Au XIIe siècle, le désert de Gobi est en ébullition. Les Mongols, les Merkites, les Tartares et les Kéraïtes se disputent cette terre aride. Au fond d’une vallée, un convoi, à sa tête, le chef merkite Tartutaï (Leslie Bradley) conduit sa future troisième femme, la tartare Bortai (Susan Hayward) vers ses terres. Ils sont arrêtés par le chef mongole Temujin (John Wayne) et son frère, Jamuga (Pedro Armendáriz). La beauté de la tartare subjugue Temujin qui contre l’avis de son frère décide de la prendre et d’en faire son épouse…
Le Conquérant est autant une curiosité, un nanar qu’un film maudit. L’histoire du film est entrée dans les annales hollywoodiennes. En premier lieu par l’hécatombe de cancer qui a frappé les membres de l’équipe dans les années qui suivirent le tournage. Le Conquérant est tourné en extérieur dans l’Utah à proximité d’un site d’essai nucléaire de l’armée américaine. Pas moins de 11 explosions nucléaires auraient été effectuées dans cette partie désertique. La Commission de l’énergie atomique aurait assuré Howard Hughes, patron de la RKO, que le site prévu pour le tournage n’était pas contaminé par des retombées radioactives. Howard Hughes tranquillisé donne le feu vert à la production en 1954. La petite histoire raconte que John Wayne avait pensé que le compteur Geiger qui lui permettait de mesurer la radioactivité était cassé tellement il faisait de bruit. Après des semaines de tournage sur le site, l’équipe reprend le chemin des studios de la RKO à Hollywood. Hughes, afin d’être raccord, fait transporter plusieurs tonnes de terre (contaminées) dans ses studios. 91 membres de l’équipe sur les 220 qui constituaient l’équipe, sans prendre en compte les Indiens de la tribu des Shivwiths faisant office de figurants mongols, ni ceux qui visitèrent le plateau, ont développé un cancer au cours des 30 années qui suivirent. Quarante-six sont morts, les plus célèbres victimes sont John Wayne, Susan Hayward, Pedro Armendáriz (il s’est suicidé après avoir appris qu’il souffrait d’un cancer), Dick Powell, Lee Van Cleef, Agnes Moorehead, John Hoyt, etc. Pendant des années, les autorités ont mis en avant le tabac comme cause des cancers.
John Wayne, lucide, considérait ce film comme la pire erreur de sa carrière. Pourtant, Le Conquérant démarre plutôt bien avec son déroulant sur l’histoire de Gengis Khan et son paysage superbement filmé en CinemaScope. Tout s’annonce pour le mieux dans l’univers du cinéma à grand spectacle. Et patatras, tout s’effondre dans une spirale descendante sans fin. John Wayne est un improbable guerrier mongol, même dans le cadre des conventions hollywoodiennes. Le sommet du ridicule est atteint quand le futur Gengis Khan, les bras en croix, au sommet d’une colline, s’adresse à son père comme dans un film biblique. Il suffit de regarder avec attention les scènes pour percevoir une sorte d’incompréhension sur ce qui se passe de la part de John Wayne, qui portant avait fait beaucoup d’effort pour incarner le chef Mongol. Wayne avait choisi le film sur scénario dans le cadre d’un nouveau contrat de trois films avec la RKO. Dick Powell avait dans un premier temps pensé à Marlon Brando. Il était à deux doigts de renoncer à mettre en scène épopée de Gengis Khan et tente même de dissuader le Duke.
Comme pour John Wayne, Susan Hayward tente de donner un souffle de vie à la princesse. Mission impossible, tout déraille rapidement, du choix des costumes à son maquillage en passant par l’indigence de son dialogue. Toutefois, l’actrice est durant une bonne partie du métrage, l’un des rares centres d’intérêt du film, mais comme pour Wayne, elle ne semble pas à sa place. L’alchimie entre eux ne prend pas. Wayne n’est certainement pas le meilleur interprète de la passion amoureuse. Susan Hayward est, à son corps défendant, particulièrement fade dans la grande séquence de chorégraphie « érotique » des sabres. Quand Le Conquérant arrive sur les écrans en 1956, deux après son tournage, Susan Hayward se refait une santé avec un prix d’interprétation à Cannes pour Une femme en enfer (I’ll Cry Tomorrow) et un Oscar pour Je veux vivre ! (I Want to be Live!) en 1959.
