1080 après JC. Sur les rives d’Afrique du Nord, le sultan Ben Youssouf (Herbert Lom) réunit les émirs Maures d’Al-Andalus. Il leur ordonne de se mettre en ordre de bataille, de faire en sorte que les Espagnols s’entre-déchirent. Oublier, la science, les livres, Ben Youssouf n’a qu’un but conquérir l’Espagne puis l’Europe au nom du Prophète… Quelques années après, l’Espagne est presque entièrement aux mains des Maures. Les petits royaumes d’Aragon et de Léon résistent encore. Don Rodrigo Diaz de Vivar (Charlton Heston) en route pour retrouver sa bien-aimée Chimène (Sophia Loren), livre bataille et capture deux princes arabes, Al-Mu’tamin (Douglas Wilmer) de Sargosse et Al-Kadir (Frank Thring) de Valence. Arrivée à Vivar, devant la foule déchaînée, Don Rodrigue épargne les deux princes à condition qu’ils n’attaquent plus jamais les terres appartenant au roi Ferdinand de Castille (Ralph Truman). Les deux princes le proclament « El Cid » et lui jurent allégeance. Le comte Ordóñez (Raf Vallone), présent, l’accuse de trahison…
L’osmose entre l’individu et son environnement, la façon de saisir visuellement un dilemme pour le refléter dans le paysage, démontre l’intelligence de la mise en scène d’Anthony Mann. Avec Le Cid, Mann propose une approche humaniste de la guerre. Mais tout est difficulté dans le cinéma de Mann ainsi la morale finie par avoir raison du Cid et son panache chevaleresque l’entraîne dans la tragédie. Tuer ou mourir, Dieu a construit le monde pour que les hommes se détruisent.
Tout est affaire de mise en scène. Le mouvement final, ascensionnel suivi d’un panoramique latéral, fait disparaître le Cid du cadre avant de le récupérer, point de vue du « ciel », celui du Crucifier sur sa « créature », ce superbe plan répond en écho à celui du début. Une épée ensanglantée entre dans le champ, portée par le futur Cid, face à un Christ crucifié (en contre-plongée) frappé par des dizaines de flèches. La vie, la mort et la résurrection, épreuve qui passe par le glaive, la destruction, la souffrance. Le sacrifice final du Cid, chevauchée d’un cadavre, marque par-delà la mort sa victoire. Entre le début et la fin, se déploie un film majestueux à la construction et à la réflexion admirable. La tragédie du Cid et de Chimène n’est rien d’autre que l’inscription de destins individuels au sein de combats politiques qu’ils tentent de maîtriser.
Le Cid est une œuvre épique et romanesque. Le couple Cid/Chimène s’aime, se déchire, se retrouve. Chimène doit respecter la dernière volonté de son père, Don Gomez. Elle doit le venger du Cid. Le drame se noue, de l’amour Chimène passe à la haine. Autour d’elle, se tisse tout un réseau d’intérêt manipulateur, le comte Ordóñez, la princesse Urraca (Geneviève Page) et du prince Alfonso (John Fraser). Tous pour des raisons de pouvoir souhaitent la disgrâce voire l’élimination du Cid.
Charlton Heston incarne avec puissance Le Cid. Grand acteur Shakespearien de la scène théâtrale américaine, Charlton Heston, est un choix parfait. Il est l’un des derniers acteurs hollywoodiens à incarner des personnages de héros plus grand que nature. Heston, c’est la combinaison de l’épique et de la tragédie. En 1960, Heston a un statut de méga-star, il vient tout juste d’être oscarisé pour Ben-Hur (1959), un triomphe commercial pour la MGM. Carrière parfaitement maîtrisée avec des choix étonnants et singuliers : Major Dundee (1965) de Sam Peckinpah, Le Seigneur de guerre (The War Lord, 1965) de Franklin J. Schaffner ou Will Penny, le solitaire (1967) de Tom Gries.
