, accumulant sorcières et doubles rôles : Danse Macabre (Danza macabre, 1964) ; La sorcière sanglante (I lunghi capelli della morte, 1965) d’Antonio Margheriti ou Les amants d’outre-tombe (1965) de Mario Caiano. Elle est dirigée par Riccardo Freda dans les deux Dr. Hichcock : L’effroyable secret (L’orribile segreto del Dr. Hichcock, 1962) et Le spectre (Lo Spettro, 1963).
Malgré la proposition de Bava pour le rôle principal féminin du Corps et le fouet (Le frusta e il corpo, 1963), Barbara Steele ne retournera jamais avec lui. Si son double rôle du Masque du démon, lui apporte la célébrité, elle lui préfère celui de 8 ½ (1963). Son twist dans le chef-d’œuvre de Federico Fellini inspirera Quentin Tarantino pour Pulp Fiction (1994). Durant les années 70, des cinéastes cinéphiles feront appel à Barbara Steele, Jonathan Demme pour 5 femmes à abattre (Caged Heat, 1974), Joe Dante pour Piranhas (1978) et Yves Boisset pour La clé sur la porte (1978). Ce n’est pas sa seule incursion dans le cinéma hexagonal puisque dès les années 60, elle tourne sous la direction de Georges Lautner, mais à Hong-Kong, dans Le monocle rit jaune (1964) avec Paul Meurisse. Un autre cinéaste français fera appel à ses talents, Louis Malle pour le sulfureux La petite (Pretty Baby, 1978), consacré à la vie dans les bordels de la Nouvelle-Orléans. Quant à David Cronenberg, il la contamine dans l’impressionnant Frissons (Shivers, 1975). Barbara Steele laisse un peu de côté sa carrière d’actrice pour se consacrer à la production pour la télévision. Elle produit, entre autres, la série de prestige à succès : Le souffle de la guerre (The Winds of War, 1983) avec Robert Mitchum et Ali MacGraw. Elle remporte le très convoité Primetime Emmy Awards pour cette série. Le temps passant, elle incarne une grand-mère dans Lost River (2014) réalisé par l’acteur Ryan Gosling. Barbara Steele est « Queen of All Scream Queens », rien de moins et pour longtemps encore.
La mise en scène de Mario Bava est très élaborée et ses mouvements de caméra sont majestueux. Sa direction d’acteur est en fonction du rendu visuel, les acteurs se déplacent au millimètre. La beauté romantique du Masque du démon vient de l’alchimie des ombres et des lumières, du noir et du blanc, qui opère comme un envoûtement poétique. Les effets spéciaux, réalisés par Mario Bava et son père, innovent dans la violence et par leur aspect sanglant, allant plus loin que les productions de le Hammer. Une grande partie des thèmes futurs de Bava se trouve déjà en filigrane dans le film : l’érotisme, la perversion, jusqu’au dérèglement des rapports humains qui aboutit au meurtre. Derrière l’image, à l’instar des tableaux dans le film, se cache une autre vérité, une dimension qui révèle la nature profonde des êtres humains. L’inceste, l’une des clés du film, est gommé dans la version américaine. La noirceur du cinéma de Bava lui vaudra pour ce film et pour les autres biens des déconvenues avec la censure. Le Masque du démon, sans une ride, est toujours d’une beauté aussi sidérante. Un classique.
Fernand Garcia
Le masque du démon une édition indispensable de Sidonis Calysta en partenariat avec Samsara productions. Superbe édition avec un report HD impeccable, comble de bonheur, l’éditeur propose avec la version originale italienne de Mario Bava, Black Sunday, le montage américain du film. En complément : une présentation du film par Olivier Père, un tour d’horizon complet sur « un film qui a une réputation très forte et qui est toujours aussi apprécié par les amoureux du fantastique » (28 minutes). Le film vu par Christophe Gans, grand admirateur de Mario Bava, « un savant fou du cinéma (.) c’est cela qui est magnifique chez lui » (40 minutes). Les différentes versions du film par Bruno Terrier, comparaison entre la version italienne originale, la française quasi-complète et le montage américain, entre raccourcis, disparition de scènes et remplacement de la musique, instructif (13 minutes). Une fort sympathique rencontre avec Barbara Steele, où, dans une alternance d’italien et d’anglais, se remémore son expérience sur le film (réalisée en 1995, 8 minutes). Les bandes-annonces : Italienne, Américaine et Anglaise (9 minutes env.). Cette magnifique édition s’accompagne d’un livret : Le masque du démon, mémoires d’outre-tombe, par Marc Toullec, une mine d’informations, à la très belle iconographie, sur ce film culte (48 pages). La plus belle édition française du Masque du démon, indispensable.
Le masque du démon (La maschera del demonio) un film de Mario Bava avec Barbara Steele, John Richardson, Andrea Checchi, Ivo Garrani, Arturo Dominici, Enrico Olivieri, Antonio Pierfederici, Clara Bindi, Tino Bianchi… Scénario : Ennio De Concini et Mario Serandrei (et non-crédité : Mario Bava, Marcello Coscia et Dino De Palma) d’après Nicolas Gogol. Directeur de la photographie : Mario Bava. Direction artistique : Giorgio Giovannini. Costumes : Tina Loriedo Grani. FX : Eugenio Bava et Mario Bava. Musique : Roberto Nicolosi. Montage : Mario Serandrei. Producteur : Massimo De Rita. Production : Galatea Film – Jolly Film. Italie. 1960. 87 minutes. Pellicule Dupont. Noir et blanc. Format image : 1.66 :1. 16/9e Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française. Black Sunday (le montage américain de l’American International Pictures) durée : 83 minutes, musique additionnelle de Les Baxter, le film est proposé en version américaine avec ou sans sous-titres français. Tous Publics.