Une nuit sous une pluie battante. Sur une terre gorgée d’eau, des hommes s’avancent péniblement. Ils entourent un condamné qui monte à l’échafaud. Il va être pendu. Le bourreau baisse la commande de la trappe. Au même moment, au-dessus d’un berceau de Danny, une poupée se balance. Le bébé est terrorisé, c’est le fils du condamné. Les années passent, Danny (Dane Clark) est le souffre-douleur des autres gamins de la ville et en particulier de Jerry Sykes (Lloyd Bridges), fils du banquier. Adultes, Danny et Jerry ont une dernière altercation au sujet d’une jeune femme, Gilly (Gail Russell), qu’ils convoitent tous deux. Pour la première fois, Danny a le dessus et le tue accidentellement. Paniqué, il cache le corps…
Frank Borzage (1893-1962) est malheureusement un réalisateur trop oublié. Ce grand nom du cinéma des années 30 ne sait pas encore que Le Fils du pendu, qu’il produit avec un budget de misère à la Republic, est le film de la fin. L’échec du Fils du pendu va le condamner à de longues années loin des plateaux. Il reviendra pour deux films et demi, China Doll en 1958, Simon le pêcheur en 1959, et L’Atlantide dont Edgar G. Ulmer achève le tournage en 1961. Borzage avait débuté très jeune comme acteur au théâtre avant d’avoir de petits rôles dans nombre de westerns. Ce fils d’immigré italien finit par passer à la réalisation en 1916 avec Immediate Lee. Dès la fin des années 20, il est déjà un metteur en scène de renom. Il trouve son style dans le mélodrame romantique. Au fil des films, il perfectionne une base scénaristique, celle d’un couple d’amants qui surmontent les terribles épreuves que le destin va mettre sur leur route. A partir de ce postulat simple, Borzage va réaliser de grands films muets et sonores. Il connaît l’apogée de sa carrière dans les années 30. De son œuvre, on retient généralement deux chefs-d’œuvre comme exemple de son art, L’Heure suprême (Seventh Heaven, 1927), la quintessence du mélodrame hollywoodien muet, et Le fils du pendu (1948), film noir d’une indiscutable force poétique.
On retrouve dans Le Fils du pendu le schéma classique des films de Borzage mais cette fois dans le cadre d’un film noir. Danny Hawking est obsédé par la fin de vie de son père. Solitaire, il lui est sans cesse rappelé le triste destin de son géniteur. Son quotidien se résume à fuir les autres, son unique ami est un noir qui s’est isolé volontairement dans les marécages loin de la civilisation. Pourtant, Danny entraperçoit une lueur d’espoir dans les yeux d’une jeune institutrice Gilly fraîchement débarquée en ville. Mais ses rapports avec Gilly sont difficiles. Et c’est en cachette qu’ils vivent leur amour naissant. Danny n’ose exprimer publiquement ses sentiments comme si le poids du passé lui interdisait tout bonheur. Jerry, son pire ennemi, tente de lui voler cet amour. Rapport de classe violent et irréconciliable entre un fils de pestiféré et un fils de riches. Au cours d’une énième altercation, Danny le tue accidentellement, sans préméditation, mais avec la hargne aveuglante d’années de brimades et de souffrances psychologiques. Danny entre dans les pas de son père s’imaginant prédestiné à un destin de meurtrier. Danny est un être à la dérive. Il cache à Gilly son terrible geste et s’enfonce dans la terreur des jours qui s’annoncent. L’enquête se met en place. Gilly ne comprend pas les réactions de Danny et tente comme elle peut de l’aider. Drame noir, intense, sans issue, et pourtant, c’est en partant dans les marais que Danny ira à la découverte de qui était vraiment son père, sa mère et qu’il va finir par s’accepter comme un homme avec ses contradictions et ambiguïtés. Ce cheminement n’est possible que grâce à la force de l’amour. Cet amour envers Gilly le maintient encore dans l’espace des êtres humains.
La mise en scène de Frank Borzage est d’une grande intelligence. Son ouverture est un modèle de narration, de finesse, où il expose visuellement toutes les étapes qui vont façonner le caractère de Danny. Il y a chez Borzage une manière d’une grande élégance à isoler les amants du reste du monde. Il sait se rapprocher au plus près des visages pour en capter cette étincelle de vie qui donne un espoir à des personnages au cœur des ténèbres. L’univers est noir, mais Borzage ne se résout pas à la tragédie, à un inéluctable dénouement et il termine en demi-teinte. Quel sera le destin de Danny et Gilly ? Notre seule certitude est que le couple marche d’un même pas vers un destin certes incertain, comme à la fin des Chaplin, mais à deux, main dans la main. C’est simple, parfaitement assumé et d’une grande beauté.
Fernand Garcia
Le fils du pendu est édité par Artus Films dans le collection Les Classiques – Film noir, report correct, sans compléments de programme mais le film se suffit à lui-même.
Le Fils du pendu (Moonrise) un film de Frank Borzage avec Dane Clark, Gail Russell, Ethel Barrymore, Allyn Joslyn, Rex Ingram, Henry Morgan, Harry Carey, Jr., David Street, Selena Royle, Lloyd Bridges… Scénario : Charles Haas d’après le roman de Theodore Strauss. Directeur de la photographie : John L. Russell. Décors : Lionel Banks. Costumes : Adele Palmer. Montage : Harry Keller. Musique : William Lava. Producteur : Charles Haas. Production : Marshall Grant Pictures – Republic Production – Chas. K. Feldman Group Productions. États-Unis. 1948. 86 minutes. Noir et blanc. Ratio image 1.37 :1. 16/9e compatible 4/3. VOST. Tous Publics.
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