Floyd Buckley convoite le trésor que renferme la Montagne Superstition, un énorme amas de rochers de 65 km de long et de 33 de large en l’Arizona. Comme tant d’autres, il croit en la légende d’un trésor de 20 millions de dollars en or croupissant dans la mine du Hollandais perdu. Personne ne l’a jamais trouvé et 21 hommes ont été tués pendant leur quête. Buckley est certain d’être sur la piste de la mine, quand, il est abattu. Barry Storm qui le suivait à distance a tout vu mais pas le tueur. Barry quitte ce lieu maudit pour la ville de Florence à trois jours de marche. Sur place, il dénonce au shérif l’odieux crime…
Le démon de l’or a de quoi surprendre. Au bout de vingt minutes, une éternité et une bobine, on se demande si l’on ne sait pas tromper de film, si le générique début annonçant Ida Lupino et Glenn Ford, n’est pas une mauvaise blague d’un technicien vidéo. Pas de stars à l’horizon et pour couronner le tout, Le démon de l’or est un policier et non un western ! Nous suivons l’histoire d’un certain Barry Storm, qui est l’auteur du roman duquel le film est tiré. Le déroulement du film est plutôt original. Le film s’ouvre sur une lettre du Gouverneur de l’Arizona validant l’histoire comme authentique quoique empruntant à la légende. La voix off, très doc de l’époque, nous entraîne dans la fameuse Montagne Superstition, un paysage des temps antédiluviens.
Il s’avère rapidement que Storm est le petit-fils de Jacob Waltz, le propriétaire de la mine d’or, le fameux Hollandais Perdu. Sur la piste de l’or, Storm suivait Buckley, afin de faire valoir ses droits sur la mine en cas de découverte. Le film déroule un flash-back de la rencontre entre notre écrivain et Buckley, puis de retour à Superstition, un autre flash-back prend le relais : celui de la légende. Vers 1800 et quelques, les Espagnols planquent leur or dans une mine la plus inaccessible possible à flanc de falaise. Quelle erreur, ils sont sur les terres sacrées des Apaches. Ni une ni deux, Cochise les massacre. La mine est scellée. Storm n’a qu’une idée mettre la main sur le pactole, et qu’importe qu’un sniper erre dans la montagne. Il part seul, enfin presque, à sa recherche.
Et Lupino et Ford dans tout ça ? La première bobine se termine, et la suite marque l’entrée en scène de nos deux stars pour un long flash-back, le meilleur du démon de l’or. Glenn Ford est un faux Hollandais, un Allemand, antipathique en diable, perdu sans le sou dans ses contrées. L’entrée en matière est formidable. Ford terrorise une petite fille en lui faisant tirer à la carabine. Sale blague qui épouvante la petite fille, mais le fait rire aux éclats. Le Hollandais est un sale type.
Signalons tout de suite une chose qui saute aux yeux : la différence de style entre la première partie contemporaine et la deuxième partie. Le film est signé par S. Sylvan Simon, réalisateur de comédies à l’Universal puis sous contrat à la MGM, rien de bien mémorable. George Marshall devait réaliser Le démon de l’or, avant de laisser tomber excédé par l’interventionnisme de S. Sylvan Simon. Difficile de dire quel est la part de Marshall dans le film. Le doute subsiste. Toujours est-il que cette longue partie westernienne est formidable. Reprenons le fil, le Hollandais trouve le trésor et déboule en ville. Tout le monde est derrière lui. Rien n’y fait, il reste muet comme une carpe. Plus maline, Julia Thomas (Ida Lupino), la boulangère, charge son mari (excellent Gig Young, dans un rôle ingrat) de le faire venir jusqu’à la boulangerie. Par un concours de circonstances, le Hollandais rencontre Julia et en tombe amoureux.
