Giancarlo Santi signe avec Le Grand duel son premier film en tant que réalisateur. Il débute dans les années 60 comme assistant-réalisateur de Marco Ferreri sur Le lit Conjugal (L’ape regina, 1963), Le mari de la femme à barbe (La donna scimmia, 1964), le sketch d’Aujourd’hui, demain et après-demain (Oggi, domani, dopodomani, 1965) et Marcia nuziale (1966). Il est ensuite assistant-réalisateur pour Sergio Leone sur Le Bon, la Brute et le Truand et Il était une fois dans l’Ouest. Santi se voit confier la réalisation d’Il était une fois la révolution par le maître lui-même après le renvoi de Peter Bogdanovich. Mais James Coburn et Rod Steiger et la United Artists refusent catégoriquement Giancarlo Santi. Sergio Leone se voit contraint de reprendre le chemin de la mise en scène. Finalement, à quelque chose, malheur est bon, puisque Sergio Leone donne, avec cet ultime western, une vision désabusée de l’engagement politique sur une sublime musique d’Ennio Morricone.
Giancarlo Santi hérite de la réalisation du Grand duel, une production moins importante qu’Il était une fois la révolution, dans les canons et les limites budgétaires du western italien. Henryk Chroscicki, le producteur, connaît bien Santi, il avait produit Le lit conjugal de Ferreri. Santi retrouve Lee Van Cleef qu’il avait croisé sur Le Bon, la Brute et le truand et La mort était au rendez-vous (Da uomo a uomo, 1967) de Giulio Petroni. Curieusement, Le grand duel est tourné entièrement en Italie et non à Almeria.
Santi bénéficie d’un scénario efficace d’Ernesto Gastaldi, une des grandes plumes du cinéma populaire italien. Gastaldi alterne en ce début des années 70, gialli et westerns. Période intense et particulièrement créatrice où il cosigne plusieurs classiques du gialli aux titres merveilleux : L’étrange vice de Madame Wardh (Lo Strano vizio della signora Wardh, 1970), La queue du scorpion (La coda dello scorpine, 1971), Toutes les couleurs du vices (Tutti i colori del buio, 1972), Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé (Il tuo vicio è una stanza chiusa e solo io ne ho la chiave, 1972), Torso (I corpi presentano tracce di violenza carnale, 1973) tous réalisés par Sergio Martino, Les rendez-vous de satan (Perché quelle strane gocce di sangue sul corpo di Jennifer ?, 1972) de Giuliano Carnimeo, mais aussi quelques westerns : Une raison pour vivre, une raison pour mourir (Una ragione per vivere e una per morire, 1972) de Tonino Valerii et à la demande de Sergio Leone le formidable Mon nom est personne (Il moi nome è Nessuno, 1973) avec toujours Valerii à la réalisation et Un Génie, deux Associés, une cloche (Un genio, due compari, un pollo, 1975) de Damiano Damiani. Il travaille durant cette période pour Sergio Leone sur une mouture d’Il était une fois en Amérique, qui ne sera pas retenue. Ernesto Gastaldi est l’auteur de plus de cent scénarii portés à l’écran.
Lee Van Cleef est une star du western européen. Sa présence électrise le film, son personnage est tout droit sorti d’un Leone, quoi de plus normal. Et pour quelques dollars de plus et Le Bon, la Brute et le truand, on fait de Van Cleef, un acteur populaire. A l’instar de Clint Eastwood et de Charles Bronson, Van Cleef comprend rapidement que ce n’est pas la quantité de dialogue qui marque les spectateurs, mais l’attitude et la présence quasi-animal à l’écran. Ainsi dans Le grand duel, il réduit son dialogue au strict minimum. Van Cleef semble parfois en retrait par rapport à Peter O’Brien (Alberto Dentice), présenté, dans un premier temps, comme le « héros » de l’histoire. Mais O’Brien a beau se démener, rien n’y fait, Van Cleef, avec son profil d’aigle et son indéniable charisme, emporte le morceau. Gastaldi réussira un meilleur équilibrage entre Henry Fonda et Terrence Hill dans Mon nom est Personne. Van Cleef retrouve sa redingote d’Et pour quelques dollars de plus, pour la dernière fois. Il est la star du Grand duel.