Quant aux personnages secondaires, ils sont à peine esquissés, comme celui de Lee Van Cleef qui n’existe quasiment pas, ou curieusement développés quitte à faire disparaître un moment le couple vedette. Pedro Armendáriz, Agnes Moorehead (méconnaissable en mère de John Wayne !), William Conrad ou Ted de Corsia, pataugent un maximum. Seule a tiré son épingle du jeu (et encore) John Hoyt (et son improbable maquillage) dans le rôle d’un chaman. Il est vrai que son personnage est digne d’une bande dessinée comique. Tous ces comédiens sont bons, hélas ici dans des rôles impossibles.
Le Conquérant ressemble à une sorte de patchwork. Dans son étonnante autobiographie, Survivre à Hollywood (Marest Editions), Richard Fleischer livre un portrait du fantasque propriétaire de la RKO, Howard Hughes. Il était capable de faire refaire à l’infini certaines scènes, de changer d’acteur ou de réalisateur en cours de tournage, voire de reprendre intégralement un film. Pourtant de la RKO sont sorties d’immenses chefs-d’œuvre, pêle-mêle, Citizen Kane, les productions Val Lewton, King Kong, les comédies musicales avec Fred Astaire – Ginger Rogers, etc. N’oublions pas que Howard Hughes a lui-même réalisé deux films formidables : Les Anges de l’enfer (Hell’s Angels, 1930), une œuvre spectaculaire et novatrice qui avait suscité l’admiration de Stanley Kubrick, et Le Banni (The Outlaw, co-réalisé par Howard Hawks, 1943).
Dans Le Conquérant, il est évident que le film a été re-re-re-vu en cours de route. Ce que confirme la présence de quatre directeurs de la photographie au générique. La photographie est parfois remarquable et à d’autres moments plutôt quelconques. Le film tient tant bien que mal. Dick Powell accuse un déficit d’imagination dans sa mise en scène. Il ne trouve jamais le bon tempo avec les acteurs. Quant aux séquences de bataille (sûrement d’un réalisateur de deuxième équipe, lui aussi sans la moindre imagination) si elles débutent bien s’effondre rapidement dans un mouvement de répétition (la chute des cavaliers) laborieux.
Difficile aujourd’hui de savoir si Le Conquérant a été ou non un échec commercial. Howard Hughes décide toutefois de dissoudre la RKO en 1959. Peut-être la marque d’une lassitude de sa part pour le cinéma. Selon certaines sources, Hughes se sentant responsable de la contamination de l’équipe, interdit toute diffusion du film et récupéra à prix d’or toutes les copies en circulation. D’autres indiquent que le nabab aimait particulièrement le film et se le faisait projeter régulièrement. Le Conquérant restera invisible durant de longues années, il réapparu après le rachat du catalogue par Universal.
Le Conquérant, est une véritable curiosité érigé en film culte.
Fernand Garcia
Le Conquérant est édité en combo (DVD-Blu-ray) et unitaire par Sidonis/Calysta. Le film est présenté dans un excellent master HD (images et sons restaurés). En complément de programme : Patrick Brion revient sur l’histoire mouvementée du film (11 minutes). Enfin, la bande-annonce d’époque (3 minutes) clôt la section.
Le Conquérant (The Conqueror) un film de Dick Powell avec John Wayne, Susan Hayward, Pedro Armendáriz, Agnes Moorehead, Thomas Gomez, John Hoyt, William Conrad, Lee Van Cleef, Ted de Corsia, Leslie Bradley, Peter Mamakos, Leo Gordon… Scénario : Oscar Millard. Directeur de la photographie : Joseph LaShelle, William E. Snyder, Leo Tover et Harry J. Wild. Décors : Carol Clark & Albert S. D’Agostino. Costumes : Yvonne Wood & Michael Woulfe (pour Susan Hayward). Montage : Robert Ford & Kennie Marstella. Musique : Victor Young. Producteur associé : Richard Sokolove. Producteur : Dick Powell (et Howard Hughes non-crédité). Production : RKO Radio Pictures. États-Unis. 1956. 112 minutes. Technicolor. CinemaScope. Format image : 2,55 :1. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française Tous Publics.