Le Maître des îles – Tom Gries

1870. Le Carthaganian vogue vers Hawaï, dans la cale, deux ethnies chinoises, les Puntis et les Hakkas. Ils supportent des conditions misérables de voyage pour une meilleure vie à Hawaï, des rêves pleins la tête et d’un salaire de 3 dollars par mois. Le Capitaine Whip Hoxworth (Charlton Heston), homme à poigne, envisage ce voyage comme son dernier et espère prendre le commandement de la flotte familiale. Dans la cale, les Chinois se révoltent. Alors que les marins remettent de l’ordre à coups de trique, ils découvrent parmi les hommes, une femme, Bong Nyuk Tsin (Tina Chen), une Hakka. Elle a été kidnappée pour être vendue à un bordel d’Honolulu, afin de la sauver d’un viol collectif, Mun Ki (Mako), la présente comme sa femme…

Le Maître des îles, raconte un épisode de l’histoire d’Hawaï, à une époque où l’archipel n’était pas encore le 50e état des Etats-Unis. Il le deviendra le 21 août 1959. Le film de Tom Gries est un grand spectacle romanesque adapté du roman de James A. Michener. Le film prouve que le cinéma américain (entre autres) n’a pas attendu le XXIe siècle pour s’intéresser aux peuples autochtones. Le Maître des îles raconte le destin de deux personnages que tout sépare, d’un côté, Whip Hoxworth, descendant d’une riche famille américaine installée à Honolulu, et Bong Nyuk Tsin, chinoise, kidnappée, qui va devoir s’adapter et se fondre dans ce nouveau monde. Il s’agit du portrait de deux ambitions, finalement de deux amitiés. Hoxworth va faire fortune, indépendamment de sa famille, qui le considère comme une brebis galeuse, en introduisant l’ananas sur l’île. Gries évoque avec un grand réalisme les différentes vagues d’immigration, chinoise et japonaise. Dans la dernière partie, il montre comment les Américains vont mettre la main sur l’Archipel hawaïen en se débarrassant d’une reine fantoche. Le film n’est toutefois pas une analyse marxiste de la manipulation d’un peuple à l’instar de Queimada (1969) de Gillo Pontecorvo, contemporain du Maître des îles.

Le Maître des îles est une continuation du Hawaï (1966) de George Roy Hill, qui peut se voir de manière totalement indépendante. Ce nouveau film reprend des chapitres du roman de James A. Michener non utilisé dans Hawaï. Au départ, Walter Mirisch, le producteur, avait engagé Fred Zinneman et son scénariste Daniel Taradash pour adapter le volumineux best-seller de James A. Michener. Les deux hommes ont du mal à condenser le roman. Il propose à Mirisch, un film en deux parties de plus de quatre heures. Mirisch est un producteur à succès, Les 7 mercenaires (The Magnificient Seven, 1960), West Side Story (1961), La Grande évasion (The Great Escape, 1963), La Panthère rose (The Pink Panther, 1963), Dans la chaleur de la nuit (In The Heat of the Night, 1967), et respecté, mais le projet est rejeté par les Artistes Associés. Zinneman et Taradash abandonnent. Dalton Trumbo reprend le scénario, afin d’obtenir un script de trois heures. George Roy Hill hérite de la réalisation. Charlton Heston se voit proposer le rôle du capitaine Rafer Hoxworth, qu’il refuse, ainsi que celui du révérend Abner Hale, incarné par Richard Harris et Max Von Sydow. Finalement, Charlton Heston revient en jouant le petit-fils du capitaine Rafer Hoxworth dans Le maître des îles. Contrairement à Hawaï, qui connaît un succès retentissant, Le Maître des îles va être un flop, qui avec le recul se révèle bien injuste.

Tom Gries doit son retour au cinéma à Charlton Heston. Quand il lui propose le scénario de Will Penny, le solitaire (1967), l’acteur envisage William Wyler ou George Stevens pour la réalisation. Heston accepte que Gries réalise le film, alors qu’il est confiné depuis des années sur des séries TV. Un bon choix, Will Penny, est l’un des meilleurs westerns américains des années 60. Heston n’a pas trop de mal à imposer Tom Gries sur Le Maître des îles après le succès des 100 fusils (100 Rifles, 1969), et surtout que le contrat de l’acteur, lui donne un droit de regard sur le réalisateur.

Le Maître des îles, ce site dans la carrière de Charlton Heston, à un moment de flottement, même s’il vient de connaître un immense succès avec La Planète des singes (Planet of the Apes, 1968), la période n’est plus aux héros. Les personnages plus grands que natures, qu’il a personnifiés avec un incroyable panache, s’effacent petit à petit. Hollywood est essoufflé. Le nouvel Hollywood pointe son nez avec une nouvelle génération de réalisateurs, scénaristes et acteurs. Heston reste pour le public un gage de grand spectacle. Ce qu’il défendra tout au long des années 70, avec quelques grands succès à la clé, 747 en péril (Airport 1975, 1974), Tremblement de terre (Earthquake, 1974), La bataille de Midway (Midway, 1976). Mais c’est dans la science-fiction qu’il laisse une incroyable empreinte durant cette période, Le Survivant (The Omega Man, 1971) et Soleil vert (Soylent Green, 1973) sont deux magnifiques classiques du genre. Dans Le Maître des îles, Heston est plus ambigu qu’à l’habitude, son personnage est parfois même bien antipathique. Le capitaine Whip Hoxworth n’est pas foncièrement sympathique, mais gagne en humanité en cours de route. Il y a quelque chose de shakespearien, la grande passion de Heston, dans sa manière d’aborder le capitaine.

