Le Justicier de New York fait partie de ces plaisirs coupables, de pur divertissement avec son action non-stop, son héros, son méchant à tête de punk bien né, ses répliques à l’emporte-pièce et son canardage final délirant. Winner ne s’embarrasse pas de psychologie, Le Justicier de New York c’est le dépeçage jusqu’à l’os d’Un justicier dans la ville. Il ne reste plus que le squelette scénaristique, le personnage, Paul Kersey, une situation : six blocs plongés dans la terreur, une no-go zone absolue et ses dingues : loubards, punks, drogués, bikers nazis, une incroyable farandole de racailles. Clairement, l’époque n’est plus au marchandage, aux circonstances atténuantes, aux explications sociétales. La compassion est aux oubliettes, la parole est aux armes. Le Justicier de New York est un western urbain délirant dans les quartiers Est de New-York.
Paul Kersey (Charles Bronson) revient à New York. A peine arrivé au terminus des cars, Kersey tombe dans la galerie marchande sur une jeune femme enquiquinée par deux fripouilles dans l’indifférence générale. Pas de doute, il est bien à New York. Kersey téléphone à son vieil ami Charley (Francis Drake). Au même moment, le pauvre Charley est victime d’une violente agression dans son appartement. Les quatre membres du gang du quartier s’en donnent à cœur joie et tabassent à mort le vieil homme. Kersey comprend instantanément la situation, hélas, il arrive trop tard. Charley meurt dans ses bras. La police embarque Kersey en l’accusant de sa mort, enquête inexistante, accusation bidon. Il se retrouve face à l’inspecteur Shriker (Ed Lauter) qui garde une dent contre Kersey, le vigilante des années 70. Au mépris de tous ses droits et sans le moindre motif, il l’expédie au trou. Kersey se retrouve avec toutes les épaves des quartiers de Belmont et Sutter, dont le redoutable Fraker (Gavan O’Herlihy), psychopathe manipulateur, chef du gang…
Paul Kersey est le vigilante ultime, le bras armé d’une justice directe, non-négociable et définitive. Un seul verdict : la peine capitale. Son mode opérationnel : l’exécution sommaire. Son credo : la tolérance zéro. De quoi ébranler un confiné, décérébré par des heures devant les produits aseptisés de Disney +. Déjà en 1986, dans l’ancien temps, le film était relégué par les critiques en déshérence dans les salles de quartier aux modules de A à Z et aux brèves de quatre lignes assassines. Le temps ne fait rien à l’affaire, Le Justicier de New York est toujours aussi jubilatoire.
Reprenons le fil. Kersey déboule dans un quartier où la police est totalement impuissante. Et plutôt que de s’en prendre aux délinquants, elle préfère désarmer les honnêtes citoyens, enfermés chez eux. L’angoisse chez les habitants est permanente, sortir est un risque. Les plus vulnérables, les personnes âgées et les femmes sont les premières victimes dans une gradation des délits allant de menus larcins (vol, insultes, intimidation, cambriolage, racket), en passant par les agressions (viol, tabassage), trafics de toutes sortes (drogues, recel), jusqu’aux homicides (meurtres). S’enfermer ne protège en rien du monde extérieur. Les gangs n’hésitent pas a entrer par effraction dans les appartements et à rançonner les locataires. No-go zone au bord de l’apocalypse, ceux qui restent doivent raser les murs et payer pour vivre. Et cela ne garantit en rien contre les agressions, les tabassages et les viols. Le film décrit une mécanique : comment un gang s’accapare par la violence un espace public (rue, square,) et règne par la terreur. Cette confiscation d’un bien commun ne peut par extension qu’aboutir à celle de la propriété privée. Le psychopathe chef du gang se comporte ni plus ni moins comme un capitaliste, tirant un maximum de profit de la situation en envoyant sa bande de cloportes au front.
Dans un chaos organisé, la terreur suit une courbe ascendante. Une fois la propriété privée attaquée, il ne reste aux hordes de sauvages qu’à s’en prendre à l’outil de travail des récalcitrants au nouvel ordre. Ils pulvérisent à la dynamite l’atelier de réparation de compteurs de taxi de Bennett (Martin Balsam). La violence explose sans limite.
L’élimination des crapules au cas par cas ne peut aboutir qu’à un règlement de compte final, une émeute urbaine opposant les deux camps, dans une apothéose de gunfight où tous les coups sont permis. Et Kersey ne va pas s’en priver. C’est au fusil-mitrailleur qu’il sulfate la vermine. C’est drôle parce que Michael Winner joue, comme souvent, à fond la carte d’un second degré teinté d’humour noir. Il pousse le trait tellement loin que le film est sauvé de la série Z par son côté cartoonesque.