Il est l’un des premiers à s’investir dans des films de science-fiction, La planète des singes (Planet of the Apes, 1968)de Franklin J. Schaffner, Le survivant (The Omega Man, 1971) de Boris Segal ou Soleil vert (Soylent Green, 1973) de Richard Fleischer, comptent parmi les plus belles réussites du genre. Les années 70 avec son cortège de antihéros poussent Heston vers la sortie. Il n’en demeure pas moins que certains films de cette époque méritent le détour dont le formidable Un tueur dans la foule (Two-Minute Warning, 1976) thriller à la lisière du film catastrophe, qui connut de sérieux problèmes avec la censure, avec John Cassavetes, Gena Rowlands et Martin Balsam, réalisé par Larry Peerce. Son dernier grand film, le cauchemardesque L’Antre de la folie (In the Mouth of Madness, 1994) sous la direction de John Carpenter date de 1994.
Le premier scénario du Cid est l’œuvre de Fredric M. Frank, une des plus plumes favorites de Cecil B. DeMille, pour qui, il rédige Les conquérants d’un nouveau monde (Unconquered, 1947), Samson et Dalilia (1949) Sous le plus grand chapiteau du monde (The Greatest Show on Earth, 1952), pour lequel il remporte l’Oscar du meilleur scénario, et des Dix Commandements (The Ten Commandments, 1956). Le Cid est son dernier scénario pour le grand écran. A 49 ans, aussi curieux que cela puisse paraître, Fredric M. Frank disparaît des radars. A partir de ce scénario de base (assez volumineux), Anthony Mann, Charlton Heston et Philip Yordan, modèlent le film.
De son côté, Sophia Loren, mécontente de ses scènes, demande une réécriture. Elle propose Ben Barzman, inscrit aux Etats-Unis sur la liste noire, pour réviser le script. Barzman, auteur anglo-canadien, est principalement connu pour ses collaborations avec Joseph Losey, aux Etats-Unis, Le garçons aux cheveux verts (The Boy with Green Hair, 1948) puis en exil en Europe, Un homme à détruire (Imbarco a mezzanotte, 1952), Temps sans pitié (Time Without Pity, 1957), L’Enquête de l’inspecteur Morgan (Blind Date, 1959) et Les damnés (The damned, 1962), des films remarquables. Barzman reprend, à quelques jours du tournage, le scénario en se référant au Cid de Pierre Corneille.
Sophia Loren voit ses dialogues renforcés et ses scènes plus a son avantage, mais la française Geneviève Page lui vole la vedette. Dans un rôle d’une grande manipulatrice perfide, Page révèle toute une gamme de sentiments troubles.
Magnifique actrice, Geneviève Page, elle est dirigée sur les planches par Sacha Guitry pour Désiré (1953), partenaire de Gérard Philipe au cinéma dans Fanfan la Tulipe (1951) et au théâtre dans la légendaire version de Lorenzaccio (1958). Jean Vilar la met en scène dans Les Caprices de Mariannes (1958) et Jean-Louis Barrault à l’Odéon dans Le Soulier de Satin (1963). Elle incarne la mère maquerelle de Belle de Jour (1967), chef-d’œuvre transgressif de Luis Buñuel. Elle tourne sous la direction de Billy Wilder, dans un autre chef-d’œuvre : La vie privée de Sherlock Holmes (The Private Life of Sherlock Holmes, 1970). Page donne la réplique à Robert Mitchum dans L’Enigmatique Monsieur D (Foreign Intrigue, 1956), tourna sous la direction de George Cukor et Charles Vidor dans le biopic consacré à Franz Liszt : Le Bal des adieux (Song Without End, 1960) avec Dirk Bogarde ; de René Clément dans le méconnu Le jour et l’heure (1962) ; de John Frankenheimer dans Grand Prix (1966) ; de Terence Young pour le romantico-historique Mayerling (1968). Sa carrière au cinéma, ne lui a jamais fait délaisser le théâtre. Geneviève Page est restée une grande dame du théâtre. Elle joue, sur la période 1970-2010, Henrik Ibsen, Jean Cocteau, Paul Claudel, Rainer Werner Fassbinder, Victor Hugo, Jean Anouilh, Edward Albee, Bertolt Brecht. Sa dernière apparition sur scène remonte à 2011, dans Britannicus de Racine, mis en scène par Michel Fau au Festival de Théâtre de Figeac. Charlton Heston apprécia de joue avec Geneviève Page, la considérant comme l’une de ses meilleures partenaires. Elle est royalement perfide dans Le Cid.