Geraldine Chaplin, fille d’un des génies du cinéma Charlie Chaplin et de sa quatrième femme, Oona O’Neill, est alors la compagne de Carlos Saura. Elle vient d’enchaîner, Peppermint Frappé (1967), Stress es tres, tres (1968), et La Madriguera (1969). Aux Etats-Unis, elle est avant tout connue pour son rôle de Tonya dans Le Docteur Jivago (Doctor Zhivago, 1965) l’énorme succès de David Lean. Sa prestation sera assez critiquée par la presse, mais Geraldine Chaplin n’aspire absolument pas à une carrière à Hollywood. Elle ne reviendra qu’en faisant partie de la « bande » de Robert Altman, Nashville (1975), Buffalo Bill et les indiens (Buffalo Bill and the Indians or Sitting Bull’s History Lesson, 1976), Un Mariage (A Wedding, 1978). Cette ex-danseuse du Royal Ballet de Londres s’est affirmée comme un fort tempérament, privilégiant les films d’auteurs européens à de grosses machines américaines, non sans une pointe de regret de n’avoir pas eu de proposition dans son pays de naissance.

Elle incarne dans Le Maître des îles, l’épouse de Whip Hoxworth, écartelée entre sa culture autochtone et son devoir d’épouse bourgeoise. Elle sombre dans une sorte de délire. Hélas, le film montre le couple de manière pour le moins elliptique. Peut-être que quelques scènes entre Chaplin et Heston ont été sacrifiées au montage.

Beaucoup plus développé est le personnage de Bong Nyuk Tsin incarnée par Tina Chen. Rôle aussi important que celui de Heston. Ce qui n’est pas chose courante dans un film à grand spectacle. Bong Nyuk Tsin est issue d’une ethnie de la montagne méprisée par les autres Chinois.  Mun Ki (Mako), d’une autre ethnie, l’épouse, mais leurs enfants sont ceux de sa femme légitime restée en Chine. Bong Nyuk Tsin qui les a portés, devient selon la tradition, leur tante. Son ambition est stoppée quand Mun Ki se retrouve atteint par la lèpre. Elle décide de le suivre sur une île où les lépreux sont abandonnés. Tina Chen est une actrice sino-américaine, elle obtient une nomination aux Golden Globes pour sa prestation dans Le Maître des îles. Par la suite, on a pu la voir dans le thriller d’espionnage, Les trois jours du Condor (Three Days of the Condor, 1975) de Sidney Pollack. Elle a surtout poursuivi sa carrière comme actrice et productrice au théâtre.

Le Maître des îles, œuvre romanesque à grand spectacle, bénéficie d’une formidable partition musicale de Henry Mancini. Signalons pour la petite histoire, une scène de bain nue avec Fumiko (Miko Mayama), japonaise maîtresse de Hoxworth. Scène qui valait au film, un rectangle blanc (pour éloigner les enfants) lors de sa diffusion sur le petit écran dans les temps anciens. Au-delà de l’anecdote, le film prend parti pour les relations interraciales, ce qui n’était pas si évident à l’époque. Préoccupation que l’on retrouve dans plusieurs films avec Charlton Heston.

Fernand Garcia

Le Maître des îles, pour la première fois en combo (DVD + Blu-ray) et unitaire (DVD), une édition Sidonis – Calysta, master HD splendide avec en compléments : Charlton Heston, acteur polyvalent, documentaire sur l’acteur, avec des interventions de Heston en personne, des membres de sa famille, Gregory Peck, Carroll Baker, Walter Seltzer, une belle évocation de cet acteur de légende (46 minutes). Une présentation par Olivier Père, un beau tour d’horizon du livre aux films de George Roy Hill et de Tom Gries (35 minutes). Enfin, la bande-annonce.

Le Maître des îles (The Hawaiians), un film de Tom Gries avec Charles Heston, Geraldine Chaplin, John Phillip Law, Mako, Tina Chen, Alec McCowen, Naomi Stevens, Keye Luke, Don Knight, Miko Mayama, Virginia Ann Lee…. Scénario : James R. Webb d’après le roman de James A. Michener. Directeur de la photographie : Lucien Ballard et Philip H. Lathrop. Décors : Cary Odell. Costumes : Bill Thomas. Montage : Byron ‘Buzz’ Brandt et Ralph E. Winters. Musique : Henry Mancini. Producteur : Walter Mirisch. Production : The Mirisch Production Company – United Artists. Etats-Unis. 1970. 134 minutes. Panavision. Format image : 2.35 :1. 16/9e. Son : Version originale avec sous-titres français et Version française. DTS-HD. 2.0. Tous Publics.