Tandis qu’il dîne, paisiblement avec des voisins de palier, Kersey entend à l’extérieur, des petites crapules s’acharner sur sa voiture. A l’un l’autoradio, à l’autre le démontage du moteur ! « C’est ma voiture ! » « Alors tu vas mourir ! » mauvaise réponse et deux cadavres de plus sur la chaussée. Un « message » pour la vermine. Autre message : Kersey sort d’une supérette avec une glace, il sait que l’appareil photo, négligemment posé sur son épaule, ne peut qu’attirer les convoitises. Ça ne manque pas. Le Ricaneur, un vaurien, s’en empare. Sans la moindre sommation, Kersey l’abat d’une balle dans le dos sous les applaudissements de la population ! Kersey range son 475 Wildey Magnum, à côté duquel le .44 Magnum de l’inspecteur Harry fait office de pistolet à eau ! A en croire Wikipedia, le film a sauvé le fabriquant de la fermeture et chaque rediffusion entraine une augmentation des ventes !
Troisième volet de la série du Justicier dans la ville, Michael Winner s’éloigne du réalisme brut du premier et de la violence explicitement sexuelle du deuxième, sans toutefois se départir de son style documentaire avec l’utilisation d’objectifs à grand-angle, et du réalisme des décors. Dans ce troisième opus, il ne verse plus dans la sauvagerie avec de longues séquences d’agressions sexuelles. Winner a une indéniable efficacité dans sa manière d’orchestrer les scènes d’action, dans les courses – poursuites toujours impressionnantes. Son dispositif est impeccable et jamais le spectateur ne se perd dans les rues de ce quartier. Winner sait parfaitement utiliser ses décors. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Le Justicier de New York n’est pas tourné dans un quartier de la ville, mais en studio, dans la banlieue de Londres. Le travail du décorateur, Peter Mullins, est admirable, l’illusion est parfaite. Il faut reconnaître aux décorateurs et aux équipes de construction anglaises un incroyable talent pour reconstituer des lieux extérieurs, plus vrais que nature. Le sommet en est Full Metal Jacket (1987), fabuleuse recréation de l’offensive du Têt et de son décor urbain par le décorateur Anton Furst pour Stanley Kubrick.
Le Justicier de New York est le sixième et dernier film de l’association Bronson – Winner, entamée en 1972 et se déployant sur treize années. Les Collines de la terreur, Le Flingueur, Le Cercle noir, et les trois Le Justicier dans la ville. De belles réussites, des spectacles populaires de qualité, tout à fait estimables. Michael Winner est, avec J. Lee Thompson, le réalisateur avec qui Charles Bronson a le plus tourné. Le Justicier de New York est une production de la Cannon. La mini major dirigée par Menahem Golan et Yoran Globus est alors au zénith. Ils produisent du cinéma d’action populaire n’hésitant devant rien, du scénario le plus abracadabrantesque, comme l’invasion de USA par des hordes de communistes, à la comédie la plus effarante jusqu’au cinéma d’auteur le plus pointu : John Cassavetes, Jean-Luc Godard, Robert Altman. Charles Bronson est la plus grande star de la Cannon, leur money maker numéro 1. En parallèle de la sortie en France du Justicier de New York, la Cannon lâche sur les écrans, Invasion USA, Delta Force, Portés disparus 2, American Ninja, face à Ginger et Fred, L’honneur des Prizzi, Z.O.O, Out of Africa, Sans toit ni loi, Rocky IV… en quelques mois, tout le charme d’une époque, où finalement le cinéma foisonnait d’une réelle diversité.
Fernand Garcia
Le Justicier de New York / Un Justicier dans la ville 3, une édition Sidonis Calysta, dans sa collection Charles Bronson, en complément de séance : Le making of du Justicier de New York, promo réel d’époque du film, qui permet de voir Michael Winner au travail et surtout les décors extérieurs (5 minutes). La remise de l’étoile à Charles Bronson sur Hollywood Boulevard, reportage lors de la pose de l’étoile de Bronson sur le Hollywood Walk of Fame. L’occasion de voir Charles Bronson, ému, et son épouse, Jill Irlande, au naturel (5 minutes). Enfin, les bandes-annonces de l’intégralité de la série des Justicier (8 minutes).
Le Justicier de New York (Death Wish 3) un film de Michael Winner avec Charles Bronson, Deborah Raffin, Ed Lauter, Martin Balsam, Gavan O’Herlihy, Joseph Gonzalez, Kirk Taylor, Tony Spiridakis, Ricco Ross… Scénario : Michael Edmonds (Don Jakoby) d’après les personnages de Brian Garfield. Directeur de la photographie : John Stanier. Décors : Peter Mullins. Montage : Arnold Crust (Michael Winner). Musique : Jimmy Page. Coproducteur : Michael Winner. Producteurs : Menahem Golan et Yoram Globus. Production : Golan – Globus – The Cannon Group, Inc. Etats-Unis. 1985. 90 minutes. Son : Version Originale avec ou sans sous-titre français et Version Française. Interdit aux moins de 16 ans (à l’époque).