Fort Alamo est assiégé par l’armée mexicaine. A l’intérieur, il faut tenir coûte que coûte. Un émissaire du Général Sam Houston, Dawes (Neville Brand), réussit à traverser les lignes ennemies et les informe qu’ils n’auront pas de renfort. Pour le Colonel Travis (Arthur Space), la cause est perdue, il faut simplement tenir le plus longtemps possible. Quelques fermiers-soldats texans décident de tirer à la courte paille celui qui parmi eux partira pour protéger leurs familles. John Stroud (Glenn Ford) hérite de la mission et quitte Fort Alamo. Il est le seul homme à partir sous le regard désapprobateur des soldats. Arrivé sur sa propriété, Stroud découvre que sa femme n’est plus qu’une ruine et un petit mexicain lui apprend que la famille a été tuée par un bandit Jess Wade (Victor Jory) et ses hommes. En ville, on lui annonce que Fort Alamo est tombé…
Le déserteur de Fort Alamo tient entièrement sur la mise en scène remarquable de Budd Boetticher et la qualité d’interprétation de Glenn Ford. On retrouve, ce qui deviendra un thème récurrent dans l’œuvre de Boetticher, un homme « héros ordinaire » perçu par le groupe pour un lâche. La grande habileté du scénario est d’avoir fait de Stroud un homme incapable de s’exprimer, sorte de paysan bourru. Ainsi, face aux autres, il reste sur la réserve et n’arrive pas à expliquer les raisons de son départ de Fort Alamo. Stroud est aux yeux de la communauté un poltron. La vindicte est terrible et il est à deux doigts de se faire lyncher. Le film raconte long chemin de Stroud vers une sorte de rédemption.
Le déserteur de Fort Alamo est une efficace série B de Budd Boetticher produite par Universal. Si les westerns de Boetticher sont moins célèbres que ceux de John Ford ou d’Howard Hawks, ils n’en sont pas moins des films formidables et pour certains de véritables chefs-d’œuvre. Cinéaste farouchement indépendant, la carrière de Boetticher est assez singulière. A vingt ans, après des études universitaires dans une école militaire, il quitte les Etats-Unis et devient matador au Mexique. De retour aux Etats-Unis à la fin des années 30, il est embauché par le producteur Hal Roach pour de menus travaux sur ses films. Boetticher gravit petit à petit les échelons. Il est, entre autres, conseiller technique pour les corridas d’Arènes sanglantes, un grand succès signé par Rouben Mamoulian en 1940.
A vingt-huit ans, il passe à la réalisation avec un contrat à la Columbia pour des séries B policières. Durant la Seconde Guerre mondiale, Boetticher est incorporé dans la marine. Il réalise quelques films de propagande pour la Navy. De retour à Hollywood, il travaille pour des petits studios fauchés : Eagle-Lion, la Monogram… et tourne pour la Republic La Dame et le Toréador (Bullfighter and the Lady, 1951) avec Robert Stack. Le film est un vrai petit succès, qui décroche une nomination pour l’Oscar du meilleur scénario. Ce film lui ouvre la porte des Majors.
Il signe avec Universal et réalise neuf films en deux ans dont Le déserteur de Fort Alamo. Il s’associe au producteur Harry Joe Brown, au scénariste Burt Kennedy et à l’acteur Randolph Scott pour une série royal de westerns. En 1961, il retourne au Mexique pour tourner un docu-fiction sur la vie du matador Carlos Arruza et la corrida. Entre divorce et aventures sentimentales, Boetticher, ruiné, s’enfonce avec son film. En 1966, sa vedette, Arruza meurt dans un accident de voiture, mais Boetticher a assez de matière pour terminer le film et c’est avec l’aide financière du réalisateur John Sturges (Les 7 mercenaires) qu’il arrive au bout de sa tâche. Pourtant, un différend artistique sur le montage aboutit à une brouille entre les deux cinéastes. Arruza sort sur les écrans américains en 1972 dans l’indifférence générale !
Après une si longue absence, Boetticher est au mieux un inconnu à Hollywood, au pire un has-been. Don Siegel, un fidèle ami, lui achète l’histoire de Sierra Torride (Two Mules for Sister Sara, 1970) qu’il tourne avec Clint Eastwood et Shirley MacLaine. Entre-temps, Budd Boetticher est engagé par Audie Murphy pour tourner A Time for Dying, mais l’acteur-producteur décède dans un accident d’avion en 1971, avant la sortie du film. De sombres questions de droits vont bloquer le film qui ne sera visible qu’en 1982 ! Oublié, Budd Boetticher est mort en 2001, à l’âge de 85 ans, dans la pauvreté.
Le déserteur de Fort Alamo est un petit western bourré de qualités. Encore une fois, Glenn Ford réussit à rendre parfaitement crédible un personnage qui n’est pas si évident sur le papier. Il en fait un homme renfermé, muré dans son silence, dans sa culpabilité, ce qui est un bon axe et c’est par l’action qu’il s’exprime. Ainsi, la première séquence où héroïquement il redresse le drapeau sur les fortifications du fort est la traduction visuelle de ce qu’est le personnage. C’est donc par l’action qu’il va se racheter aux yeux de la communauté. Qualité psychologique et physique pour Glenn Ford qui se donne entièrement dans de spectaculaires scènes de bagarre dont la dernière en haut d’une cascade est particulièrement impressionnante.