On retrouve devant la caméra quelques belles gueules du cinéma européen. L’allemand, Horst Frank du cultissime Les Tontons flingueurs (1963) de Georges Lautner au Chat à neuf queues (1971) de Dario Argento, marque de sa présence nombre de films populaires. On se demande parfois ce qu’est devenu Klaus Grünberg après More (1969) de Barbet Schroeder. Le hippie junkie amant de Mimsy Farmer sous le soleil d’Ibiza se métamorphose en l’un des personnages les plus repoussants du western européen. Tueur efféminé au visage couvert de chancres, il est la souillure incarnée en totale contradiction totale avec son costume blanc immaculé. Gründerg est formidable.
Jess Hahn, visage de baroudeur, est l’Américain dans la tradition d’Ernest Hemingway, grand, robuste, truculent et excessif. Il participe au débarquement en Normandie et en 1949 s’installe définitivement en France. Il tourne principalement dans son pays d’adoption. Son premier film sur le sol français est Deux de l’escadrille (1952) de Maurice Labro. Eric Rohmer lui donne son premier rôle en vedette dans Le signe du Lion (1959). Il est l’Américain du cinéma français. Il tourne aussi, en France, sous la direction de cinéastes étrangers de passage, Richard Fleischer (Le grand risque, 1961), Orson Welles (Le procès, 1962), Clive Donner (Quoi de neuf, Pussycat, 1965) ou Terence Young (Triple Cross, 1966). Il est impressionnant dans Les grandes gueules (1965) de Robert Enrico. Le grand duel se situe dans sa « période » italienne où il en quille les films.
A mettre au crédit du film, les costumes de Lina Nerli Taviani, l’épouse de Paolo Taviani. Cette formidable cheffe costumière est de tous les films de Paolo et Vittorio Taviani de I Fiorilegge del matrimonio (1963) à Leonora addio (2022), magnifique évocation de Pirandello (inédit en France), en passant par des réussites aussi différentes que Allonsanfan (1974), Padre, padrone (1977) ou Good Morning Babilonia (1987). Elle aussi conçu des costumes pour Marco Ferreri (Le semence de l’homme, L’audience, Touche pas à la femme blanche), Bernardo Bertolucci (La Luna, La tragédie d’un homme ridicule), Andreï Tarkovski (Nostalghia) ou Nanni Moretti (Habemus Papam). Le Grand Duel, n’est pas son unique western, puisqu’elle était en charge des costumes de Tue et fais ta prière (Requiescant, 1967) de Carlo Lizzani.
Pas de grands ou simplement de bons westerns sans une musique digne de ce nom. La musique de Sergio Bardotti avec une orchestration de Luis Bacalov, Morriconesque à souhait, est formidable et soutien parfaitement le film.
Le Grand duel est un excellent western européen, réalisé avec inventivité et un grand sérieux.
Fernand Garcia
Le Grand duel, une édition combo (DVD + Blu-ray) d’Eléphant Films dans La Vendetta Collezione, spécifiquement dédié au western européen. En complément : Le western italien par René Marx (26 minutes). Le film par Nachiketas Wignesan (24 minutes). La bande-annonce italienne et internationale et les films dans la collection : La mort était au rendez-vous et Mon nom est Pecos. La Jacquette réversible et inclus un livret sur Le grand Duel par Alain Petit (12 pages).
Le Grand duel (Il grande duello) un film de Giancarlo Santi avec Lee Van Cleef, Peter O’Brien (Alberto Dentice), Jess Hahn, Horst Frank, Klaus Grünberg, Antony Vernon (Antonio Casale), Marc Mazza, Dominique Darel, Sandra Cardini (Alessandra Cardini), Gastone Pescucci, Anna Maria Gherardi, Salvatore Baccaro… Scénario : Ernesto Gastaldi. Directeur de la photographie : Mario Vulpiani. Costumes : Lina Nerli Taviani. Montage : Roberto Perpignani. Musique : Sergio Bardotti. Direction et orchestration : Luis Enriquez Bacalov. Producteurs : Henryk Chroscicki et Ettore Rosboch. Production : Italie. 1972. 94 minutes. Couleur. Format image : 2,35 :1. Son : Version Italienne et Anglaise avec ou non sous-titres français et anglais et Version française. DTS HD Dual Mono 2.0. Tous Publics.