L’inspecteur Leo Kessler (Charles Bronson) se présente comme un sale fils de pute égoïste qui ne veut qu’une chose : mettre en prison les tueurs qui grouillent dans la ville. Ailleurs, dans la ville, Betty (June Gilbert) rejoint son petit copain sous le regard de Warren Stacy (Gene Davis). Ils se destinent à une petite sortie en amoureux au lac. Warren éconduit par la fille, humilié dans son amour-propre, a prémédité son sinistre projet. Auparavant, il s’est fait remarquer en importunant grassement deux jeunes femmes, dans une salle de cinéma avant la projection de Butch Cassidy et le Kid, qu’il quitte dès les premières images. Au bord du lac, Warren, intégralement nu, tue le couple en pleins ébats dans leur voiture. D’abord, l’homme à coup de couteau, puis la jeune femme, qui ayant réussi à fuir, est massacrée au pied d’un arbre. Warren s’en retourne au cinéma pour la fin du film…
Le Justicier de minuit est un polar âpre, glauque et violent. Le scénario s’inspire de plusieurs affaires, ce qui ajoute un piment malsain à l’histoire. Le personnage du tueur est un agrégat de plusieurs serial killers dont Richard Speck qui avait tué 8 infirmières au cours d’une nuit de cauchemar en 1966. J. Lee Thompson met en scène ce carnage en reprenant certains éléments comme celui de la jeune fille cachée sous le lit. L’affaire défraya la chronique jusqu’au cinéaste japonais Koji Wakamatsu qui la transposera au Japon avec Les Anges violés (Okasareta hyakui, 1967), film totalement focalisé sur cette funeste nuit. Warren Stacy s’inspire aussi de Ted Bundy, certainement le plus célèbre des tueurs de masses américain. Bundy dont on ne sait pas exactement le nombre de ses victimes, officiellement, une trentaine, avait la particularité, de ne tuer que des belles femmes. A la ressemblance entre l’acteur Gene Davis et Ted Bundy, J. Lee Thompson ajoute un autre élément, le tueur roule dans un Coccinelle comme Bundy.
Le Justicier de minuit évoque aussi une autre affaire qui avait, dans des anciens, secoué Scotland Yard. Un inspecteur avait fabriqué de fausses preuves pour faire condamner un suspect. La supercherie avait été découverte, l’inspecteur viré, mais le suspect avait par la suite tué plusieurs personnes. L’inspecteur Leo Kessler fonctionne à l’instinct, mais il est incapable d’apporter les preuves de la culpabilité de Warren Stacy. Alors, il en fabrique une irréfutable. Mais, il se heurte à son jeune collègue, qui ne valide pas ses méthodes. Kessler doit avouer sa falsification. Cette impuissance de la police à mener à bien des enquêtes au-delà des certitudes est un aspect intéressant du film.
« Quand un gars à poil court derrière une fille avec un couteau de boucher et en érection, j’ai peine à croire qu’il est en train de quêter pour la Croix Rouge ! » Harry Calahan (in L’inspecteur Harry)
Le scénario semble être la mise en images de cette tirade de L’Inspecteur Harry (Dirty Harry, 1971). Le Justicier de minuit est dans son sillage et bien sûr dans la continuité d’Un Justicier dans la ville (Death Wish, 1974), auquel le titre français fait référence. Charles Bronson n’est plus un quidam qui se fait justice, mais un policier fatigué par tant de violence et de criminels impunis. Le scénario de William Roberts est des plus malins, et il réussit à faire fonctionner ce qui peut paraître invraisemblable. Son tueur opère nu pour ne pas laisser la moindre trace, n’oublions pas que nous sommes avant la mise en place des prélèvements d’ADN sur les scènes de crime. William Roberts avait déjà réussi une greffe improbable avec Soleil Rouge (1971) et son samouraï au pays des cow-boys et son lot de stars, Bronson (déjà) et Alain Delon, Toshirô Mifune, Ursula Andress et Capucine. A l’actif de Roberts sa superbe adaptation des Sept samouraïs (1954) d’Akira Kurosawa pour John Sturges : Les Sept mercenaires (The Magnificent Seven, 1960), où l’on retrouve parmi les futures stars : Bronson. Williams Roberts est l’auteur de l’un des meilleurs films de guerre des années 60 : Le pont de Remagen (The Bridge at Remagen, 1969) de John Guillermin.
