Plus de cinquante ans après sa réalisation, Le Feu follet fascine toujours autant. Mélancolie du temps qui passe, de l’enfance qui s’écoule comme le sable d’une main. Le Feu follet œuvre dans l’intime, dans la relation qu’un homme peut avoir au monde. Le Feu follet s’ouvre par une scène d’amour subjective – le regard d’Alain (Maurice Ronet) sur une femme qui s’abandonne…
Pauvre Alain comme vous êtes mat…
Alain est marié à une Américaine Dorothy qui paye son internement dans une maison de santé spécialisée. Quatre mois sans boire depuis la fin du traitement. Alain vient de passer la nuit avec une amie de leur couple Lydia. Avant de prendre l’avion, elle lui donne un chèque sous le prétexte d’une vieille dette de jeu. Il la supplie de rester, fantasme d’un amour improbable, auquel il ne croit pas. Lydia a eu ce qu’elle voulait. Ils se quittent. Alain est dans le rien… Ces journées sont faites de lectures. Des articles de presse, des faits-divers sont éparpillés dans sa chambre, aux murs : des photos, planches-contacts de sa femme ou de Marilyn Monroe. Sur le miroir – une date au marqueur noir…
23 juillet
La raison domine-t-elle la volonté ? Il arrive un moment dans la vie où l’on ne s’accroche plus. Les questions philosophiques restent lettre morte. Misère… l’ennuie. Alain s’avance vers la date fatidique. Il va se suicider. Il écrit un journal intime… rature… et puis le jette définitivement… de lui il ne restera rien, aucune trace dans la mémoire de ses contemporains.
Ma vie ne va pas assez vite alors je l’accélère, je la redresse…
Une arme soigneusement emballée, un coup et le cœur qui explose. De sa fenêtre, Alain assiste au quotidien de vie anonyme : une jeune femme qui passe un étui à violon à la main, la circulation… rien ne le retient. Alain a lâché prise… depuis longtemps.
Une angoisse perpétuelle…
Une dernière journée, Paris, un chèque à encaisser, quelques amis à voir… deux ans d’absence, Alain ne retrouve plus ses amis de dépravation mais des gens engoncés dans le conformisme, sans espoir mais des certitudes. Certitudes médiocres de ceux qui ont renoncé à la fantaisie de la vie. Eva, amie, droguée, ruinée, figée dans un monde moribond. Des anciens amis, des paumés d’extrême droite… Rien que le vide autour de lui. Assis à la terrasse du Flore, il observe les femmes qui passent, les hommes qui attendent…
Un gentil garçon très malheureux
Alain est dans un monde de prédateurs. Des hommes en perpétuelle compétition pour le corps des femmes. Il refuse ce monde bourgeois de faux-semblants où personne n’est dupe mais tout le monde fait comme si. Fausseté du monde des adultes. Alain n’en peut plus. Seules les femmes font preuve de lucidité sur la réalité de son « mal ». Alain n’a plus aucune prise sur les femmes, elles lui font peur. La fête est finie. La journée s’est écoulée.
Dès l’ouverture, la cause est entendue, le chemin est tracé, la conclusion : la mort. Triste bilan, Alain refuse la disparition de sa jeunesse, de l’insouciance, de la sincérité des contacts humains. Le Feu follet n’est rien d’autre que la difficulté d’être un homme. C’est une des belles réussites de Louis Malle à laquelle il faut associer Maurice Ronet, prodigieux. Un film à deux. Alain est tout autant Louis Malle que Maurice Ronet. Ronet, ce n’est pas un secret, était alcoolique, sur son visage s’expriment tous les tourments d’Alain. Une interprétation magique, bouleversante.
Le Feu follet est la première adaptation de Louis Malle seul. « J’aime beaucoup Drieu, l’écrivain. Le Feu follet est mon livre de chevet. Et j’ai eu soudain envie de l’adapter. Ca s’est décidé très vite, comme pour tous mes films. Ce roman m’a paru cristalliser au niveau du scénario des tas de choses importantes pour moi. (…) Le Feu follet est le roman d’un ratage ; au fond Drieu est un grand écrivain raté parce que toute son œuvre traite du ratage. Les défauts de ce film sont les défauts de nos vies, inaccomplies, névrosées. »
Louis Malle insuffle à Alain son propre ressenti ; malgré les succès, il se sent « au creux de la vague ». Il déplace l’action des années 30 à l’époque contemporaine, tout en restant fidèle à la vérité profonde de l’œuvre. C’est pour Louis Malle « un acte d’exorcisme ; beaucoup de choses que je me reproche sont dans ce personnage. »
En 1930, Drieu la Rochelle écrit la mort de son ami feu follet : Jacques Rigaut. Tous deux sont écrivains. Rigaut, gigolo et cocaïnomane, mène une vie dissolue. Ami d’André Breton, il écrit « Nous nous tuerons ce soir si c’est notre bon plaisir » dans l’Anthologie de l’humour noir. Rigaut avait pris la décision à 20 ans que sa vie ne dépasserait pas l’horizon de ses 30 ans. Pendant 10 années, il a rempli sa vie et puis, le 5 novembre 1929, il s’est suicidé d’une balle dans le cœur. Drieu, pour qui Rigaut n’était jusque-là qu’un dandy sans consistance est profondément marqué par sa mort. Lui aussi se tue en 1944. Les raisons de son acte restent mystérieuses : peur de la prison (il s’était engagé en faveur de la collaboration), peur de vieillir, fascination pour le suicide ? Questions à jamais sans réponses…
« Je me tue parce que vous ne m’avez pas aimé, parce que je ne vous ai pas aimés. Je me tue parce que nos rapports furent lâches, pour resserrer nos rapports. Je laisserai sur vous une tache indélébile. »
Carton final sur le visage d’Alain/Ronet, a la force de ses images qui restent à jamais graver dans la mémoire des spectateurs. Le feu follet est un des chefs-d’œuvre de Louis Malle.
Fernand Garcia
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Rétrospective Louis Malle à la Cinémathèque Française du 14 mars au 1er avril 2018
Le Feu follet est édité en Blu-ray et DVD par Gaumont.
Le Feu follet un film de Louis Malle avec Maurice Ronet, Léna Skerla, Yvonne Clech, Hubert Deschamps, Jean-Paul Moulinot, Mona Dol, Pierre Moncorbier, Jeanne Moreau, Romain Bouteille, Alexandra Stewart… Adaptation & dialogue : Louis Malle d’après le roman de Pierre Drieu la Rochelle. Directeur de la photographie : Ghislain Cloquet. Décors : Bernard Evein. Costumes : Gitt Magrini. Montage : Suzanne Baron. Musique œuvre d’Erik Satie. Production : N.E.F. Nouvelles Editions de Films. France. 1963. 108 minutes. Noir et blanc. Format image : 1.66 :1. Tous Publics. Prix Spécial du Jury, Festival de Venise 1963