Le Cid est l’une des plus belles et impressionnantes superproductions des années 60. Produit par Samuel Bronston en Espagne dans ses immenses studios. L’énorme succès du Cid permet à Bronston de mettre en chantier deux autres productions titanesques : Les 55 jours de Pékin que réalise (en grande partie) Nicholas Ray et La chute de l’Empire Romain avec Anthony Mann. Bronston tente de reformer le couple Charlton Heston et Sophia Loren. Mais Heston a des réserves sur le scénario de La Chute de l’Empire Romain et surtout ne souhaite pas retrouver Sophia Loren. Il accepte avec enthousiasme Les 55 jours de Pékin avec Ava Gardner dans le premier rôle féminin.
Sophia Loren se retrouve sur La Chute de l’Empire Romain en compagnie de Stephen Boyd, avec à la clé un cachet-record d’un million de dollars. Le succès des 55 jours de Pékin ne compensera pas les pertes abyssales de La Chute de l’Empire Romain. Samuel Bronston acculé par ses créanciers ferme boutique. Les superproductions de Samuel Bronston sont des films de grande qualité, dont la direction artistique, de Veniero Colasanti et John Moore, est absolument superbe. Œuvres ambitieuses, elles sont les derniers éclats du cinéma à très grands spectacles, vestiges d’une autre époque. La chevauchée du Cid n’a rien perdu de son pouvoir de fascination. De l’épique à redécouvrir !
Fernand Garcia
Le Cid, magnifique édition limité combo (2 DVD, 1 Blu-ray et livre) sur « l’un des plus grands films épiques jamais réalisés » dixit Martin Scorsese disponible chez Rimini Editions (Report HD superbe, le film retrouve toute la beauté de ses couleurs), en compléments : Le Cid, Figure christique, présentation du film par Jean-François Rauger « Anthony Mann une exigence de réalisme » et « les paysages ont une dimension tragique » (27 minutes env.). Le Cid ou la figure de Franco par Samuel Blumenfeld « on ne comprend rien au Cid si on ne comprend pas les enjeux politiques portés par le film », Samuel Bronston et Michael Waszynski réussissent à convaincre Franco tant et si bien que « Franco déclare le film d’intérêt national, Le Cid c’est moi ». Film utilisé par Franco pour faire revenir l’Espagne sur la scène internationale, mais le sens artistique d’Anthony Mann et le talent des scénaristes vont faire du Cid une œuvre à part entière (13 minutes env.). Deux documents réalisés par Stéphane Chevalier. Rimini ajoute sur le DVD des bonus : Le Cidd’Emmanuelle Gorgiard, un court-métrage d’animation sur le texte de Corneille, une réussite plastiquement superbe (26 minutes). Cette édition contient également le livre : Le Chevalier Heston écrit par Stéphane Chevalier et Jacques Demange. 8 segments instructifs et richement illustrés consacrés à ce film légendaire (96 pages). Une édition de toute beauté.
Le Cid (El Cid) un film d’Anthony Mann avec Charlton Heston, Sophia Loren, Raf Vallone, Geneviève Page, Herbert Lom, John Fraser, Gary Raymond, Massimo Serato, Hurd Hatfield, Frank Thring, Michael Hordern… Scénario : Fredric M. Frank et Philip Yordan (et Ben Barzman non-crédité). Directeur de la photographie : Robert Krasker. Réalisateur de la 2e équipe : Yakima Canutt. Direction artistique et costumes : Veniero Colasanti et John Moore. FX : Jack Erickson et Alex Weldon. Montage : Robert Lawrence. Musique : Miklós Rózsa. Producteurs associés : Michael Waszynski et Jaime Prades Producteur : Samuel Bronston. Production : Samuel Bronston Productions en association avec Dear Films Productions. Etats-Unis – Italie. 1961. 188 minutes. Technicolor. 70 mm SuperTechnirama. Format image : 2.35 :1. Son : Version originale sous-titrées en Français 2.0 & 5.1. DTS-HD. Version française Dual Stéréo 2.0. Tous Publics.