A ses côtés, la charmante Julia Adams, un second rôle de choix. Elle apporte une subtilité de jeu qui retire son personnage des carcans des stéréotypes du genre. Cette excellente actrice est restée cantonnée par Universal dans ses productions de série B. Elle doit sa relative célébrité à l’Étrange créature du lac noir (Creature from the Black Lagoon, 1952). On ne compte plus les photographies qui circulent d’elle en maillot de bain dans les bras de la créature !
Victor Jory est comme Glenn Ford, un acteur canadien. Il est un méchant tout à fait crédible. Cet ex-champion de boxe et de lutte avait marqué les esprits en incarnant l’épouvantable Jonas Wilkerson d’Autant en Emporte le Vent (Gone with the Wind, 1939), ce qui lui vaudra d’incarner tout au long de sa carrière une multitude de rôles de bandits, de renégats, de gangsters, de prisonniers, etc. que ce soit pour le grand ou le petit écran. Sa dernière apparition à l’écran est dans Fureur sauvage (The Mountain Men), l’un des derniers westerns « classiques » réalisé par Richard Lang avec Charlton Heston, en 1980.
La superbe photographie du Déserteur de Fort Alamo est de Russell Metty. Il est l’un des piliers de l’image à Universal. Il enquille les productions, jusqu’à cinq films par an. Né en 1906 à Los Angeles, Metty débute au département caméra de la Paramount à 21 ans. En 1926, il entre à la R.K.O. comme caméraman. Il y rencontre Orson Welles et travaille sur Citizen Kane (1941) et La Splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons, 1942). Metty signe pour Orson Welles la photographie du Criminel (The Stranger, 1946) et d’un chef-d’œuvre du film noir, La soif du mal (Touch of Evil, 1958). Mais sa plus longue collaboration reste celle avec Douglas Sirk. Dix films, dont ses somptueux mélodrames des années 50. Anthony Mann, avant d’être renvoyé au bout d’une semaine de tournage par Kirk Douglas, lui confie la photographie de Spartacus (1960). L’entente entre Russell Metty et Stanley Kubrick est houleuse. Kubrick est plus interventionniste dans la photographie que la plupart des réalisateurs hollywoodiens. Spartacus faudra à Metty son unique Oscar.
En 1961, il est de l’aventure du mythique The Misfits avec Clark Gable, Marilyn Monroe, Montgomery Clift, Arthur Miller et John Huston. Autres réussites, le scope-couleur du Seigneur de la guerre (The War Lord, 1965) aventure médiévale réalisée par Franklin J. Schaffner avec Charlton Heston. Metty retrouve l’acteur pour Le Survivant (The Omega Man, 1971), science-fiction fascinante de Boris Sagal. A partir des années 70, Metty est petit à petit accaparé par les séries TV des studios Universal. Il est à l’image du premier épisode de Colombo, Le livre témoin (Murder by the Book, 1971) réalisé par le jeune Steven Spielberg. Russell Metty est l’un des plus grands directeurs de la photographie américains.
Le déserteur de Fort Alamo est un western plaisant où l’on devine déjà toutes les qualités qui feront les grands westerns de Budd Boetticher. A redécouvrir…
Fernand Garcia
Le déserteur de Fort Alamo, une édition Silver, en combo (Blu-ray et DVD), de Sidonis/Calysta dans l’incontournable collection Western de légende. Le film est présenté dans un report HD de très bonne qualité (image et son restaurés). En compléments : Budd Boetticher par Bertrand Tavernier. Le réalisateur de Coup de torchon, évoque sa découverte du cinéaste et sa carrière (24 minutes env.). Présentation du film par Bertrand Tavernier, il revient longuement sur la mise en scène du film (19 minutes). Patrick Brion replace le film dans l’histoire du western et plus particulièrement dans l’année 1953, très grande année pour le genre, (7 minutes). Jean-François Giré, à partit d’une citation du livre d’entretiens de Bertrand Tavernier, Amis Américains, revient sur le film et sa vedette Glenn Ford (10 minutes env.). Enfin, la bande-annonce du film (2 minutes).
Le déserteur de Fort Alamo (The Man from the Alamo) un film de Budd Boetticher avec Glenn Ford, Julie Adams, Chill Wills, Hugh O’Brian, Victor Jory, Neville Brand, Jeanne Cooper, Guy Williams, Arthur Space, Dennis Weaver, Stuart Whitman… Scénario : Steve Fisher & D.D. Beauchamp d’après une histoire de Niven Busch et Olivier Crawford. Directeur de la photographie : Russell Metty. Décors : Alexander Golitzen & Emrich Nicholson. Costumes : Bill Thomas. Montage : Virgil W. Vogel. Musique : Frank Skinner. Producteur : Aaron Rosenberg. Production : Universal International Pictures. États-Unis. 1953. 79 minutes. Technicolor. Format image : 1.37 :1. 16/9e Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française. DTS-HD Master audio 2.0. Tous Publics.