Les rapports entre le Hollandais et Julia sont étonnants, une liaison extraconjugale sous les yeux du mari en plein code Hayes ! C’est l’accouplement de deux crapules, le Hollandais a trucidé ses associés et la boulangère a « forcé » son mari à commettre un meurtre. Ils vont s’enfoncer dans une spirale infernale d’amour-haine à l’issu tragique. Ida Lupino et Glenn Ford s’en donnent à cœur-joie. Tous les personnages sont de parfaits salopards. L’esprit qui domine ce Démon de l’or est celui du Stroheim des Rapaces.
Ida Lupino qui se définissait avec humour comme la Bette Davis du pauvre tant elle avait enchaîné des petites productions, avec quelques sommets : Peter Ibbetson (1935) d’Henry Hathaway, le doublet : Une femme dangereuse (They Drive By Night, 1940) et La Grande évasion (High Sierra, 1941) de Raoul Walsh, Le Vaisseau fantôme (The Sea Wolf, 1941) de Michael Curtiz, Le Grand couteau (The Big Knife, 1955) de Robert Aldrich, La Cinquième victime (While the City Sleeps, 1955) de Fritz Lang. Ida Lupino est une très bonne actrice, nuancée et subtile. Attirée par la réalisation, la même année que Le démon de l’or, elle succède à Elmer Clifton, décédé durant le tournage, pour Avant de t’aimer (Not Wanted). Elle réalise ensuite son véritable premier film Faire Face (Never Fear, 1950) qu’elle écrit et produit avec son mari, Collier Young. Réalisatrice de cinq très bons films, incisifs et noirs, en trois ans, Ida Lupino poursuit sa carrière à la télévision dirigeant une trentaine d’épisodes de série TV, Alfred Hitchcock présente, Les incorruptibles, Le fugitif, etc. et d’actrice. Elle revient après 16 ans d’absence sur le grand écran pour Sam Peckinpah dans Junior Bonner : le dernier bagarreur (Junior Bonner) en 1972.
Dans Le démon de l’or, Ida Lupino forme avec Glenn Ford, un formidable couple illégitime. Excellente en femme fatale pétrie par l’ambition et le désir de sortir de sa condition, Lupino donne à son personnage une réelle profondeur qui le rend fascinant. Glenn Ford surprend en ordure capable des pires forfaits. Repoussant, sale, brut de décoffrage, il n’a rien pour lui et pourtant, on s’attache à son histoire. Glenn Ford et Ida Lupino se sont bien amusés à camper de tels personnages. Ce qu’il y a de formidable dans ce Démon de l’or est que tous les personnages, quelle que soit l’époque, sont antipathiques, ce qui n’est pas si fréquent.
Le démon de l’or est une rareté, originale, où sous les rochers de la montagne Superstition se dessine un lien invisible entre le western et le film policier. A découvrir.
Fernand Garcia
Le démon de l’or une édition Sidonis Calysta, pour la première fois en Blu-ray (combo ou unitaire), dans sa collection Silver – Western de légende. Master HD superbe et en complément : deux présentations : « …une construction invraisemblable (.) très curieuse » pour Patrick Brion qui revient sur l’année 49, la genèse du film, le conflit entre Simon et Marshall, etc. (7 minutes). « Un film assez curieux (.) mélange de film noir et de western » pour François Guérif, grand spécialiste du film noir et du western (14 minutes). Deux interventions parfaitement complémentaires.
Le démon de l’or (Lust for Gold) un film de S. Sylvan Simon avec Ida Lupino, Glenn Ford, Gig Young, William Prince, Edgar Buchanan, Will Geer, Paul Ford… Scénario : Ted Sherdeman & Richard English d’après Thunder Gods Gold de Barry Storm. Directeur de la photographie : Archie Stout. Décors : Carl Anderson. Costume : Jean-Louis. Musique : George Duning. Direction musicale : M.W. Stoloff. Montage : Gene Havlick. Producteur associé : Earl McEvoy. Producteur : S. Sylvan Simon. Production : Columbia Pictures Corporation. Etats-Unis. 1949. 90 minutes. Noir et blanc. Format image : 1,37 :1. Son : Version originale avec ou sans titre français et en Version Française. Mono 2.0. Tous Publics.