Le montage du Justicier de minuit, confié à Peter Lee Thompson (le fils de J. Lee Thompson) joue habilement, dans sa première partie, sur un effet déstructuration du temps du point de vue du tueur afin de pénétrer dans son esprit. J. Lee Thompson par nombre de touches dans le décor, le définit comme sexuellement impuissant et certainement homosexuel refoulé. Thompson soigne sa mise en scène avec un découpage précis faisant ressortir de ses séquences une tension angoissante. Il tient la corde avec ses meurtres particulièrement bien réalisés et troublant avec son tueur nu face à ses victimes, parfois aussi dans le plus simple appareil. L’impact des coups est hors cadre et le sang coule à flots comme dans Psychose (Psycho, 1960).
Charles Bronson est impeccable, il campe un homme seul qu’un gouffre générationnel sépare de sa fille. Il n’a que son métier pour exister. Leo Kessler n’est pas un héros indestructible, mais un inspecteur qui vacille et finit par franchir la ligne dans une dernière scène pour le moins surprenante. Si elle peut être interprétée comme une concession aux bas instincts du public, elle entraine l’inspecteur Kessler dans un après bien incertain. Le traitement du personnage ne manque pas de finesse.
Gene Davis, frère de Brad Davis (le « héros » de Midnight Express), est impressionnant dans le rôle du tueur psychopathe. Il accentue un charisme malsain et l’associe à une raideur digne d’une machine à tuer. Warren Tracy est Le rôle de sa carrière. Avant de l’incarner, il avait tenu quelques petits rôles dont un dans le sulfureux polar en immersion dans le milieu gay SM new-yorkais : Cruising de William Friedkin. Quelques années après Le Justicier de minuit, Nicholas Winding Refn, grand fan de films en marge, le dirige dans le méconnu Inside Job. Gene Davis a fait carrière dans le téléfilm. Si vous avez l’œil, vous remarquerez une belle ex-playmate et vedette de la variété en France : Jeane Manson.
Le Justicier de minuit fait partie de ses polars des années 80, dans la droite ligne de ceux de la décennie précédente, solidement charpenté, violent et populaire.
Fernand Garcia
Le Justicier de minuit, une nouvelle édition Sidonis Calysta dans sa collection Charles Bronson. Le master HD est impeccable avec une belle définition dans le rendu des séquences de nuit. Le film est disponible en DVD ou Blu-ray, en complément : Le critique Stéphane Delorme revient sur la création du film et ses influences, mais aussi sur les impératifs commerciaux de la Cannon, dommage que cette présentation soit si courte (12 minutes). Charles Bronson, un héros populaire, un documentaire sur l’itinéraire de l’acteur, de son enfance miséreuse dans une ville minière aux studios d’Hollywood (40 minutes). Pour terminer cette section la bande-annonce de 10 to Midnight (4 minutes).
Le Justicier de minuit (10 to Midnight) un film de Jack Lee Thompson avec Charles Bronson, Lisa Eilbacher, Andrew Stevens, Gene Davis, Geoffrey Lewis, Robert Lyons, Wilford Brimley, Cosie Costa, Iva Lane, Kelly (Preston) Palzis, June Gilbert, Deran Sarafian… scénario : William Roberts. Directeur de la photographie : Adam Greenberg. Montage : Peter Lee-Thompson. Musique : Robert O. Ragland. Producteurs exécutifs : Menahem Golan et Yoram Globus. Producteurs : Pancho Kohner et Lance Hool. Production : The Cannon Group. – City Films. Etats-Unis. 1983. 101 minutes. Metrocolor. Arriflex. Format image : 1.85 :1. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française (d’époque). DTS-HD master Audio 2.0. Interdit aux moins de 16 ans.